Le Dr Aline Strebel est médecin généraliste à Enghien-les-Bains. Depuis plusieurs années, ce médecin met l’art au service de ses patients. Une technique qui fait ses preuves et qu’elle apprend aux étudiants de 5èmeannée de médecine de Paris 5 et Paris 7. La généraliste intervient depuis deux ans dans le cours optionnel intitulé De l’étudiant médecin au médecin responsable.Elle a aussi crée le diplôme universitaire Ethique, esthétique et dignité de la personne.

 

Comment faites-vous intervenir l’art dans votre métier de médecin généraliste ?

Lorsque je suis face à des situations d’échecs thérapeutiques, je propose une démarche extérieure. Je vais prendre un exemple. J’avais une patiente qui était confrontée à des douleurs abdominales terribles depuis 10 ans. Aucun médecin ni traitement n’avait réussi à la soulager. Après avoir essayé l’acuponcture, je me suis très vite rendue compte que le problème venait d’ailleurs. Je me suis alors dit que je n’étais pas meilleure que les autres et qu’il fallait donc que je lui propose quelque chose de nouveau, que personne ne lui avait jamais soumis.

Je lui ai donc proposé l’idée d’un jeu. Elle devait partir au musée Rodin et me parler de ce qu’elle avait vu. Elle est revenue en abordant trois œuvres. Lors de la consultation, plus elle parlait des œuvres, plus elle faisait des associations. Au bout de 30 minutes, elle a éclaté en sanglots et m’a avoué ce qu’elle n’avait jamais réussi à dire, pas même à son psychiatre : elle avait été victime d’inceste. Il a fallu en passer par l’extérieur d’elle-même, pour qu’elle puisse, en s’adressant à l’œuvre d’art, retrouver ce qui l’empêchait de vivre. J’ai plein d’autres exemples…

 

Quelle est la démarche du cours optionnel dans lequel vous intervenez, intitulé De l’étudiant médecin au médecin responsable ?

L’idée est justement de permettre aux étudiants en médecine qui commencent à avoir des contacts avec les patients de trouver un lieu et des oreilles qui peuvent entendre leur questionnement sur le fait de devenir médecin. En cinquième année, ils savent qu’ils vont devenir médecin mais ils ne savent pas comment faire. Ils s’interrogent sur la manière de devenir un médecin responsable. Il faut avoir la juste position par rapport au patient, notamment pour annoncer des mauvaises nouvelles, où pour savoir se comporter lorsqu’ils se retrouvent face à la fin de vie. Ce cours est un lieu de questionnement. Je cherche à sensibiliser les étudiants avec pour objectif de faire revenir de l’humanité dans la médecine.

Dans ce cours, l’art est un support, au même titre que la littérature par exemple. On pourrait aussi faire la même chose avec la danse ou le théâtre. L’art devient un médiateur qui sollicite des zones psychiques et qui permet de réveiller des comportements et de verbaliser ce qui ne se verbalise pas notamment dans un cadre institutionnel comme celui de l’hôpital. C’est un lieu dans lequel il y a malheureusement une certaine propension à la déshumanisation.

 

Comment les étudiants perçoivent-ils ce cours ?

Les étudiants perçoivent beaucoup plus facilement la littérature que l’art. La littérature parle le même langage qu’eux. Mon collègue le Dr Sadek Beloucif qui est anesthésiste à Bobigny prend des livres dans lesquels il lit des descriptions de symptômes. Il explique aux futurs médecins, comment, à travers le roman, on peut regarder différemment le patient. Les étudiants sont séduits par cette méthode qu’ils trouvent ludique.

Pour l’art, ils ont beaucoup plus de mal. Je projette aux étudiants une sélection de reproductions d’œuvres fortes dans lesquelles apparaissent des difformités, des viols… Je leur dresse en quelque sorte un état des lieux de la souffrance et je leur demande comment y répondre. Les étudiants sont sonnés.

A la fin du cours, deux étudiantes sont venues me demander pour quelles raisons je leur avais montré de telles images. Je leur ai expliqué mon expérience et elles m’ont répondu que c’était cela qu’elles avaient envie d’entendre. Nous avons donc décidé pour l’année prochaine de travailler en petit groupe pour pouvoir réfléchir. Beaucoup m’ont dit que ces images étaient trop fortes, trop intimes. En étant trop nombreux, il était difficile de se poser les bonnes questions.

 

Pensez-vous qu’il faudrait étendre cette formation à l’art à tous les étudiants en médecine ?

Tout à fait. Je pense que l’approche de la médecine est trop technique. Ce qui est vraiment important, c’est que les étudiants sachent que cette façon de traiter existe. Qu’ils comprennent que l’art a quelque chose de thérapeutique. C’est bien d’avoir la tête bien faite mais il faut sortir et s’ouvrir. C’est de cette manière qu’ils développeront leur capacité d’empathie et de regard sur l’autre. On bassine ces pauvres étudiants avec des chiffres et des statistiques, mais ce n’est pas cela qui leur permettra de soigner les patients. Le but n’est pas d’apprendre à faire comme moi, mais plutôt de regarder son patient comme quelque chose de beau.

Il ne faut pas réduire les malades à des symptômes à traiter. Il faut que les jeunes arrêtent d’étiqueter les patients pour lesquelles ils ne trouvent pas de causes organiques à leurs souffrances, comme des patients psy, voire même des emmerdeurs. Il n’y a jamais rien si les patients souffrent. Il ne faut pas passer à côté de traumatismes. Après, bien-sûr, si je découvre qu’il s’agit de souffrances d’ordre psychologique, je les envoie chez un psy. Je défends une autre manière d’exercer la médecine. Mais je suis réaliste, si je peux travailler de cette manière, c’est que je suis en secteur 2. Il est impossible de passer parfois 45 minutes avec un patient lorsque l’on est payé 23 euros pour un acte.

 

Avec Claude Valentin, vous avez décidé de créer un diplôme universitaire intitulé Ethique, esthétique et dignité de la personne. En quoi consiste-il ?

Lorsque Claude Valentin qui fait de l’humanitaire m’a contacté, il souhaitait rendre ses lettres de noblesse à la précarité. C’est vrai qu’aujourd’hui, les jeunes choisissent plutôt des professions élitistes. J’étais donc été d’accord pour participer à ce projet à la condition que l’art soit le médiateur pour faire passer les messages.

Le but du DU, c’est permettre à des personnes qui au départ s’ignorent de se faire connaître et de communiquer entre-elles. Les gens ne viennent pas forcement du domaine de la santé. Il y a aussi des artistes, des juristes et des gens du secteur de  l’éducation. Les étudiants en médecine ne viennent pas trop. C’est pour cela que nous avons été contactés pour parler aux futurs médecins.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi