Admettre que l’on est malade, pour un médecin, cela relève déjà de l’exploit. Accepter de se faire soigner, c’est encore plus compliqué… Sandra Bonneaudeau et Madeleine Lhote ont enquêté sur ces questions. Leurs thèses ont obtenu chacune une médaille d’argent.

 

Aller consulter un médecin traitant est loin d’être une pratique courante chez les soignants. Souvent débordés, ils sont une majorité à pratiquer l’automédication. Pourtant, les médecins ne sont pas des êtres invincibles à qui rien n’arrive. En 2009, d’après la CARMF (caisse autonome de retraite des médecins de France), ils étaient environ 35 % à avoir une affection cancéreuse. Un exemple parmi de nombreuses autres pathologies.

 

Déni des symptômes

S’ils passent leurs journées à s’occuper des autres, écouter leur propre corps est une autre paire de manches. Les travaux dirigés par le Pr. Eric Galam ont amené Sandra Bonneaudeau et Madeleine Lhote à affirmer qu’avant l’entrée dans la maladie, les médecins faisaient preuve d’un certain "déni des symptômes, mais aussi un manque de temps pour s’occuper d’eux même". Interrogé à ce propos, un généraliste de 56 ans admet avoir "fait l’autruche" avant de réaliser qu’il souffrait de diabète, d’hypertension artérielle et de polypes. Résultat : les médecins sont nombreux à avoir un "un retard dans leur prise en charge", comme l’explique cette généraliste de 35 ans qui "trouve toujours autre chose à faire que de s’occuper de soi".

Une fois que les médecins se sont acceptés comme malades, ils doivent déléguer leur santé à quelqu’un d’autre. Sandra Bonneaudeau et Madeleine Lhote notent que "tomber malade, c’est passer de l’autre côté de la barrière" et par conséquent "devoir lâcher prise tout en gardant un certain contrôle de la maladie".

 

Taire sa profession

Une position compliquée pour le médecin mais aussi pour son soignant. L’un d’eux explique ainsi que "face à un médecin, on se sent jugé. Ca tient aux connaissances, à la compétence qu’il a, de sorte que, sans que ça tourne mal, on sait qu’il nous attend au tournant, qu’il faut lui poser les bonnes questions, l’examiner cliniquement complètement, lui demander les examens cohérents". Les médecins malades sont nombreux à vouloir négocier avec le soignant. "On a discuté de posologie" raconte l’une d’elle. Une autre médecin malade se souvient : "je me suis fait rembarrer par une infirmière qui m’a dit laissez nous faire notre boulot".

D’autres médecins malades préfèrent au contraire taire leur profession. Une façon d’avoir la certitude d’être soigné comme "un patient normal". "Je trouve qu’on est largement mieux soigné quand on est incognito que quand on est dans l’intimité avec les confrères" se justifie un généraliste de 50 ans. Car si avec un patient lambda, le médecin peut ne pas tout dire, cela devient  très difficile lorsqu’il traite un soignant.

Les thèses de  Sandra Bonneaudeau et Madeleine Lhote montrent que le fait d’être médecin avantage les malades dans leur prise en charge. Toutes les personnes interrogées leur ont confirmé avoir consulté directement un spécialiste pour soigner leurs pathologies. "On fait marcher son réseau. J’ai tout de suite appelé la gastroentérologue qui a piloté la suite des examens" explique une généraliste de 50 ans qui a souffert d’un cancer du pancréas. En ce sens, le médecin est privilégié. Son accès aux spécialistes est largement facilité et souvent, il obtiendra un rendez-vous beaucoup plus rapidement qu’un autre patient.

 

Trouver un remplaçant

En revanche le médecin souffre d’autres difficultés. La première consiste à trouver un remplaçant. Pour ce généraliste de 58 ans qui a souffert d’un lymphome, il s’agissait d’"une urgence quasiment plus urgente que de se faire soigner". D’autant que les contraintes financières sont indéniables en cas d’arrêt de leur activité. La CARMF n’ouvre les indemnités journalières qu’à partir du 91èmejour d’arrêt et de nombreux médecins n’ont pas souscrit à une couverture complémentaire facultative.

Alors qu’il souffrait d’un cancer, un généraliste témoigne "tout le monde voulait me prolonger mon arrêt de travail, mais j’ai dit non, stop, c’est plus possible, je reprends le travail". Aujourd’hui, il conseille aux jeunes médecins de prendre une assurance lors de leur installation. "La connerie c’est moi qui l’ai faite, c’est-à-dire arriver sans complémentaire en cas d’arrêt maladie".

Ensuite, ce qui vient après la maladie est important. Alors qu’ils étaient certains d’être invincible les médecins apprennent à être plus vigilant sur leur état de santé. "Je serai plus méfiant, j’irai voir un collègue un peu plus facilement maintenant" déclare un généraliste de 50 ans. Cela modifie aussi leur rapport au patient, notamment sur le plan de l’accompagnement. Depuis sa maladie, un médecin reconnaît  : "je fais une prise en charge plus spécialisée, plus adaptée, peut être même supérieur à beaucoup de médecins généralistes". Demain sur Egora.fr, découvrez le témoignage d’une consœur touchée par la maladie. Passée de l’autre côté du miroir, elle raconte son expérience et analyse pourquoi elle ne pouvait pas être une patiente comme les autres.

 


APPEL A TEMOIGNAGES. Dirigées également par Eric Galam du département de médecine générale de Paris Diderot, deux thèses sont en cours sur le positionnement des médecins et des internes de médecine générale par rapport aux maladies de leurs proches. Si vous souhaitez témoigner (vos témoignages seront bien sûr anonymisés), merci de vous faire connaître à l’adresse suivante : eric.galam@univ-paris-diderot.fr


 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi