C’est l’histoire d’une jeune femme passionnée par la médecine mais aussi par son département d’origine, la Seine-Saint-Denis. Après avoir écrit une thèse sur la médecine générale dans le 93, c’est tout naturellement qu’elle s’est installée à Sevran, dans une zone pavillonnaire, à deux pas des cités. Les résultats de son étude, mais aussi son expérience personnelle montrent que les médecins sont plutôt heureux en Seine-Saint-Denis bien que la violence y soit plus forte qu’ailleurs. Si beaucoup d’étudiants fuient l’installation dans le 93, ceux qui choisissent d’y rester ont fait un choix motivé : celui d’exercer la vraie médecine générale qu’ils aiment.

 

"Le rôle du médecins généraliste prend tout son sens en Seine-Saint-Denis. La médecine y est très riche." Emilie Bourges Guerry est une jeune médecin passionnée. Née il y a 30 ans à Tremblay-les-Gonesse, elle a toujours vécu dans le 93. Pour elle, exercer la médecine dans ce département était tout simplement une évidence. "L’exercice en Seine-Saint-Denis me plaisait mais j’ai voulu voir ce qu’il en était pour les autres. Par le biais de ma thèse, j’ai voulu faire le point sur la démographie des médecins dans le département". Résultat : "beaucoup de positif", ce qui ne n’a "pas du tout étonné" la jeune femme.

 

Idées reçues

En Seine-Saint-Denis, la densité de médecins par habitant est la plus faible d’Ile-de-France. Le département compte 267 médecins pour 100 000 habitants, la moyenne régionale est de 463. Au 1erfévrier 2010, le conseil départemental de l’Ordre des médecins a recensé 1975 médecins généralistes dans le département. Emilie Bourges Guerry en a interrogé 16.

Le fruit des ses entretiens va clairement à l’encontre des idées reçues. Oui, la Seine-Saint-Denis est un département plus violent que les autres, mais cette violence n’est pas ce qui ressort principalement de l’exercice médical. "Les points négatifs au travail en Seine-Saint-Denis ne sont finalement pas propre au département. Ce sont des plaintes que l’on pourrait avoir dans toute la France, notamment la charge de travail qui est très forte" explique la généraliste.

 

"C’est bon, on la laisse passer !"

Presque tous les médecins interrogés rapportent avoir été victime au moins une fois d’agressions verbales, mais cela reste très occasionnel. "En 15 ans, les agressions verbales ont du arriver trois ou quatre fois. Je suis d’ici, cela ne me fait pas peur" témoigne un généraliste de 43 ans installé à Sevran. Sur les 16 médecins interrogés, deux ont été agressés physiquement. "En 1985, dans mon cabinet, j’ai été ligoté et bâillonné(…) Ils m’ont pris la recette du jour, 400 francs et des stylos billes. Ils avaient attaqué des cliniques et d’autres médecins je crois. Ils se sont fait choper. Mais bon, une agression en 27 ans, ça peut arriver n’importe où" déclare l’un d’eux.

Emilie Bourges Guerry se souvient elle-même d’une de ses visites dans une cité "qui craignait". "J’étais au téléphone. Plusieurs garçons étaient attroupés. Ils ont cru que je faisais partie de la police. Quand je leur ai dit que j’étais médecin, ils ont dit ‘c’est bon, on la laisse passer !’ Ils ne m’ont même pas fouillée alors que c’est ce qu’ils font habituellement à ceux qu’ils ne connaissent pas". Depuis qu’elle est installée, la jeune femme n’a jamais eu aucun souci. Bien au contraire. Dans son département, elle considère que "les patients sont normaux, la plupart sont même plus gentils et moins exigeants qu’ailleurs".

Et les anecdotes sont quotidiennes : "La dernière fois une patiente me racontait qu’elle était en train de préparer un couscous. Je lui ai dit qu’elle avait de la chance. Quelques minutes plus tard, elle est revenue avec une énorme assiette de couscous !" sourit le Dr Bourges-Guerry.

 

Découvrir des pathologies

C’est aussi cette diversité culturelle qui plait aux médecins du département. "Moi j’aime bien les gens de tous les pays, j’aime bien toutes les cultures. C’est  spécifique car il y a plein d’origines mais c’est plutôt positif. On est mieux à travailler là que dans le 15ème. Ce n’est pas plus difficile qu’ailleurs", juge une généraliste de 60 ans, installée à Sevran depuis 1975. Une patientèle "mondiale" qui est enrichissante pour les soignants. Une généraliste de Pantin se souvient : "J’avais mis une carte du monde dans la salle d’attente en leur disant de mettre une petite pastille de là où ils venaient. C’était beau, il y en avait partout".

Sur le plan médical, la thèse d’Emilie Bourges Guerry révèle qu’exercer en Seine-Saint-Denis à d’autres atouts. Notamment celui de découvrir des "pathologies qu’on ne trouve pas ailleurs". La jeune femme a ainsi rencontré des cas de "tuberculose ou de paludisme". Idem pour ses confrères du département. "J’ai vu des trucs que je n’aurais jamais vu ailleurs, probablement des maladies chroniques que l’on ne suit pas ailleurs, à part peut être en milieu rural". La médecine générale en Seine-Saint-Denis diffère de celle des autres départements car le médecin traitant endosse souvent toutes les casquettes de spécialistes. "On voit des mamans enceintes, des enfants, on fait de la géronto. On peut être amené à tout faire en Seine-Saint-Denis. Des spécialistes, il y en a de moins en moins et du coup les familles viennent" se réjouit ce généraliste de 58 ans installé à Aubervilliers depuis 29 ans. Une impression "d’être utile" qui plait aux médecins.  

 

Confiance totale

Ces derniers apprécient aussi la confiance que leur porte leurs patients. Le généraliste d’Aubervilliers ajoute : "Les gens vous font beaucoup plus confiance, c’est-à-dire que quand une femme vient vous voir avec une boule dans le sein, si vous lui dites c’est rien, elle meurt avec son cancer. Elle vous fait totalement confiance. Si elle tousse et que vous lui dites ‘prenez du sirop’ et que c’est une tuberculose, et bien c’est pour votre pomme. Les gens mettent leurs vie entre vos mains, enfin pour la plupart".

En bref, pour de nombreux médecins, l’exercice médical est très épanouissant en Seine-Saint-Denis. S’ils y travaillent c’est par choix et non par contrainte. Il est vrai que la violence et la pauvreté y sont plus fortes qu’ailleurs mais cela reste à relativiser comme l’explique ce généraliste de 43 ans "Je ne considère pas la Seine-Saint-Denis comme un ‘Bronx’, je ne dis pas qu’il n’y a pas de problèmes, il y a des gens qui sont pénibles mais globalement il y a pas mal de gens qui sont très respectueux de notre fonction, qui sont très gentils avec nous. Si on sait les prendre, on n’a pas de problèmes avec eux".  

A noter cependant que la plupart des généralistes vivaient dans ce département avant d’y exercer, à l’image d’Emilie Bourges-Guerry. Une généraliste de 52 ans conclut, la médecine générale en Seine-Saint-Denis "est sans doute plus intéressante que dans d’autres coins(…) Je pense que pour y être bien, il faut y avoir vécu et y être immergé depuis longtemps quand même. Je pense qu’il y a une vraie culture de la Seine-Saint-Denis".

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi