Un peu de politique fiction. Le Pr. Philippe Juvin, chef de service des urgences de l’hôpital européen Georges Pompidou et Monsieur santé de l’UMP explique quels seront les axes prioritaires de la politique de santé de l’UMP si le président candidat était réélu.*

 

Le Président de la République vient de rappeler son engagement dans la lutte contre la désertification médicale et l’amélioration de l’accès aux soins. Faut-il aller encore plus loin ?

Philippe Juvin : Le Conseil national de l’Ordre des médecins lui-même le dit, la série de mesures qui ont été mises en place commencent à donner leurs fruits. Nous avons facilité et réorganisé l’offre de soins en faisant mieux travailler ensemble l’ambulatoire, la ville et le médico social, nous avons fait en sorte de créer les contrats d’engagement de service public, qui permettent aux étudiants de s’installer en zones sous-dotées, en contrepartie d’une aide durant leurs études. Je ne saurais dire quelles ont été les mesures les plus efficaces, je pense que c’est l’ensemble.

Mais attention, il y a désert et désert. La situation est tout à fait différente en Picardie et dans le 16ème arrondissement de Paris par exemple. Pourquoi, si l’on ne fait rien, sommes-nous menacés de désertification dans l’un des plus beaux quartiers  de Paris ? Parce que le prix de l’immobilier est tellement prohibitif dans la capitale qu’un jeune médecin ne peut tout simplement pas louer et a fortiori acheter un local professionnel. Il va falloir que les collectivités territoriales, la ville de Paris, nous aide à régler cette question des loyers.  

Mais la désertification médicale est relative. Selon la Dress (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques. Ndlr) les Français ont en moyenne accès en 15 minutes à un producteur de soins. Une quarantaine de cantons en France connaissent une véritable désertification. Entre la situation de Paris intra muros et celle de la Seine Saint Denis, où il y a un problème d’insécurité, la situation des protéiforme, la désertification n’est pas un sujet homogène, il ne peut donc y avoir une réponse unique, c’est une vision théorique de dire cela. [Voir la vidéo pour plus de détails]

 


Le ministre de la Santé Xavier Bertrand annonce une augmentation continue du numerus clausus… Faut-il poursuivre dans cette voie ?

Il a raison. Il n’y a jamais eu autant de decins qu’aujourd’hui sur le territoire français, mais leur nombre ne fait pas tout. Un médecin sorti de faculté n’équivaut pas forcément à un temps plein médical, le temps partiel, les modes d’exercice particuliers de la médecine se multiplient. On m’a rapporté que pour la première fois, le Conseil national de l’ordre des médecins a inscrit sur ses listes plus de decins en provenance de l’étranger que de decins formés dans nos universités. Ce qui prouve bien que le numerus clausus est beaucoup trop serré. S’agissant des études de decine, mon sentiment est que la première année est beaucoup trop sévère, on lessive les étudiants pendant deux ans, c’est un vrai gâchis. Il faut faire évoluer ces études, retourner vers plus d’“humanité” car la valeur humaine d’un médecin est fondamentale et je ne suis pas certain que la sélection sur les sciences “dures” soit une absolue nécessité. La première année de decine a commencé à évoluer, on y  a intégré d’autres professions, pharmaciens, sages-femmes notamment, il faut continuer.

 

Que faire pour attirer les futurs médecins vers la médecine générale ?

La médecine générale est au cœur de nos préoccupations. Nous avons universitarisé la filière, qui est devenue une spécialité, et fait en sorte que la consultation d’un médecin généraliste soit d’un même montant que celle d’un médecin spécialiste d’organe. Le mode d’entrée dans le système de soins doit se faire par la médecine de ville, et particulièrement par le médecin généraliste. 

 

Comment faire pour aller plus loin ?

Il faut monter en puissance dans l’universitarisation de la médecine générale.  Que deviennent les étudiants une fois qu’ils      ont été chefs de clinique en médecine libérale, avant de pouvoir concourir pour être professeur de médecine générale ? La jonction entre ces deux états est encore un peu chaotique, il faut y remédier. Et puis, je pense que les belles rencontres, celles qui marquent un futur médecin, celles qui permettent une identification, elles doivent avoir lieu le plus tôt possible avec un médecin généraliste, dès la deuxième année de médecine. Et que les stages obligatoires en médecine ambulatoire durant le second cycle soient au moins de deux. C’est une affaire de volonté politique. Nous pensons que l’attrait pour la médecine générale passe par la découverte de celle-ci, le plus tôt possible dans le cursus, sans attendre que les étudiants aient été baignés par l’hôpital. Nous avons encore trop une vision hospitalo-centriste.

 

Comment résoudre le problème des dépassements d’honoraires qui empoisonnent l’accès aux soins pour certaines spécialités et dans certaines zones géographiques ? En chantier depuis des années, le futur secteur optionnel ne semble pas séduire grand monde…

Encore une fois, dans le vécu des gens, les dépassements d’honoraires recouvrent des situations très différentes. Il peut y avoir des situations intolérables, rares heureusement, lorsque des praticiens demandent des dessous de table, y compris à l’hôpital public. Ce sont des pratiques totalement contraires à l’esprit et à la lettre du serment d’Hippocrate. Elles ne devraient pas exister, ces médecins devraient être sanctionnés.. Et, pour les médecins libéraux, il y a les dépassements d’honoraires prévus  par la convention médicale. Xavier Bertrand est en train de finaliser les textes réglementaires relatifs au secteur optionnel. Attendons un peu pour dire que cela ne marche pas, c’est un peu caricatural ! Une fois que ce texte sera opérationnel, il réglera beaucoup de choses, je pense.

Néanmoins, il faut se poser la question de l’origine de ces dépassements d’honoraires : la non revalorisation depuis des années, des tarifs opposables d’un certain nombre d’actes. Lorsque la passion de la campagne présidentielle sera passée, nous proposerons de rencontrer les partenaires conventionnels et les syndicats professionnels catégoriels, chirurgiens viscéraux et orthopédistes notamment, pour voir avec eux comment revaloriser ces actes, par déploiement, à enveloppe constante. N’oublions pas que nous sommes à l’origine de l’évolution des modes de rémunération des médecins libéraux, et créer, à côté du paiement à l’acte, un nouveau type de paiement du médecin libéral.

 

En 2011, la maîtrise médicalisée des dépenses a généré plus d’économies (612 millions d’euros), que les 550 millions escomptés par l’assurance maladie. Du fait de l’accroissement de leurs missions, les professionnels libéraux demandent, en conséquence, que l’on rééquilibre l’Ondam (Objectif national d’évolution des dépenses d’assurance maladie) au profit de la ville et au détriment de l’hôpital. Que leur répondez-vous ?

Nous sommes aujourd’hui dans une dynamique absolument nécessaire d’équilibre des comptes publics. [Voir la vidéo pour plus de détails]

 


 

Quel financement demain pour la protection sociale ?

Nous avons un financement qui continue à augmenter malgré la crise. Voyez ce qui se passe en Espagne, en Grèce, en Italie… Nous sommes un des seuls pays qui continue à mettre de l’argent dans la santé. Et puis, il ne faut surtout pas croire ceux qui disent que demain, on rase gratis. Aujourd’hui, quelle que soit votre maladie, quelle que soit votre situation par rapport à l’emploi, vous êtes traité pareillement. Il y a une égalité dans la qualité du soin. Imaginez qu’aujourd’hui, sur les 350 000 nouveaux cas de cancer détectés par an ,70 000 font l’objet d’un ciblage car de mutations ont été détectées. Nous sommes le seul pays à faire cela ! Les Britanniques ont refusé de financer un tel outil. Mais il faut tenir la dépense. Nous avons tenu l’Ondam, alors que tout le monde nous disait, il y a quatre ans, que nous n’y parviendrons jamais. Nous y sommes arrivés, tout en faisant croître les dépenses de santé.

 

Si, demain, après l’élection présidentielle, vous étiez promu au ministère des Affaires sociales et de la Santé, quelle première mesure prendriez-vous ?

Je réunirais les représentants des patients et des professionnels en ville où à l’hôpital pour des Etats généraux de la santé. Je leur demanderai quel mode de financement ils veulent demain, quel partage ils promeuvent entre protection obligatoire et protection complémentaire.

 

Faut-il continuer à avoir un système de santé aussi performant ?

Je pense que oui. Ils auront également à se prononcer sur les rôles respectifs de la ville et de l’hôpital, sur le panier de soins. Je défends l’idée que la solidarité nationale doit continuer à prendre en charge certaines situations médicales à 100 %. Ces Etats généraux de la santé nous permettrons de poser ensemble les questions fondamentales et de tisser un contrat de confiance entre les professionnels, les patients et les politiques.


* Après Marisol Touraine pour François Hollande et le Parti socialiste, la prochaine rencontre aura lieu avec le Dr Geneviève Darreusecq, allergologue et maire de Mont de Marsan, Mme santé de François Bayrou (Modem).


Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi
Vidéos : Jean-Eric Desalme