Etre soignant en hôpital psychiatrique ne met pas à l’abri de sa propre consommation d’anxiolytiques. Près de 12 % des employés seraient consommateurs de substances psycho-actives hors prescription. C’est en tout cas l’estimation de Katsuki Lherminier-Mihara qui s’est intéressé à ce sujet dans le cadre de sa thèse réalisé avec le concours du personnel de l’hôpital Marchant, spécialisé dans la prise en charge des pathologies en santé mentale à Toulouse. L’hôpital a décidé de prendre des mesures pour réduire ce chiffre.

 

Etudier la consommation de psychotropes d’un personnel hospitalier, c’est l’objet de la thèse de Katsuki Lherminier-Mihara. Un projet d’étude qui lui est venu alors qu’il était en consultation. "Lorsque j’étais interne, j’avais vu plusieurs fois des infirmières ou des aides-soignantes qui avaient un gros problème de consommation de psychotropes, avec une grosse addiction et c’était souvent un usage qui avait commencée par une automédication au travail. Je m’étais donc demandé s’il y a avait vraiment une surconsommation chez ses personnes ou si c’était des cas isolés, donc j’ai décidé de faire une étude", explique t-il.

 

Anxiolytiques et hypnotiques

Heureux hasard, le sujet intéresse aussi l’hôpital Marchant à Toulouse, dans lequel Katsuki Lherminier-Mihara est interne. "Nous venions de répondre à un appel à projet de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie dans le domaine de la prévention de la prise de psychotropes. Lorsque nous avons appris que M. Lherminier travaillait sur le sujet, nous l’avons invité à se joindre à nous" se souvient Stéphanie Guyère, directrice adjointe de l’hôpital Marchant. Ensemble, le travail a été productif. En mai 2011, les 1 500 agents hospitaliers de l’hôpital Marchant reçoivent avec leur fiche de paie un questionnaire anonyme. Ils seront 459 à y répondre, soit 30 % dont 74 % de femmes. L’objectif est alors de "décrire la consommation de psychotropes hors prescription au sein du personnel hospitalier mais aussi de déterminer les facteurs associés à cette consommation" souligne le futur généraliste.

Résultat, plus de 15 % des soignants consomment un psychotrope dans le cadre d’une prescription médicale et près de 12 % sans avoir consulté un médecin. Katsuki Lherminier-Mihara constate aussi que parmi ceux qui possèdent une ordonnance, au moins un tiers y ajoute une part d’automédication. Les substances les plus prisées du personnel sont les anxiolytiques et les hypnotiques. Les médicaments les plus consommés sont, dans l’ordre : Stilnox, Lexomil, Atarax et Imovane.

 

Facilité d’accès

Dans le cadre de son analyse statistique multivariée, Katsuki Lherminier-Mihara a pu faire ressortir des facteurs associés à la prise de psychotropes. Il en résulte que les femmes sont trois fois plus consommatrices de psychotropes que les hommes ou encore que le travail de nuit favorise la prise de ces substances psycho-actives. A l’hôpital Marchant de Toulouse ce sont les aides-soignants qui sont les plus consommateurs, suivi par les infirmières. Et certains services sont plus touchés que les autres. Les infirmières travaillant en psychiatries, en oncologie, en anesthésie réanimation et aux urgences seraient plus consommatrices de psychotropes.

"Il y a une facilité d’accès. On prend souvent un comprimé dans la pharmacie de service" souligne Katsuki Lherminier-Mihara avant d’ajouter  : "mon idée n’est pas de fliquer mais de savoir comment ces personnes consomment et surtout, comment les aider à prendre en charge ce problème".

Pour le futur médecin, la solution numéro un est de consulter son généraliste. Une idée validée par son étude. A la question : "quel serait votre interlocuteur privilégié" dans le cadre de la prise de psychotropes, 56 % des répondants choisiraient le médecin généraliste. "Si ces personnes consultaient leur médecin traitant, elles prendraient conscience de la dangerosité de ces substances" note Katsuki Lherminier-Mihara. Car même du côté des infirmières, il constate "une banalisation des médicaments dont la nocivité est sous-estimée". Mais le sujet reste tabou. "Près de 20 % des personnes n’ont pas répondu à la question du questionnaire Avez-vous consulté pour votre consommation de psychotropes ?, cela dénote un sentiment de honte” analyse le thésard. Il insiste sur l’importance du rôle du médecin généraliste : "Le médecin doit poser les question pour banaliser ce problème. Le fait d’en parler permet au patient de se lâcher. Pour lui c’est un soulagement".

 

Avis divergent

Katsuki Lherminier-Mihara et l’hôpital Marchant ont un avis divergent sur la façon de diminuer la consommation de psychotropes du personnel. "L’hôpital est une administration qui doit gérer des équipes. Ils sont dans une optique de réduction des facteurs de risques. Je comprends leur point de vue mais moi je pense que les risques, on ne peut pas les enlever. Je considère qu’il faut prendre en compte la souffrance et la prévenir", explique le futur médecin.

En attendant, fort des résultats récoltés dans son établissement, l’hôpital ne compte pas s’endormir sous ses lauriers. Une journée de débats a été organisée en mars dernier sur le thème Peut-on établir un lien entre le travail et la consommation de psychotropes ? Lors de cette journée une intervenante a abordé le thème de la chronobiologie et a mis en relation le travail de nuit avec la prise de substances psycho-actives. L’étude de Katsuki Lherminier-Mihara va être prise en compte dans le plan de réduction des risques professionnels de l’hôpital. Des actions de formation de l’encadrement sont en cours, notamment dans la prévention des usages de l’alcool et d’autres substances psycho-actives. Des groupes de travail plancheront aussi sur le travail de nuit. En somme, cette thèse aura permis de joindre l’utile… A l’efficace.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi