Proche du Premier ministre, l’économiste Nicolas Bouzou *, veut séparer ce qui relève de la solidarité – qu’il veut quasiment nationaliser – de ce qui relève de l’assurance car, selon lui, le temps est compté avant une implosion du système actuel construit en 1945. De fait, pour tous les partis politiques engagés dans la course à la présidentielle, le financement des ALD est au cœur de la problématique du financement de notre protection sociale. Demain, le point de vue radicalement différent de Gérard Cornilleau, économiste à l’Ofce (Observatoire français des conjonctures économiques). 

 

Egora.fr : Dans une tribune publiée récemment dans Le Monde, vous proposez de sanctuariser le financement des affections de longue durée (ALD). Comment cela fonctionnerait-il ?

Nicolas Bouzou : Aujourd’hui, en matière d’assurance-maladie, pour faire simple, les cotisations sont proportionnelles au salaire et le risque de l’assuré n’est pas du tout pris en compte. Ce n’est donc pas un système d’assurance. L’assurance-maladie assure de la même façon des maladies génétiques et des rhinopharyngites, ce qui a l’évidence ne devrait pas relever du même type de financement. Moi ce que je propose c’est qu’on dissocie clairement ce qui relève de la solidarité nationale et ce qui relève de l’assurance. Par exemple, quand vous faites du sport, et que vous vous faites mal, ça relève de l’assurance. Quand vous souffrez d’un cancer, en revanche, ça devrait relever de la solidarité. Pour l’instant, nous sommes dans un système d’entre-deux. Mais la TVA sociale, par exemple, participe de cette idée puisqu’il s’agit de faire passer dans le domaine de l’impôt et de la solidarité une partie du financement de la protection sociale, sauf que ça n’est pas fléché.

Vous comprenez cependant que votre proposition risque d’en choquer certains et soulève un vrai tabou ?

Oui tout à fait, mais c’est le rôle des experts que de poser des questions taboues. Ma proposition peut choquer des gens qui seraient trop libéraux, car d’une certaine façon,  il s’agit bien de nationaliser une partie de l’assurance-maladie, celle qui relève véritablement de la solidarité. Mon idée pourrait tout à fait être reprise par la gauche.

Qu’est-ce qui rentrerait alors dans les pathologies lourdes ?

Il faudrait le déterminer avec des médecins dans une grande concertation. Il y a certaines choses qui sont évidentes comme les maladies génétiques. Mais les ALD par exemple ça demande réflexion même s’il vaut mieux en mettre plus que pas assez. Les cancers du poumon par exemple, c’est un cas difficile parce que chez trois quarts des patients, il s’agit d’une responsabilité individuelle. Mais si je propose de transférer ça dans le système d’assurance, tout le monde va dire que je suis un sans cœur. Donc la solution, c’est de dire que les ALD en règle générale doivent rentrer dans le système de solidarité. Mais en revanche, il faudra mettre en place des politiques de prévention qui sont sans commune mesure avec ce qu’on a fait jusqu’ici.

Justement, c’est votre deuxième proposition pour réformer le système de santé : mettre en place une politique de prévention “digne de ce nom” via une taxe nutritionnelle sur les ingrédients néfastes. Le gouvernement vient déjà d’instaurer une taxe sur les sodas. Cette mesure est-elle vraiment efficace ?

Cette taxe est idiote et elle dévalorise l’idée d’une taxe nutritionnelle. Pourquoi choisit-on de ne taxer que les sodas ? Ce qu’il faut, c’est taxer le sucre par exemple. Il faut taxer les ingrédients nocifs, et là encore, il appartient aux médecins de dire quels sont ces ingrédients. Je pense que c’est la contrepartie inévitable au maintien d’un système de protection sociale le plus égalitaire possible car on sait que l’obésité est un des principaux déclencheurs d’ALD. On ne peut pas ne rien faire. Ce ne serait pas soutenable à terme financièrement. Et cette taxe pourrait se mettre relativement facilement en place.

Vous faites une troisième proposition concernant la rémunération des médecins qui devrait, selon vous, tendre vers davantage de forfaitisation. Que pensez-vous du P4P (paiement à la performance) qui vient d’être mis en place ?

Il faudra faire une évaluation et il y a un bon indicateur pour cela : cela permet-il de rallonger un peu le temps de consultation ? Le paiement à l’acte en tout cas ne peut plus se suffire à lui-même parce que tous les actes n’ont pas la même valeur. A la limite, il vaudrait mieux aller vers ce qui se fait à l’hôpital, c’est-à-dire une rémunération à l’acte, mais différenciée. La tarification à l’acte, on le sait, oriente les médecins vers une activité purement curative. Or, on sait bien qu’on va plutôt passer à une médecine très préventive et très individualisée, dans laquelle il faudra passer plus de temps avec les patients. Les modes de rémunération doivent donc déjà prendre cela en compte.

Est-ce que vous retrouvez quelques-unes de vos propositions dans les programmes des candidats ?

Non, pas du tout et je suis assez pessimiste. La mesure qui trouve le plus d’écho c’est la taxe nutritionnelle, parce qu’en France, dès qu’on propose un impôt nouveau, ça marche, c’est rapide à mettre en place…. Je pense qu’on n’agira que sous la pression financière. C’est un peu triste à dire mais c’est elle qui sera le meilleur stimulus pour changer le système. Aujourd’hui, on va dans la bonne direction mais tellement lentement que je ne sais pas si ça va permettre d’éviter la faillite de l’assurance-maladie. On fait plus de prévention, on met en place de nouveaux modes de rémunération, y compris pour les pharmaciens, mais est-ce que ce sera suffisant ? Je n’en sais rien. Si on accumule pendant encore trois ou quatre ans des déficits de 20-25 milliards d’euros, au bout d’un moment, on ne nous prêtera plus et on se retrouvera dans une situation à la grecque.

Pourquoi ces lenteurs ?

Parce qu’on ne ressent pas encore de façon tangible que le temps presse. On sait qu’il y a des déficits, mais tout ça reste encore un peu abstrait. Les médecins généralistes, par exemple, continuent de se sentir un peu protégés de tout cela. Ce qui n’est pas vrai.


*Nicolas Bouzou est membre du conseil d’analyse de la société auprès du Premier ministre. Il est le directeur-fondateur d’Astérès, un cabinet d’analyse économique et de conseil.


Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Propos recueillis par Concepcion Alvarez