Il s’agit de l’observation inédite, durant  cinq ans et sur dix ans, du phénomène de pénurie médicale de médecins généralistes, gagnant un département comme un cancer.

 

Entre 1998 et 2002, ils étaient 426 étudiants en DCEM 4 à suivre leurs études à la Faculté de médecine Paris XIII à Bobigny (Seine Saint Denis). Ces carabins ne sont plus, en 2010, que…23 à s’inscrire en tant que médecins généralistes libéraux au Conseil départemental de l’ordre des médecins (Cdom). Alors que la densité médicale du 93 est parmi la plus faible de la région. Et que 517 médecins libéraux du département sont susceptibles de prendre leur retraite dans les dix ans à venir. Un résultat qui illustre le désamour des jeunes pour la médecine de famille et, surtout, l’exercice libéral.

 

Alarmant

L’étude menée par le Cdom 93 et la Faculté de Bobigny* est frappante. Saisissante même, car elle est l’illustration grandeur nature et en temps réel de la désertification médicale qui frappe ou va frapper certains lieux et territoires de France. Il s’agit ici de la Seine Saint Denis, le 93, département malheureusement réputé pour connaître le plus fort pourcentage d’agressions de médecins et professionnels de santé de France. Mais département également bien connu des militants de la médecine générale pour abriter la Faculté expérimentale de Bobigny (devenue faculté Paris XIII) qui fut moteur et pionnière dans la reconnaissance, l’enseignement initial et continu, la recherche en médecine générale. La reconnaissance de la discipline comme une spécialité doit énormément à Bobigny.

Une situation sanitaire alarmante en banlieue.


Déplorant le silence des candidats à la présidentielle sur la politique de la Ville, l’association “ Ville et banlieue” regroupant  des maires de toutes tendances politiques, a rédigé une plateforme de “120 propositions pour un engagement national auprès des quartiers”. Médecin de formation et maire (UMP) de Chanteloup- les-Vignes, (Yvelines), Catherine Arenou  a lancé une “alerte sanitaire en banlieue » en s’appuyant sur les chiffres du dernier rapport de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles. Ceux-ci sont alarmants et révèlent que près d’un habitant sur quatre a renoncé à des soins pour des raisons financières, un adulte sur six n’a aucune couverture maladie et un jeune de moins de 18 ans sur trois est couvert par la CMU. Très préoccupée par la désertification médicale, Catherine Arenou préconise la création d’un numerus clausus différencié pour ces territoires et pour inciter les médecins à venir y exercer, leur faciliter l’accès à la fonction en offrant un financement partiel des études contre un engagement de 5 à 10 ans. La maire propose également, rapporte la Gazette.fr, de rendre les stages obligatoires en banlieue durant la formation initiale des professionnels de santé, et faire une priorité de la santé mentale. Elle demande également “fans un cadre de médecine de ville ambitieuse”, que des moyens soient consacrés au dépistage et à l’accompagnement des grossesses.

Un département contrasté, donc, qui se désertifie lentement malgré l’irrigation naturelle en direction de la médecine de famille apportée par son histoire particulière. Saisis par le côté alarmant et anxiogène de cette constatation, le conseil départemental de l’Ordre des médecins du 93, en lien avec la faculté de Bobigny, a entrepris de suivre la trajectoire des étudiants ayant validé le DCEM4 (6ème année) dans cette faculté, durant cinq années consécutives, entre 1998 et 2002 et sur dix ans.  Ainsi, 426 étudiants ont été répertoriés, 178 (41,78 %) étant domiciliés en Seine Saint Denis durant leur scolarité et 248 (58,22 %) n’habitant pas dans le département. 12,44 % de ces étudiants n’étaient toujours pas inscrits au tableau en 2010.

 

"Maillage"

Première observation : le taux de fuite très important des étudiants du département. Parmi les étudiants domiciliés dans le 93 pendant leur scolarité, 78 (43,82 %) exerçaient dans le département en 2010 contre 84 (47,19) % qui sont partis ailleurs. Et parmi les étudiants qui n’étaient pas domiciliés dans le département, plus des trois quart (75,40 %) n’y exerçaient pas en 2010. Au total, révèle l’étude, sur les 426 étudiants formés par la Faculté de Bobigny, 102 seulement (23,49 %) sont restés dans le 93 pour y exercer. Ces 102 rescapés sont aujourd’hui salariés, pour la moitié d’entre eux (50). Les autres ? 19 sont remplaçants et 28 sont libéraux dont 23, médecins généralistes.

Les auteurs de l’étude se désolent de ce constat. "L’exercice de la médecine libéral est essentiel à nos yeux, écrivent-ils. Il est établi qu’un médecin généraliste libéral exerce un maillage plus efficace (…) et travaille sur une plus grande durée lors de la semaine d’activité. De plus, l’exercice de la médecine générale ne réclame pas de subvention d’Etat ou des collectivités territoriales". L’attirance pour la médecine salariée, poursuivent-ils, traduit "la tendance lourde actuelle de la médecine de demain". Il y a, certes, un rejet de l’exercice libéral, "mais pas tout l’exercice libéral, sa forme actuelle", tentent-ils de se rassurer.

De manière plus globale, près des trois quart des étudiants suivis à partir du Dcem 4 se sont finalement inscrits quelque part en France  à un tableau ordinal en 2010, et les trois quart d’entre eux ont choisi la médecine générale (269 étudiants, 72,12 % des inscrits). Les 104 autres médecins ont choisi une spécialité. A tout seigneur, tout honneur : la faculté de Bobigny forme donc toujours une très forte quantité de médecins généralistes. Mais ceux-ci ne restent pas dans le département et fuient le libéralisme.

 

Défi à relever

En conclusion, l’heure est grave. Les étudiants formés dans le 93 fuient le département, et celui-ci n’a draîné vers lui en 2010, que 24 étudiants en DCEM 4, non résidents durant leurs études à Bobigny. En tout et pour tout, on n’a recensé que 92 inscriptions en médecine générale en Seine-Saint-Denis sur cinq ans. On peut espérer que ce chiffre sera doublé en dix ans, pour atteindre 184 inscriptions. Mais il y a quoi se mettre les mains sur les tempes en le comparant avec les 517 départs en retraite prévisible  d’ici 10 ans (1053 généralistes libéraux étaient en exercice en 2010). La soustraction est facile à faire : il manquera plus de 300 médecins généralistes libéraux pour prendre en charge la population de la Seine Saint Denis durant la décennie à venir.

Certes, quelques éléments pourraient venir bousculer ces prévisions alarmistes : succès de la filiarisation des études médicales à l’issue des ECN, poursuite de l’activité professionnelle au-delà de 65 ans, installation des remplaçants en médecine de famille. Mais la catastrophe est bel et bien en train de se constituer sous nos yeux."A nous de travailler pour améliorer les conditions  d’accueil de nos confrères – environnement, conditions et modalités d’’exercice, sécurité – pour qu’ils aient envie de s’installer en Seine-Saint Denis" plaide l’Ordre, en invitant aussi les pouvoirs publics à "jouer leur rôle" pour qu’ensemble, le défi puisse être relevé.

 


*Drs Edgard Fellous, président du conseil départemental de l’Ordre des médecins de la Seine-Saint-Denis, Xavier Marland et Jacques Piquet, conseillers ordinaux du Cdom 93 et Jean-Luc Dumas, doyen de la Faculté de médecine Paris XIII
 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Le Borgne