Des candidats à la présidentielle évoquent régulièrement "les études gratuites de médecine" et le "devoir des étudiants vis-à-vis de l’Etat" qui justifierait d’exercer dans une zone de santé prioritaire pendant les premières années d’exercice… Depuis sa première année, Yahia Yahoui travaille pourtant très dur pour les financer, ses études. A 24 ans, il est aujourd’hui externe en 4ème année à Paris 13 et cumule stages, cours et boulot. Une vie éreintante qui lui permet de toucher 896 euros par mois, bourse incluse. Au moment de se confier, il vient de terminer 29 heures de travail sans interruption.
"Mon parcours est assez atypique. Après le bac j’ai fait quelques mois en maths sup dans le but de devenir ingénieur. Très vite je me suis aperçu que je voulais faire un métier qui soit plus stimulant, qui change la donne. Alors je me suis dirigé vers la médecine.
Plus de sorties, plus de fêtes de fin d’années, plus de week-end…
Arrivé à l’Université, travailler pour financer mes études s’est imposé comme une nécessité. Il a fallu faire face à de nombreux frais universitaires, notamment l’achat de matériel informatique car travailler sans ordinateur, aujourd’hui c’est impossible. Je devais aussi payer le loyer d’un logement à Paris car j’habitais à plus de 60 kilomètres de l’Université. Je vivais dans un 8m2 pour 420 euros par mois. J’ai du attendre deux ans avant d’avoir une place en résidence universitaire et pouvoir enfin écarter les bras sans toucher les deux murs ! Maintenant je vis dans un 18m2, à 380 euros. Il faut aussi savoir que les livres de médecine coûtent très chers. Le dernier m’a couté 45 euros, et il en faut 12 par an. Alors malgré ma bourse de 420 euros, les frais grimpent très vite.
En première année de médecine, j’ai donc pris la décision de travailler les mois de juin, juillet, août et septembre. Je changeais les affiches dans les gares SNCF de trois heures du matin à 13 heures. A la rentrée des cours je n’étais pas reposé. J’ai senti le contrecoup du travail jusqu’en janvier. J’ai passé le premier concours en étant, je pense, beaucoup plus épuisé que la moyenne. La fatigue se voyait sur le visage de ceux, qui, comme moi, travaillaient en plus des études. En plus de l’effort intellectuel, c’est un effort physique que l’on devait fournir pour se donner les chances de réussir le concours.
Cinq ans que je ne m’étais pas arrêté
Je n’ai pas validé la première année du premier coup donc j’ai repris le même boulot l’été suivant avant de ré-enchaîner sur les études. La deuxième fois j’étais plus endurant ! Ces années étaient très dures à vivre. Plus de sorties, plus de fêtes de fin d’années, plus de week-end… Je travaillais en permanence. Je pense que le pire moment a été de devoir retourner travailler au mois de juin après avoir enfin réussi à passer le cap de la première année. J’étais heureux d’avoir réussi le concours, mais le fait de devoir tout de suite reprendre le travail et de ne pas pouvoir souffler, ça a été très dur psychologiquement. J’ai donc repris mes quatre mois de travail à la SNCF.
En deuxième année la charge de travail était tout aussi intense, mais la pression psychologique était moins violente. On n’était plus en concurrence les uns avec les autres et on avait, en plus, la possibilité de passer des rattrapages. Comme les années précédentes, je vivais grâce aux économies de mes quatre mois de travail. En juin il ne me restait plus rien, je devais donc retourner à la SNCF.
Ce n’est qu’en troisième année que j’ai pu prendre quelques jours de vacances. Cela faisait cinq ans que je ne m’étais pas arrêté. En revanche, je me suis retrouvé face à un problème qu’il a fallu que je résolve : du fait des stages d’été non rémunérés, je ne pouvais plus travailler. La seule solution que j’ai pu trouver, c’est d’avoir un job pendant l’année. Je donnais des cours d’informatique, mathématique et physique pendant environ 15 heures par semaine, les soirs et les week-ends. Je dispensais aussi des cours de coaching sur des premières années de médecine ou sur des étudiants qui préparaient le concours d’infirmiers. On était beaucoup dans ce cas. Certains, comme moi, donnaient des cours, d’autres faisaient des gardes d’aide-soignant.
Quatre heures de sommeil par nuit
Maintenant je suis en quatrième année, donc pour la première fois, en tant qu’externe, je touche une petite rémunération qui s’élève à 96 euros par mois. Il faut aussi compter les gardes. De la quatrième à la sixième année, chaque étudiant doit en faire 36. Elles durent environ 14 heures et sont payées 26 euros. Parfois ça nous amuse entre étudiants de faire le calcul et de voir combien on est payé à l’heure. Là je préfère éviter ! (rires) A l’issue de ma quatrième année, j’aurais déjà effectué 10 gardes.
A côté de ça, il fallait que je trouve un emploi. J’ai eu la chance d’être accepté au Samu pour faire des gardes d’externes. Ca me permet de rester dans le milieu médical, d’avoir des compléments sur ma formation et je suis payé 50 euros par garde. J’en fais sept par mois, je touche donc 350 euros auxquels il faut ajouter les 96 euros pour mon salaire d’externe. De cette manière, j’arrive à doubler ma bourse.
Normalement au Samu les gardes durent 24 heures, de neuf heures à neuf heures le lendemain. Mais j’ai beaucoup de chance parce que mes chefs savent que j’ai des stages obligatoires le matin, ils me permettent donc d’arriver à 14 heures, c’est-à-dire après nos stages et de partir un peu plus tôt pour arriver à l’heure au stage qui commence à 9 heures. Du coup j’ai un emploi du temps surchargé car les cours de médecine ont lieu l’après-midi. Ma moyenne de sommeil est passée à environ quatre heures par nuit. Quand je travaille et que je ne peux pas être en cours, mes collègues prennent les cours pour moi, il y a une très forte solidarité étudiante.
On néglige le travail que nous produisons
Quand certains candidats à l’élection présidentielle parlent des études gratuites et donc du "devoir des étudiants en médecine vis-à-vis de l’Etat", je trouve que l’on néglige le travail que nous produisons. Je serais curieux de voir le coût de la formation des doctorants en physique par exemple. D’autant qu’il y a peu de laboratoires en France et qu’ils sont nombreux à devoir partir à l’étranger. On est en milieu hospitalier dès la troisième année, on fait des gardes… Et pour pas grand chose ! On a une mission de service publique, c’est vrai. On est bien conscients que l’on ne peut exiger qu’il y ait un médecin à moins de 20 minutes dans certaines zones, mais la coercition à l’installation n’est pas une méthode pertinente.
On m’a beaucoup parlé du CESP (Contrat d’engagement de service public), notamment à cause de mes jobs à côté, mais j’ai un peu du mal avec cette idée. Il s’agit, lors de nos études, d’être payé 1200 euros bruts par mois pendant une certaine période. En contrepartie on s’engage à aller travailler en zone sous-dotée pendant la durée de cette période. On nous oblige aussi à choisir notre spécialité dans une liste que l’on ne connait pas à l’avance. Exercer en zone désertique, ce n’est pas cela qui me pose problème, en revanche, la spécialité c’est très important. Je veux être urgentiste. Et pour moi, faire autre chose serait un drame."
Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi