C’est un signe des temps : quatre fiches "réflexes" ont été mises en lignes sur le site du ministère de la Santé destinées à mieux accompagner les médecins victimes de violence à l’hôpital. Le dr MDDA, médecin urgentiste en Gironde, a été violement agressé en 2007, alors qu’il était en service. Encore traumatisé aujourd’hui, il a appris à vivre avec les séquelles de son passage à tabac. Rencontre.

 

"Je suis un miraculé. Mon métier, si je le poursuis, c’est vraiment parce que je l’aime. Cette période que j’ai traversée fait aujourd’hui partie de mon patrimoine professionnel. Jamais je n’aurais imaginé vivre une telle violence physique en plein service.

Mon histoire date de 2007. Elle se passe dans un hôpital de Gironde où je travaille comme médecin urgentiste. Cet hôpital n’était, à l’époque, pas très bien rénové. Il n’y avait que deux pièces exigües pour accueillir les gens où il y avait peu d’intimité. C’est là que j’ai reçu le jeune homme en question.

 

Savate au visage

Il avait été conduit aux urgences par ses parents, qu’il venait de violenter. Les amis du garçon leur avaient conseillé de l’amener à l’hôpital. Sa mère ne souhaitait qu’une seule chose, que son fils se fasse interner. Etant donné le motif de sa venue, nous avions préféré l’isoler pour qu’il ne crée pas d’incident. J’ai parlé avec lui dans une petite salle.

Je lui ai annoncé qu’il devait être hospitalisé en psychiatrie. Il n’a pas été d’accord ; s’exprimait de façon véhémente, menaçait de tout casser. J’ai du faire appel à d’autres personnes du service pour essayer de l’impressionner.

On a d’abord tenté de le raisonner pour qu’il accepte, puis on en est venu à devoir le maîtriser. Il affichait l’attitude de quelqu’un qui ne voulait rien faire d’autre que casser. Il disait "mes camarades, mes parents, ils en auront pour leurs comptes". Lors du plaquage au sol, il m’a donné un coup de pied très violent, en pleine tête. C’est parti d’un seul coup, de façon très imprévue. Comme un uppercut. Jamais je n’aurais imaginé prendre une pareille savate au visage. Sur le coup j’étais sonné, mais il fallait faire face, ne surtout pas montrer ma faiblesse. Je suis resté debout. Je me rappelle encore de la réaction du brancardier : un "Oh  la !" choqué. Le garçon a fini par être maîtrisé et hospitalisé en psychiatrie dans un établissement de la région.

 

Fracture de la mâchoire

Ca n’est pas ça qui a été le plus dur. Ce sont les suites du traumatisme, désastreuses pour moi. Deux jours plus tard, j’avais une tuméfaction au niveau des maxillaires. On me disait que j’avais gonflé. J’avais mal mais je préférais le cacher. Ca n’est pas évident de se plaindre et d’avouer ses propres faiblesses. Je me sentais vulnérable. J’avais honte. Une honte presque comparables à celle vécue par les personnes qui viennent d’être violées. J’étais touché dans mon intégrité et dans ma chair.

J’ai fini par faire une radio qui a montré une fracture de la mâchoire avec entorse aux cervicales. Puis il y a eu des complications. J’ai eu une hernie discale au niveau du rachis cervical. J’ai été arrêté pendant trois mois. On m’a opéré et du fait de l’opération, j’ai perdu la voix. Je suis ensuite passé par la phase de voix bi-tonale qui est l’équivalent de celle d’une femme. C’est la rééducation qui m’a permis de pouvoir sortir des sons. Aujourd’hui, 5 ans après, je garde des séquelles de cette opération. J’ai une paralysie de la corde vocale à droite et je ne suis plus capable de tenir un discours trop longtemps. Dès que je suis fatigué, je dois porter une minerve.

Pour faire front et malgré mes séquelles, j’ai décidé de rester dans le service. Heureusement, mes collègues m’ont soutenu moralement. Ca n’a pas été une période facile. J’ai songé à arrêter. Ce sentiment de honte était une trace indélébile. J’ai perdu confiance. C’est par défi vis-à-vis de moi-même que je suis resté dans le même hôpital. Ne pas baisser le regard, c’est la méthode que j’ai voulu suivre.

 

Séquelles

Environ deux ans après mon agression, j’ai, par hasard, du reprendre en charge mon agresseur. C’était terrible, mais en quelque sorte, c’était bien pour moi. Cet interrogatoire a été le face à face qu’il me fallait pour guérir, même si je ne pourrais jamais lui pardonner. Il continue à vivre sa vie tranquillement tandis que je garde des séquelles. Aujourd’hui, dès qu’une situation de violence se présente, je fuis et fais appel à d’autres personnes.

Quand j’y repense, je me dis que ce patient n’aurait jamais du passer par les urgences mais par la gendarmerie. Il n’y a même pas eu justice. Le jeune a été condamné financièrement, mais il n’était pas solvable. Il a été interné en psychiatrie, mais très vite, il est sorti. Il m’est déjà arrivé plusieurs fois de le croiser dans la rue.

Aujourd’hui, je pense à me réorienter. Je suis inscrit en capacité de prise en charge et de traitement de la douleur depuis deux ans. Je crois qu’il n’y aura jamais de solution pour sortir de la violence à l’hôpital. Le vigile est une bonne idée mais elle n’est pas mise en place partout. Ce que j’ai vécu en 2007, et malgré les nouvelles fiches reflexes du ministère de la santé, continuera toujours. La violence est devenue un problème de société. Les jeunes médecins doivent intégrer qu’elle fait désormais partie du métier."

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi