Marie-Noëlle Rives est une médecin généraliste de 56 ans. En février dernier, elle a appris sa radiation définitive de l’Ordre des médecins. Une décision qu’elle juge "injuste" au regard de la faute commise. Depuis, elle a engagé un recours devant le Conseil d’Etat. En attendant, elle s’est reconvertie dans les thérapies du bien-être.

 

Etre radié à vie, c’est probablement la pire épreuve que l’on puisse infliger à un médecin. Lorsqu’elle parle de son histoire, Marie Noëlle Rives en a encore la voix tremblante d’émotion. Le 3 février dernier, elle a appris sa radiation immédiate et définitive de l’Ordre des médecins. Sans doute le moment le plus difficile de sa carrière. Elle a bien sûr commis des fautes pour mériter une telle sanction, mais pour cette ancienne généraliste, sa condamnation est "injuste et démesurée".

 

"Fichues à la porte"

Revenons quelques années en arrière. Le Dr Marie Noëlle Rives est installée à Auch dans le Gers depuis 1982. Sa patientèle lui est fidèle. Elle suit notamment  quelques femmes en surpoids auxquelles elle prescrit l’anorexigène Sibutral (médicament dont l’autorisation de mise sur le marché en Europe a été retirée en 2010).

 "Je connaissais très bien ce médicament, mes patientes en étaient contentes, tout se passait très bien", commente Marie Noëlle Rives. En 2003, les médecins généralistes perdent l’autorisation de prescrire cette substance. Seuls les endocrinologues le peuvent. “C’est une nouvelle qui n’a pas fait plaisir à mes patientes. Du coup je les ai dirigées vers l’endocrinologue d’Auch”, se souvient la médecin.

Mais le spécialiste est moins docile que la généraliste. "Il les a, pas très gentiment, fichues à la porte en leur disant que si elles voulaient maigrir, elles n’avaient qu’à manger moins". Les patientes désespérées reviennent donc consulter leur généraliste qui tente d’autres méthodes comme la mésothérapie et des traitements de drainage. Cela ne fonctionne pas et les patientes implorent leur médecin de trouver une solution.

 

Intermédiaire

"J’ai malheureusement eu une idée", regrette la généraliste. Elle décide de se renseigner pour vérifier que la vente du médicament est aussi réglementée en Espagne qu’en France et découvre que ce n’est pas le cas. "J’ai téléphoné à une pharmacie espagnole où je m’étais déjà approvisionnée et le pharmacien m’a dit qu’il n’y avait aucun problème pour fournir le médicament avec mes ordonnances", se souvient Marie Noëlle Rives.

C’est finalement elle qui se rend en Espagne pour récupérer les boîtes du fameux médicament. Pour quelles raisons ? Elle ne sait plus très bien. "J’ai du le proposer une fois et c’est devenu une habitude", explique-t-elle. Puis le pharmacien espagnol propose à la praticienne –“pour simplifier les choses”- de lui envoyer les boîtes par la poste. Là encore, c’est la généraliste qui reçoit le médicament au cabinet.

“Certaines femmes ne voulaient pas que leurs maris sachent qu’elles prenaient ce médicament, qui n’était pas d’ailleurs pas donné, donc je faisais en quelque sorte l’intermédiaire” indique la généraliste. Marie Noëlle Rives assure : “je n’ai jamais touché le moindre centime de bénéfice sur ces boîtes. L’étiquette était d’ailleurs collée dessus. C’était 106 euros et 81 centimes et les patientes me payaient exactement cette somme, au centime près”.

 

"Chantage"

Tout se passait plutôt bien jusqu’au jour où la secrétaire décide de dénoncer sa patronne. "Je venais de la licencier pour faute et elle m’a menacée de tout dénoncer si je ne la reprenais pas. Je n’ai pas voulu céder à son chantage, elle a donc prévenu le service des douanes, l’Ordre des médecins et l’Ordre des pharmaciens" explique Marie Noëlle Rives. Une enquête est alors diligentée par le service des douanes. Très rapidement, la généraliste est convoquée et placée en garde à vue. A son grand étonnement, plus rien ne se passe pendant quatre ans.

“J’espérais naïvement que l’affaire était enterrée. Pour moi, ce que j’avais fait n’était pas très grave” confie-t-elle. En 2009, la praticienne est convoquée devant un juge d’instruction. Plusieurs infractions lui sont alors reprochées : contrebande de marchandise prohibée, exercice illégale de la profession de pharmacien et mise en danger de la vie d’autrui. Elle écope de cinq ans d’interdiction d’exercer, peine qui sera réduite en appel à huit mois.

 

"Amende honorable"

Pendant cette période, la praticienne s’arrête donc d’exercer. Sur la porte du cabinet, la décision de justice est affichée. A sa reprise, la généraliste a le plaisir de constater que sa patientèle lui est restée fidèle. Mais quelque mois plus tard, encore une mauvaise nouvelle. Marie Noëlle Rives est convoquée au conseil de l’Ordre national des médecins. “Face à eux, j’ai fait amende honorable. En retour, ils ne disaient pas grand-chose”, se souvient-elle.

Le 3 février dernier, elle reçoit par la poste une radiation immédiate et définitive. Un véritable coup de massue. “Cette condamnation est vraiment démesurée. Il n’y a pas eu de mise en danger de la vie d’autrui. Mes patientes n’ont eu aucun souci de santé”, déplore Marie Noëlle Rives.

 

Grève des soins

La praticienne a décidé de ne pas baisser les bras. Elle a engagé un recours devant le Conseil d’Etat. Ses patients se sont aussi mobilisés en sa faveur. Après une grève des soins de deux d’entre eux, que la généraliste leur a demandé de stopper, un comité de soutien s’est créé. Si cette démarche ne fonctionne pas, Marie Noëlle Rives pourra essayer de réintégrer l’Ordre des médecins dans trois ans. D’après l’article L4124-8 du code de la santé, après un intervalle d’au moins trois ans, le médecin radié définitivement peut demander à être relevé de l’incapacité d’exercer. Cette décision doit être prise par la chambre disciplinaire qui a statué en première instance.

En attendant une réponse qu’elle espère favorable, la praticienne s’est tournée vers la thérapie du bien-être, homéopathie, allopathie…[Ecoutez le témoignage sonore pour plus de détails] 

Une pratique bien moins rentable que son activité de médecin généraliste. "Comme cela n’est pas remboursé, je n’ai que trois à quatre patients par jour" déplore-t-elle.

 

Source :
http://www.egora.fr/