Avoir 30 ans, être une femme et travailler en prison. C’est le cas de Zoé, médecin généraliste. Malgré des conditions de travail pas toujours simples, la peur et la fatigue quotidienne, la jeune femme a trouvé sa vocation. Rencontre.

 

"Cela fait deux ans que je suis médecin généraliste en prison, c’est mon premier boulot après l’internat. En faisant toubib, j’avais envie d’aider les autres, de faire du social. Mon dernier stage, je l’ai fait dans la maison d’arrêt près de chez moi. Je me suis dit qu’il y avait un sacré boulot à faire. J’ai en quelque sorte trouvé une vocation. Je trouve que montrer aux détenus qu’ils ont les mêmes soins que n’importe qui, c’est déjà participer à leur réinsertion. Je sais, je suis un peu idéaliste !

 

Huis clos

Je travaille dans un centre de détention pour hommes qui accueille 640 détenus. C’est différent de la maison d’arrêt où les peines purgées sont légères et d’une centrale qui accueille les détenus les plus dangereux. Le centre de détention c’est pour les peines assez longues. Le mien est situé dans une zone rurale, en plein désert médical.

Je ne travaille que 80% du temps et je pense que je vais encore alléger ma présence. C’est aliénant. Nous sommes deux médecins généralistes et mon collègue est à mi-temps.  Contrairement à la médecine de ville, on n’a pas le choix de ses patients quant on consulte en prison et vice-versa. Si le contact n’est pas bon, il faut passer outre et soigner tout le monde. On est un peu en huis clos.

Ici, j’ai vraiment le sentiment d’avoir une utilité sociale et médicale. J’ai l’impression que si j’exerçais en ville, je verrais des gens moins malades, comme des vieilles dames constipées par exemple ! Là, les détenus ont réellement besoin de soins. Ils sont souvent dans un sale état. Je ne m’ennuie jamais. Sur le plan humain, c’est très enrichissant. Certains détenus me parlent de leurs angoisses, j’essaye de dédramatiser. Plein de détenus qui arrivent en prison n’ont pas vu de médecin depuis l’école. Il y a un travail de prévention à faire qui est magnifique. Je me souviens d’un patient qui était migraineux. Il refusait de prendre de l’ibuprofène parce qu’on lui avait dit que ça rendait stérile. J’ai aussi un rôle d’éducation.

 

Machos

Travailler dans une prison d’hommes lorsque l’on est une jeune femme de 30 ans, ce n’est pas compliqué vis-à-vis des détenus mais plutôt vis-à-vis  des surveillants. Il faut savoir qu’en consultation, on n’est pas deux, mais trois, même si le garde attend dehors. Les surveillants ne comprennent pas qu’une femme médecin vienne bosser dans une prison. J’ai eu des rapports conflictuels avec certains surveillants un peu machos. Ils font des remarques, c’est fou. Ils pensaient que j’étais stagiaire, puis ils ont mis du temps à comprendre que je n’étais pas infirmière. Je trouve ça dingue.

Le soir en rentrant à la maison, je ne raconte pas tout. Je ne rapporte que des bribes. Je me suis aperçue que mon entourage ne pouvait pas tout entendre. Ils ne peuvent pas comprendre. Lorsqu’il y a des moments lourds, j’en parle sur place. On est une équipe extrêmement soudée. S’il y a le moindre problème, on nous explique qu’il faut parler. Les psychologues sont toujours disponibles. Il n’y a que l’équipe sur place qui peut comprendre nos frayeurs. Il m’est arrivé d’avoir peur.

