Samedi 5 mai, un médecin et un infirmier anesthésiste sont décédés dans le crash d’un avion qui effectuait un transfert sanitaire. Le patient et le pilote ont également perdu la vie. Ce drame à fait réagir le Dr Bernard Leger-Plumet, ancien médecin généraliste qui a lui aussi effectué de nombreux rapatriements sanitaires. 71 missions plus tard, il a jeté l’éponge, “écœuré par les conditions de travail”.

 

 

"Je suis un ancien médecin généraliste. J’avais mon cabinet à Solutré (Saône-et-Loire). A côté de mon travail, je devais gérer une propriété viticole. Mais s’occuper d’une propriété en plus d’une patientèle, avec les gardes de nuit, l’administration, au bout de 20 ans c’était devenu intenable. J’ai donc arrêté le travail en cabinet. C’est à ce moment que des amis qui savaient que j’avais une formation au Samu m’ont proposé de faire des rapatriements sanitaires. J’ai accepté et, pour en savoir plus, j’ai même passé un diplôme de rapatriement sanitaire à la faculté Saint Antoine à Paris. J’y ai appris beaucoup de choses et notamment une notion fondamentale : dès lors qu’un médecin accepte une mission, il en est le seul responsable. Or il semble que cet aspect des choses soit quelque peu ignoré des sociétés d’assistance. Ces dernières n’ont qu’une idée :  le rapatriement doit se faire, un point c’est tout !

 

En mon âme et conscience

En tant que rapatrieur je n’étais pas salarié. J’agissais en tant que travailleur indépendant et je n’avais aucun rapport de subalterne vis-à-vis des sociétés d’assistance ou les transmetteurs d’ordres. Je devais donc à chaque fois juger en mon âme et conscience si je pouvais faire la mission, ou pas. Les dossiers de patients que j’avais entre les mains étaient souvent très succincts. Dans un certain nombre de cas, l’état clinique du patient ne correspondait absolument pas à la façon dont les faits étaient présentés. Dans ces situations, je me rendais compte de l’état du malade une fois en face de lui, et il m’est arrivé de refuser d’effectuer le rapatriement.

Je peux citer plusieurs exemples. Je me souviens particulièrement d’un malade séropositif "qui allait bien", que la régulation médicale me demandait d’aller chercher du sud du Brésil à Paris. A mon arrivée auBrésil, je me rends compte que le malade que j’examine est bien différent de celui présenté par la régulation. Son état clinique était catastrophique : perfusions, diarrhées profuses, fièvre à 40°, vomissements, pneumocystose, suspicion de tuberculose… Ce malade était en fait en stade terminal de sida.

Du côté de la société d’assurance, le médecin se moquait complètement des problèmes et des risques qu’aurait engendré le transport de ce patient. Il fallait que je le ramène en France, point barre. Par exemple, le malade avait trois ou quatre perfusions, mais les lignes intérieures brésiliennes refusaient le transport de patients perfusés. A Paris on me répondait qu’il n’y avait qu’à les enlever. De toute manière, la société était tranquille à partir du moment où j’acceptais le transport d’un patient, j’en étais le seul responsable. J’ai bien entendu décidé de refuser le transport de ce patient qui ne pouvait clairement pas voyager en position assise. Il est d’ailleurs décédé le lendemain. Si j’avais accepté le rapatriement, il serait sans doute mort dans l’avion. La famille aurait pu porter plainte contre moi.

 

Comme des sardines

La situation des médecins transporteurs sanitaires est délicate. Nous sommes pris entre les malades, les familles et les sociétés d’assistance qui ne cherchent jamais à nous aider. Nous subissons une pression pour accepter le transport des malades et peu importe les conséquences. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai arrêté ce travail. Après 71 missions aux quatre coins du monde, j’étais écœuré par les conditions de travail. Et là je ne parle que des vols réguliers, mais il y aurait beaucoup à dire sur les conditions d’exercice dans les vols sanitaires.

Ces avions sont loués par la société d’assistance à une compagnie aérienne. L’infrastructure est vraiment critiquable car les avions sont très mal conçus. Les patients sont entassés comme des sardines. Il faut bricoler pour attacher les perfusions au plafond de l’avion. Sous la pression, il nous arrive d’accepter des missions alors qu’elles ne sont pas compatibles avec de bonnes conditions d’exercice. Quand je repense au drame de l’avion sanitaire qui s’est crashé en Martinique, je m’interroge : les soignants avaient-ils subis des pressions pour effectuer cette mission ? D’autant que l’avion était semble-t-il en mauvais état. Pour ma part, je n’ai jamais eu à voyager dans des avions que je ne trouvais pas surs. Si cela avait été le cas, j’aurais tout simplement refusé d’embarquer. Je trouve intolérable que, nous médecins, ayons à prendre des risques, tout comme le patient, pour que l’affaire se fasse.

A une époque j’avais écrit au ministère de la santé pour demander un statut correct du médecin rapatrieur. Dans le cas d’un accident d’avion,nous ne sommes pas couverts. J’attends toujours la réponse ! Nous ne sommes pas considérés. On doit dire oui et se taire."

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi