Meurt-on toujours aussi mal en France que le décrivait le rapport Maho* sur la mort à l’hôpital en 2008 ? A l’heure où le débat sur la légalisation de l’euthanasie est revenu sur le devant de la scène, témoignages d’infirmières.   

 

En 2008, l’enquête dite Maho sur la mort à l’hôpital montrait l’absence fréquente des proches auprès du défunt, de larges insuffisances dans la prise en charge palliative et une perception négative de la part des infirmières. Parmi celles interrogées, seules 35 % estimaient alors que les conditions du décès des patients étaient acceptables pour elle-même ou pour leur propre entourage.

 

"Du chemin à faire"

Encore aujourd’hui, "ce chiffre ne m’étonne pas tant que ça et je comprends, commente Valérie Tambouras, cadre infirmier responsable des unités de soins palliatifs et  de gériatrie aiguë de l’Hôpital Charles foix (AP-HP) depuis cinq ans. Il y a eu des avancées significatives avec la mise en place de la loi Leonetti au sein de notre hôpital, mais il y a encore du chemin à faire en matière de fin de vie."

Parfois, l’équipe lui raconte : que tel patient transféré au service des soins palliatifs souffrait le martyre rien qu’à être déplacé ;  qu’un autre s’était muré dans le silence ; que celui là n’était pas propre à son arrivée, faute d’attention suffisante…

Suite à la parution de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie en 2005, l’hôpital Charles Foix  a pourtant mis en place un projet pluridisciplinaire pour permettre à chaque professionnel de santé de comprendre les idées directrices de cette loi et contribuer à la réflexion éthique dans le cadre de  leur activité. Plusieurs actions ont été mises en œuvre : rencontre pluriprofessionnelles autour de cas clinique, élaboration d’un projet de formation,  sensibilisation… 

 

Collégialité et concertation

Pascale Tocheport, infirmière référente douleur et soins palliatifs, est ainsi membre d’une équipe mobile douleur soins palliatifs pluri professionnelle à laquelle les médecins peuvent faire appel lorsqu’un cas difficile se présente. L’avis de son équipe n’est qu’indicatif mais généralement suivi par les médecins.

"Dès qu’on entre dans la collégialité et la concertation, ça va, on trouve des solutions. Le vrai problème, c’est quand on ne nous appelle pas ou trop tard, explique l’infirmière. Ces dix derniers mois, on nous appelle beaucoup plus souvent qu’au début et plus tôt. Mais c’est vrai qu’il y a encore des situations ou on arrive alors que le patient est entrain de décéder. Dans ces cas là, je leur dit que ce n’est plus la peine de le transférer au service de soins palliatifs pour le faire mourir sur le brancard."

 

"Sourde oreille"

L’unité d’oncologie est l’un des services curatifs les plus délicats de l’hôpital. Pas facile pour les équipes soignantes de se résigner à arrêter les chimiothérapies, mêmes si elles ne génèrent plus que de douloureux effets secondaires.  In fine, le médecin du service est le seul à pouvoir  faire appel à l’équipe mobile et prendre la décision du transfert en soin palliatif. "Certains médecins ont encore du mal à lâcher prise et préfèrent faire la sourde oreille aux souffrances des patients parce que pour eux, l’envoi du patient en soin palliatif est synonyme d’échec. Ils se disent qu’ils n’ont pas tout essayé et ont l’impression d’abandonner leur patient", raconte encore Pascale Tocheport.

S’ajoute un autre phénomène : le discours du patient vis-à-vis de son médecin diffère parfois de celui tenu à l’équipe des soignants. "L’équipe des soignants détecte souvent plus tôt que le médecin le stade où les soins palliatifs deviennent nécessaires, car le patient dira moins facilement au docteur qu’il n’en peut plus. J’ai souvent entendu dire : ‘Après tout ce que le docteur a fait pour moi, je n’ose pas lui dire’… Alors qu’avec l’équipe soignante, il y a plus de moment d’intimité. Le patient se laisse plus facilement aller aux confidences, lorsqu’il a mal pendant la toilette par exemple", analyse Valérie Gillet, cadre de santé au service d’oncologie gériatrique de Charles foix (AP-HP). 

 

"Zone de non droit"

Pour elle, la perception négative des infirmières de la fin de vie tient aussi du fait qu’elles ne sont pas toujours au courant des décisions prises pendant les réunions de concertation patients-familles-médecins, interprétant parfois à tord certains soins comme de l’acharnement thérapeutique. En la matière, Valérie Gillet  constate d’ailleurs une évolution très positive de la culture hospitalière depuis le début de sa carrière.

 "D’une manière générale, j’ai vraiment l’impression que les choses évoluent de mieux en mieux. Quand j’ai commencé ma carrière d’infirmière en 1987, l’hôpital était une zone de non droit pour les patients. On ne leur demandait pas leur avis, ne les tenait pas informés. Le médecin était tout puissant. L’euthanasie active existait officieusement et n’était absolument pas encadrée. On décidait pour les gens."

A l’époque, certains bruits de couloirs l’on profondément choquée. «"Je me souviens d’une patiente relativement jeune de mon service de gériatrie qui souffrait d’une sclérose en plaque avancée. Elle était très dépendante, mais consciente. Un jour, je ne l’ai plus vue. J’ai demandé ce qu’elle était devenue et on m’a répondu : tel docteur lui a injecté du potassium et elle est morte. Je me suis dit qu’il fallait alerter quelqu’un. Mais qui ?"

 

Manque de temps

La légalisation de l’injection létale, toutes se disent contre. Par peur des dérives, d’abord.  Et parce que La loi Leonetti permet selon elles de faire face à presque toutes les situations si elle est connue et correctement appliquée. Reste que depuis 2005, le chemin semble encore long. Pour Sophie Soulié, toute jeune infirmière en oncologie hématologique à Charlefoix depuis deux mois et demi, le vrai problème du bien mourir en France est le manque de temps des professionnels de santé.

"La douleur des patients est très bien gérée et nous nous battons tous les jours pour faire entendre nos observations auprès des médecins. Mais nous sommes toujours à courir partout et n’arrivons pas à passer assez de temps avec les personnes en fin de vie. Si j’avais le choix, je n’aimerais pas non plus mourir à l’hôpital dans les conditions actuelles de mon service."


*Réalisée auprès de 613 services de médecine, réanimation, gériatrie, urgences, chirurgie et soins palliatifs.


Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Mathilde Debry