 

Bien lotis

Dans la prison, un étage  nous est consacré. On a des salles de consultations, de soins.  On a aussi une salle de radiographie. Je trouve que nous sommes plutôt bien lotis. Moi j’ai mon bureau, comme dans n’importe quel cabinet médical. Quel que soit le niveau de dangerosité des détenus, je les reçois seule, dans mon bureau. Par sécurité, on a une petite alarme à porter sur soi. Si j’appuis sur le bouton, il y a plein de surveillants qui arrivent en courant ! Ca m’est déjà arrivé de m’en servir pour certains patients très agités ou hyper violents. Ce n’est pas tant le chantage ou les menaces qui me font peur, car j’ai appris à le gérer au quotidien. Je me souviens par exemple d’un détenu qui voulait un arrêt de travail pour un bouton d’herpes. Je lui ai dit non. Il m’a alors répondu : “vous savez, je suis un meurtrier !”.

Il y a eu d’autres moments plus compliqués à gérer. Il y a un détenu qui voulait se suicider en consultation parce qu’il n’avait pas eu de permission. Il a sorti une lame de rasoir de sa bouche. Un détenu mal attentionné pourrait être dangereux. Malgré l’alarme. Tout va très vite. Pour beaucoup d’entre eux, la moindre contrariété se concrétise par de la violence. Ils sont souvent très impulsifs. Je n’ai jamais été agressée, mais je ne suis pas passée loin une fois.

 

La chance d’être une femme

C’était un toxicomane sous Subutex qui venait en consultation. On lui avait fait un test urinaire surprise et on avait découvert qu’il prenait plein d’autres drogues comme de la cocaïne ou de l’héroïne. J’étais avec deux infirmières et nous lui avons dit que nous allions arrêter le Subutex. Il s’est mis en colère. Il nous a traitées de tous les noms. Il était très grand et très musclé. Il m’a dit qu’il allait me “péter ma gueule”. Il m’a regardé dans les yeux, a levé son bras vers moi. Finalement, il a tapé le mur. Il m’a dit que j’avais de la chance d’être une femme, sinon il m’aurait frappée. Là, j’ai vraiment perdu mes moyens, mais pas devant le détenu. A la fin de la consultation, je suis sortie et je me suis effondrée. J’ai vraiment eu peur.

Au début, lorsque j’étais interne, j’étais très curieuse et parfois je regardais dans certains dossiers les motifs d’incarcération. Je me faisais peur par exemple en lisant les expertises psychiatriques. Je me demandais comment j’allais regarder le patient. Je ne le fais plus. De toute façon, ce n’est pas moi qui juge. Ca ne m’apporte rien de savoir.

 

Hyper vigilance

Tous les détenus sont des êtres humains. Si je suis médecin en prison, c’est justement parce que j’ai envie de soigner toutes les sortes d’être humains. C’est horrible, mais il y a des gens que je trouve très sympathiques en tant que patients et qui s’avèrent être pédophiles ! Les méchants n’ont pas des têtes de méchants, ils ont des têtes comme tout le monde ! Bien sur, il y a des patients difficiles. J’essaie de les éparpiller pour ne pas les avoir tous dans la même journée, sinon ils dévorent mon énergie.

Je pense qu’il n’est pas possible de faire ce métier toute sa vie. C’est extrêmement fatiguant. Au tout début, lorsque je rentrais chez moi, j’étais épuisée, alors que mes horaires sont plutôt cools. Cette violence potentielle au quotidien crée une hyper vigilance. Lorsqu’on arrive en prison, il y a la cérémonie des huit portes qui s’ouvrent et se ferment, qui nous conditionne. Lorsque je rentre le soir, je suis vidée. Si j’arrête la prison, je n’irai pas vers la médecine de ville. Je suis plutôt attirée par la médecine générale salariée.

Tant qu’à faire de la médecine atypique, j’irais bien exercer en hôpital psychiatrique. Je pense qu’ici, c’est une bonne formation. Mon contrat se termine en novembre, donc je verrai. Par contre j’essaierai quand même de garder un pied en prison. Au final, les gens sont de moins en moins jugés irresponsables. J’ai beaucoup de patients psychotique délirants qui seraient mieux dans les unités pour malades difficiles des hôpitaux psychiatriques".

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi