Erreur médicale et burn-out seraient intimement liés. C’est la théorie du Dr Eric Galam. Ce médecin généraliste vient de publier L’erreur médicale, le burn-out et le soignant aux éditions Springer. Il nous livre sa pensée.

Comment déceler le burn-out ?

Il y a des signes cliniques. Le burn-out, c’est une pathologie qui touche les gens impliqués dans une relation d’aide avec d’autres personnes. Et donc, au premier plan, les soignants et les médecins. C’est un syndrome qui comporte trois dimensions : un épuisement émotionnel, une baisse d’accomplissement personnel et une tendance à dépersonnaliser son partenaire professionnel donc là en l’occurrence, son patient. Quand on commence à être fatigué des le matin, à être irritable, à ne plus supporter les autres, à avoir l’impression qu’on ne va jamais y arriver, à voir les patients non plus comme des gens que l’on soigne mais comme des objets voire des problèmes… ce sont des signes d’alerte. Ces médecins sont souvent repérés par les autres, proches, confrères ou patients, qui les sentent constamment énervés. Ils vont parfois jusqu’à la prise de psychotropes ou d’alcool et malheureusement en arrivent bien trop souvent au suicide. Ce risque est 2,37 fois plus élevé chez les médecins par rapport à la population générale. 

La surcharge de travail est-elle seule en cause ?

40 % des burn out sont liés à l’épuisement émotionnel. Il y la quantité mais aussi la qualité du travail. Si les médecins ont l’impression qu’on les traite comme des vaches à lait pour les actes administratifs, que personne ne reconnait l’importance de leur travail, ni son côté délicat et qu’on exige toujours plus d’eux, alors ils supporteront moins. A ce moment là il ne suffira d’un petit blocage dans un rouage et ils ne seront plus capables de gérer l’afflux de demandes des patients. 

Vous faites le lien entre burn-out et erreur médicale, comment le justifiez vous ?

Cela se comprend dans les deux sens. Si le médecin est en grande difficulté, il aura tendance à bâcler les choses, a se préoccuper plus de ses propres problèmes au dépens de ceux de ses patients. Il sera moins vigilant et ne prendra pas le temps de les examiner à fond. L’état de burn-out avec épuisement facilite l’erreur médicale et leur accélération. Dans l’autre sens, si le médecin est mis en cause ou se sent mis en cause pour une erreur médicale, cela peut aussi le faire basculer dans le burn-out. Erreur médicale et burn-out sont deux maladies professionnelles. Le burn-out c’est la maladie du soignant qui n’est plus capable d’assumer. L’erreur médicale est un accident du travail, c’est un soignant qui dysfonctionne et cela retenti sur le patient et donc par voie de conséquence sur le médecin. Il est alors la seconde victime. 

C’est-à-dire ?

Ce terme a été employé pour la première fois dans les années 2 000. Il signifie que lorsqu’ un médecin est impliqué dans une erreur médicale, cela remet en question l’idée qu’il a de lui même en tant que soignant. Il se dit qu’il est un incapable, il culpabilise devant ses patients et en plus, il a peur d’être traîné devant les tribunaux. Le médecin est donc aussi victime, mais moi je vais plus loin, je dis qu’il est double victime en ce sens qu’il devient hyper sensible au risque médical et n’a pas le droit de se plaindre. Il ne s’agit pas de victimiser les médecins mais plutôt de se rendre compte de la difficulté et de la dimension sensible de leur métier. Plutôt que des les enfoncer, on aurait plutôt intérêt à les accompagner pour qu’ils fassent mieux ce métier et qu’ils y trouvent leur compte.

Comment réagir face à une erreur médicale ?

Quand il y a erreur médicale, il y a des raisons, parfois elles sont dues aux médecins, et même dans ces cas là il les faut aider à les surmonter pour qu’ils continuent à travailler. Mais souvent, ça n’est pas qu’une erreur individuelle, c’est aussi un problème systémique. La personne responsable de l’erreur n’est pas que le dernier maillon, il y a tout un système qui peut expliquer les erreurs médicales. D’ailleurs les deux tiers des erreurs sont liées au système plutôt qu’à des individus. Enfin, face à une erreur, plutôt que de punir, on doit l’analyser sereinement pour comprendre ce qu’il s’est passé. Il faut mettre les soignants à contribution et ne pas les installer dans une position défensive. Ils doivent se sentir accompagnés par la collectivité. Il y a beaucoup plus d’erreurs que ce que l’on dit. Il y a aussi les événements porteurs de risques. Dans ces cas là, il y a eu erreur mais il n’y a pas eu dégâts. Il faudrait aussi les analyser. Les études ENEIS de 2005 et 2009 (étude des évènements indésirables liés aux soins. Ndlr), montrent que 3 à 5 % des hospitalisations en France sont dues à des erreurs médicales parmi lesquelles la moitié sont évitables. C’est un coût humain et financier considérable, aussi bien pour les patients que pour les soignants. Plutôt que de pourchasser le médecin dysfonctionnel on a intérêt à le dépister pour l’accompagner avant qu’il ne dysfonctionne.

Est-ce que la surcharge de travail est un argument recevable par la justice dans le cas d’une erreur médicale ?

Non, l’argument n’est pas recevable pour la justice. Pour la justice tout doit être parfait dans le meilleur des mondes. Pour la justice, les aspects psychologiques, la fatigue du médecin ne rentrent pas en compte. Pour la justice, quand on a besoin d’un examen on doit être en mesure de l’obtenir. Aujourd’hui ces arguments ne sont ni compris par la justice, ni compris par les patients. Il faut faire évoluer la justice, que pour par exemple, quand un généraliste est jugé, les experts qui le jugent soient eux-mêmes généralistes.

Le burn-out lié à l’erreur médicale ne viendrait pas aussi du fait que les médecins ne sont pas correctement formés ?

Tout à fait. On ne leur apprend pas le concept d’être malade soit même, on ne leur apprend pas non plus qu’il faut avoir des limites, qu’ils ne peuvent pas tout faire. L’erreur fait partie de la pratique médicale. La médecine n’est pas une science exacte, c’est une gestion du risque. Il ne peut pas ne plus y avoir d’erreurs, il peut y en avoir de moins en moins et on peut en tirer des enseignements. Les médecins sont formés dans l’idée que l’erreur est inacceptable voire infamante. Ils ne sont pas formés à réagir devant un patient qui ne va pas bien à cause d’eux. Il faut changer le paradigme du médecin tout puissant. Il faut intégrer que le médecin est compétent, qu’il travaille mais qu’il y a une prise de risque.

Pourquoi la notion de burn-out chez le médecin est-elle tabou ?

Cela remet en question le médecin tout puissant de notre imaginaire collectif. Un médecin qui n’est pas en bonne santé, ça fait désordre et c’est inquiétant pour la collectivité et pour les médecins eux-mêmes. Tout le monde a envie que le médecin soit un super-héro, indestructible, qui ne se trompe jamais et qu’il soit au top. Un exemple notamment, quand un médecin est malade, il ne touche une indemnité journalière qu’à partir du 91ème jour. Ca n’est pas normal.

Quelles solutions pour un médecin qui souffre ?

Il faut d’abord éviter d’en arriver là en se protégeant, en tenant compte de ses besoins personnels. Il ne faut pas mettre toute son âme dans la médecine. L’intérêt du métier de médecin c’est l’humanité donc il ne faut pas l’évacuer mais il faut trouver des limites. Quand ça ne va plus, les médecins doivent accepter de demander de l’aide. Il faut favoriser les dispositifs déjà en place comme le numéro dédié qui répond 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 aux appels des médecins en difficulté. Il y a des structures qui se mettent en place pour soigner les médecins en tout anonymat. Ensuite pour ceux qui vont mieux, il faut les accompagner pour qu’ils puissent reprendre le travail.

En cette période électorale, avez-vous le sentiment que les candidats s’intéressent à ce problème qui touche les médecins ?

Le médecin n’intéresse personne, ce que l’on veut c’est qu’il fasse son boulot. On fait parfois semblant de s’intéresser à lui parce que c’est rentable politiquement, mais globalement on veut juste qu’il fonctionne. Attitude qui peut être légitime, mais pas très raisonnable si on veut voir un peu loin. Dans une société qui va mal, c’est mieux d’avoir des médecins en bonne santé pour accompagner la collectivité.

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Sandy Berrebi