3,3 kg de formulaires pour le DMP (Dossier médical personnel) sans un mot d’explication, livrés par Chronopost à ce confrère de l’Oise. Il en avait déjà reçu autant quelques mois auparavant. Et le paquet avait déjà pris la même direction : la poubelle.

 

 

 

Au total, à l’heure de la dématérialisation des feuilles de soins et tandis qu’une commission se réunit pour aboutir à la simplification administrative que tous les médecins appellent de leurs vœux, ce ne sont pas moins de 6,5 kg de paperasse relatifs au DMP qui ont été livrés au Dr. Stéphane Lefèvre ! Lequel, installé en solo et informatisé, n’avait pourtant rien demandé. Débordé, il ne s’était d’ailleurs jamais déplacé lors des réunions d’information qui ont eu lieu à l’initiative du Groupement de coopération sanitaire e-santé sur son département.

 

"Usine à gaz"

N’aurait-il pas donné suite aux courriers de l’ARS Picardie ? Tout cela ressemble à un mauvais gag. "Ce n’est tout de même pas à moi de faire le boulot. C’est une procédure très chronophage. Je ne sais même pas quoi rentrer dans ce DMP ? Quel est mon intérêt ? Et celui des patients ? J’ai le sentiment qu’on veut nous imposer un système, une usine à gaz, comme l’a été en son temps le carnet de santé" maugrée le Dr Lefèvre qui a fait part de sa lassitude sur Twitter. "En voyant une trentaine de patients par jours, j’ai bien autre choses à faire que d’aider à remplir cette paperasse…" Le temps qu’il aurait à y consacré n’étant évidemment pas rémunéré.

En effet, on ne comprend pas trop ce qui a pu se passer. Il doit s’agir d’un couac. Effectivement, la Picardie est un département pilote pour le DMP. Elle a expérimenté le Dossier santé Picardie (DSP) depuis 2006 et 140 000 dossiers ont été ouverts, explique le Dr Boutet-Rixe, directrice médicale du GCS Santé Picardie, structure chargée du déploiement du DMP sur la région, l’Agence régionale de santé (ARS) se chargeant de la stratégie. La marche à suivre est la suivante, explique-t-elle : lorsqu’un praticien manifeste son intérêt pour le DMP, ce qui peut se faire par internet, le GCS lui envoie un kit de démarrage comportant une affiche et des dépliants pour les patients, dans une grosse enveloppe kraft. S’il souhaite adhérer au système, il le fait alors savoir et commande des dépliants pour les patients – ce qui peut également se faire sur la plateforme du site internet dédié. Ce n’est qu’à ce stade qu’un routeur livre les formulaires au praticien.

 

Erreur d’aiguillage

Le Dr Lefèvre aurait-il été victime d’une usurpation d’identité ? Y-a-t-il eu erreur d’aiguillage ? Ni l’ARS ni le GCS ne sont en mesure de répondre. "Ces formulaires coutent un certain prix. Nous ne prenons évidemment pas l’initiative de les envoyer à des praticiens qui n’en font pas la demande" explique Hélène Masion, du GCS e.santé.  Elle confie que les praticiens exerçant aux alentours des établissements hospitaliers partie prenante de la politique de déploiement du DMP sont particulièrement sollicités par l’ARS pour adhérer au mécanisme.

Encore faut-il qu’ils disposent d’un logiciel DMP compatible, ce qui ne concerne qu’environ 70 % des praticiens de France et très peu d’hôpitaux. A défaut, la connexion peut se faire par le web, ce qui est plus long. Or, tous les praticiens redoutent ce genre d’opérations chronophages. Dans les faits, dès lors que le patient est d’accord, le praticien (ou l’établissement de santé) crée un DMP en utilisant sa carte CPS et la carte Vitale du patient, qui reçoit ainsi un numéro identifiant lui permettant de se connecter à son DMP par internet, puisqu’il en est le propriétaire et qu’il décide de son contenu.

Voilà en tout cas un bel épisode courtelinesque qui ne va pas servir l’image du DMP. Certes, sa montée en charte s’avère satisfaisante en Picardie. Le DSP a basculé vers le DMP en mai dernier, à partir de l’hôpital de Beauvais, et sur les 75 000 DMP créés au plan national, 20 000 l’ont été par des picards (dont 300 par des professionnels de santé libéraux, médecins ou kinés). Ces DMP sont riches de 60 000 documents déposés. Les quatre régions pilote du début (dont la Picardie faisait partie) sont désormais 19 et 33 établissements de santé ont été agréés par l’ASIP Santé (agence des systèmes d’information partagés de santé). Mais…

 

Moratoire

En ces périodes électorales et de grande disette financière, des voix commencent à s’élever pour contester l’utilité d’un système mise en place par la loi de 2004, dite Douste-Blazy, et relancé en 2011 par Roselyne Bachelot, après avoir créé un gouffre financer derrière lui (200 millions d’euros dépensés pour 56 000 dossiers créés). En 2012, des lignes budgétaires de 50 000 à 100 000 euros par établissements de santé ont été dégagées pour les inciter à ouvrir des DMP pour au moins un tiers de leurs patients hospitalisés. Ce qui n’est pas rien.

Après que plusieurs députés ont fait voter un amendement permettant aux malades en ALD de disposer d’un DMP sur clef USB (ce qui pourrait  être le choix retenu aux USA), c’est maintenant la gauche, par la voix de Gérard  Bapt, député PS, qui réclame un moratoire du DMP avant un audit indépendant mené par la Cour des comptes. Marisol Touraine, responsable des questions de santé au parti socialiste, met également en avant des questions de coût, pour demander sa suspension. Gérard Bapt craint en effet que le chantier ne devienne une "construction technocratique onéreuse et peu sécurisée", comportant un intérêt non prouvé pour le corps médical et les patients.

 

2 milliards d’euros d’investissement

En toile de fonds, le cas de l’Angleterre, qui vient de décider de stopper le chantier du DMP après lui avoir déjà consacré plus de 2 milliards d’euros, au même titre que les Pays bas, où l’on vient de lâcher l’éponge après 300 millions d’investissements. L’Ordre national des médecins soutien le DMP avec réserves.

"Ce serait déplorable de l’interrompre comme le proposent certains députés socialistes" a défendu le Dr Jacques Lucas, vice-président du Cnom et spécialiste de l’e-santé dans Le Monde.fr. Notre position est claire, le DMP doit être mis en œuvre mais il doit correspondre à des besoins réels et de pas être abstrait. Il faudrait une campagne nationale pour inciter les gens à le créer", conclut-il. Or, il y a encore loin de la coupe aux lèvres : selon un sondage Ipsos réalisé à l’été 2011 pour l’ASIP Santé, un Français sur deux seulement avait entendu parler du DMP mais 84 % des personnes interrogées émettaient à son égard une opinion positive. 

 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Le Borgne