Le très iconoclaste chirurgien urologue Guy Vallancien explique quel doit être le nouveau rôle du  médecin généraliste dans un système de santé modernisé. Son analyse avant gardiste bouscule bien des conservatismes…

 

Egora.fr. Pourquoi la création de nouveaux métiers en santé est-elle nécessaire ?

Guy Vallancien. Les métiers intermédiaires sont indispensables car actuellement nous avons des professionnels de santé formés  à bac +3 et bac +12. Il faut donc des métiers avec des diplômes au niveau Master 1 ou 2, des compléments de formation permettant aux professionnels de santé de modifier leur trajectoire et continuer à se former quel que soit leur âge. Les universités doivent s’adapter à ces nouveaux métiers et créer ces Master afin que la formation puisse être organisée dans les mois qui suivront la publication des décrets. On s’affole de la désertification, tout le monde hurle au loup. Mais nous n’avons plus besoin d’un médecin par village.

Repères.


Guy Vallancien est chirurgien et professeur d’urologie à l’Université Paris-V René Descartes. Il est ancien chef du département d’urologie à l’Institut Montsouris et ancien secrétaire général de l’association française d’urologie. Il est président de l’Ecole européenne de chirurgie. Il a été chargé de mission auprès du ministre de la Santé pour le plan hôpital 2007. Il a aussi été chargé de mission sur la chirurgie dans les petits hôpitaux. Il est l’auteur des rapports sur la chirurgie dans les petits hôpitaux, sur la rémunération des chirurgiens et sur les maisons de santé, ainsi que d’un rapport sur la gouvernance hospitalière à la demande des ministres de la Santé Xavier Bertrand puis Roselyne Bachelot. Il a participé à la commission présidentielle sur la réforme des Centre Hospitalo-Universitaires en 2009.

Il faut que les professionnels de santé, comme par exemple des infirmières cliniciennes, passent dans les villages et que le médecin ne s’y rende qu’en cas de grande nécessité. Arrêtons de vouloir augmenter le numerus clausus pour faire plaisir à la population.

La relation entre un personnel infirmier et un patient est très forte, autant qu’avec un médecin. Le suivi du patient entre l’infirmière et le médecin peut ensuite être mis en place en fonction de critères prédéfinis. Les médecins libéraux s’inquiètent en se disant que si ce sont les infirmières qui font les actes, ils ne toucheront pas leurs honoraires. Or, il y a des modes de rémunération différents à proposer aux médecins au fur et à mesure que ces assistants vont rentrer sur le marché. Et les infirmiers n’ont pas à craindre d’être sous la coupe des médecins. Il ne s’agit pas d’une délégation d’actes mais d’une prise en charge réelle et responsable à un niveau donné dans la hiérarchie médicale. Le problème du médecin est que nombre de ses actes peut être réalisé par d’autres professionnels de santé. Dans une économie sensée, qui mettrait des professionnels formés à bac + 12 pour réaliser des actes qui peuvent être effectués par des bac + 3 ? Mais il va falloir agir tout de suite après les élections présidentielles. Il faudra une énorme énergie pour publier ces décrets afin d’exercer une partie de la médecine dans un cadre défini par les acteurs. Cela va s’accélérer, je ne suis pas inquiet.

 

Il faut donc un changement de mentalité de la population ?

Il faut en effet passer par une politique du changement qui consiste à faire prendre conscience aux acteurs qu’ils ont intérêt à aller de l’avant. Sinon, ils vont mettre toute leur énergie à défendre leur pré carré. Il y a un exemple très simple : les trois catégories qui fonctionnent le plus en France et qui sont quasiment toutes en secteur 1 et donc opposables sont les anesthésistes, les biologistes et les radiologues. Où est l’erreur ? Ils travaillent avec des manipulateurs radio, des laborantins qui font le travail et les médecins touchent les actes. Les professionnels ont intérêt, dès aujourd’hui, à travailler ensemble au lieu de se croire isolés et indépendants. Des médecins dans une maison de santé pourraient très bien s’associer avec des infirmiers salariés ou libéraux, tout est possible, tout n’est pas exclusif, il ne faut pas s’affoler.

 

Quels peuvent-être ces nouveaux métiers ?

Il peut s’agir de l’infirmière clinicienne qui prend en charge un certain nombre de pathologies avec une aide du médecin si cela s’avère nécessaire. Il peut également y avoir des infirmières spécialisées en prévention – qui expliquent la maladie aux malades en individuel ou en collectif – ou encore en éducation thérapeutique. Nous pouvons aussi créer des infirmières spécialisées pour l’utilisation de certains instruments d’imagerie comme l’échographie de base. En outre, nous pouvons former des coordonnateurs de soins. Ces derniers sont indispensables car actuellement, les patients peuvent être pris en charge par plusieurs spécialistes. Quand un patient a un cancer, il doit remplir un grand nombre de démarches administratives, assurantielles, qui font partie du tissu social. Il faut donc des coordinateurs pour les équipes de soins et les prises en charge médico-sociale. Par ailleurs, les chirurgiens pourraient avoir des ingénieurs opérateurs en master 2, formés pour réaliser certaines interventions qui nécessitent une régularité de la pratique que n’a pas toujours le chirurgien. Ces personnels apporteraient leur savoir-faire pour que tous les professionnels en profitent. Ces tâches et ces actes sont à accomplir par d’autres acteurs que les médecins. Il faut rendre du temps au decin. C’est la clef ! Ils sont débordés par des tâches qu’ils n’ont pas à faire. Il ne faut pas être médecin pour vacciner, ni pour donner un certificat d’aptitude au sport.

 

Vous dépeignez un portrait plutôt pessimiste de la decine libérale et hospitalière.

Les médecins sont perdus car nous changeons de système : du médecin libéral, solitaire, seul maître à bord, nous passons à un exercice de groupe, à la responsabilité systémique et à l’organisation des soins selon des normes qui ne sont pas celles de la pratique individuelle pure. Quand les médecins travaillent à plusieurs, ils sont obligés d’être organisés. La jeune génération l’a très bien compris, c’est naturel. Les jeunes sont prêts à travailler ensemble, encore plus lorsque ce sont des femmes qui savent s’organiser et gérer les horaires. C’est un changement considérable dans l’organisation du travail quotidien du médecin. Au niveau hospitalier, les médecins sont mécontents car ils ont l’impression que la tarification à l’activité est une vilaine machine à ne faire que du profit. Pour un séjour hospitalier, il faudrait mettre en place un forfait qui englobe les soins et leurs complications. Il faudrait changer la tarification pour ne pas pousser au productivisme bête et méchant. C’est également envisageable dans le monde libéral. Mais nous ne pourrons changer le système avec les nouveaux métiers que si nous changeons les modes de rémunération et donc que nous revoyons la responsabilité des médecins.

 

Vous soutenez que le vrai rôle du médecin reposerait sur sa valeur ajoutée.

Sa valeur ajoutée s’appuie sur ce qui fait sa rareté. Le médecin doit être là pour répondre aux cas insolubles. Dans la mesure où la decine est de plus en plus encadrée par des normes de bonnes pratiques qui viennent d’Europe, de la nation, de la région, des sociétés savantes, le médecin sait en permanence ce qu’il a à faire. De ce fait, sa responsabilité n’est pas très importante puisqu’il lui suffit de suivre la route. En revanche, 10 à 15 % des malades ont besoin de soins différents parce que socialement, culturellement, philosophiquement, religieusement ou encore socio-professionnellement, ils ne peuvent pas être traités comme les autres. Nous ne pouvons pas toujours faire rentrer les malades dans les protocoles de soins.  

Le monde est divers et les populations sont de plus en plus mélangées. C’est là que doit intervenir le médecin, c’est son rôle, sa valeur ajoutée. Il doit prendre ce type d’actes en charge et les autres actes doivent être réalisés par les infirmières cliniciennes, les ingénieurs ou encore les techniciens. Si nous injectons dans le monde médical tous ces personnels et ces nouveaux métiers responsables, le médecin aura moins à faire. Il faut qu’il fasse moins en étant mieux payé.

 

Vous estimez que nous nous dirigeons vers une industrialisation de la decine. Comment cela se manifeste-t-il ?

L’industrie a su personnaliser sa production. En médecine, il faut que nous passions à l’organisation du business médical. Pourquoi les gens sont-ils malheureux aujourd’hui ? Parce que nous vivons dans une dérégulation incroyable. Chaque médecin court, se fatigue, dit qu’il en fait trop sans voir qu’il pourrait faire autrement. Il faut donc réorganiser le système notamment parce que sa dérégulation entraine des dépenses injustifiées pour la sécurité sociale. D’où l’injection de personnel, la révision des modes de rémunération, de la responsabilité des médecins et de leur installation. En industrialisant le système, nous allons rendre du temps médical et du temps d’écoute au decin. Un médecin n’écoute pas aujourd’hui, il est trop pressé. Les médecins qui prennent en charge 70 patients par jour, c’est de la médecine au rabais. Cette nouvelle organisation sous-entend la création des maisons de santé. Le médecin qui s’installe seul, c’est fini. Les jeunes veulent travailler en groupe, partager leur savoir, partager leur temps entre professionnel. Aujourd’hui, il y a 1 000 projets de maisons de santé, dont 300 environ qui sont sorties de terre.

Quand les médecins et les infirmiers vont voir qu’ils sont de mieux en mieux à travailler ensemble, cela va faire boule de neige et dans 10-15 ans, le pays va être couvert de ces maisons de santé, de ces plateformes de proximité, dans lesquels les professionnels de santé vont travailler main dans la main. Les maisons de santé vont être construites là où il y a de l’activité. Pour les petits villages, il faut mettre en place des circuits où les infirmières vont intervenir. Il faudrait même mettre à leur disposition des bureaux dans les villages ou créer des cabinets mobiles. Les patients sont très contents d’être revus par l’infirmière. Ils n’ont pas l’impression qu’il y a une dégradation de l’offre de soins. Le médecin doit être une denrée rare. Néanmoins, il faut quand même du personnel pérenne qui connaisse la population. D’où la collaboration entre les professionnels de santé qui partagent et communiquent entre eux, avec des dossiers partagés.

 

Quelles modifications faut-il apporter à la formation initiale pour faire évoluer le médecin vers son nouveau rôle ?

Il faut complètement revoir la formation qui doit devenir professionnalisante. Les doyens des universités commencent à en prendre conscience. Cela bouge lentement. Notre responsabilité d’universitaire revient à apprendre à nos étudiants non pas à savoir la médecine, mais à être médecin.  Je pense qu’il faudrait également former moins de spécialistes. Il faudrait 70 % de généralistes, 15 % de spécialistes consultants pour les cas difficiles mais qui n’effectueraient pas d’actes techniques et 15 % de spécialistes pour assurer les gestes techniques. Le médecin généraliste a un couloir devant lui. Je suis optimiste, mais sur la durée car il n’y a pas d’argent et les réformes se font en période maigre. Tout repose sur le courage politique.

 

Que pensez-vous des arguments de campagnes des candidats à la présidentielle dans le domaine de la santé ?

Je ne pense pas que la santé soit un élément de clivage entre les deux candidats pressentis au deuxième tour. Il n’y a pas d’énormes différences en termes d’abord de la santé. Au-delà du thème du dépassement d’honoraire et de la désertification médicale – qui n’en est pas une – il n’y a pas de grand débat sur le thème de la santé. Le lobby des médecins est puissant mais il n’y a pas que des anti-réformes dans le domaine de la santé. Il faut accélérer la publication des décrets sur les nouveaux métiers de la santé pour activer leur mise en place sur le territoire notamment là où l’on manque de professionnels de santé. Il va falloir agir très vite et très fort.

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Propos recueillis par Laure Martin