"Attention aux dérives possibles", alerte l’Ordre des médecins. La santé devient en effet peu à peu un ménage à trois avec le patient, le médecin et… Internet. Sites, blogs, forums, réseaux sociaux, applications pour Smartphones et même, depuis peu, cabinets médicaux virtuels, le patient n’a plus que l’embarras du choix, tant que son porte-monnaie suit. L’Ordre demande que le téléconseil, qui pour l’instant n’est pas du tout encadré, soit considéré comme un “acte médical à part entière”.

 

"Existe-t-il une alternative à l’Insuline ?" "Mes globules blancs augmentent pendant ma grossesse, est-ce normal ?" "Existe-t-il un traitement de la maladie de Ledderhose ?" Désormais, plus besoin d’aller consulter pour poser ces questions-là. La réponse peut se trouver sur Internet. On le sait, de plus en plus de Français font confiance au Web pour s’informer sur la santé. Le dernier sondage en date, réalisé par le groupe Pasteur Mutualité, montre ainsi qu’un Français sur trois a déjà utilisé Internet pour rechercher des informations médicales ou de santé et même qu’un quart d’entre eux a déjà renoncé à consulter un professionnel de santé après avoir effectué des recherches sur la Toile.

 

"Clinique virtuelle"

Certains en ont donc profité pour se lancer sur le marché du téléconseil. Il y a d’abord eu Santé-Wengo, l’un des leaders français du conseil par téléphone. Pour 2,50 euros la minute, un médecin inscrit à l’Ordre répond aux questions des internautes par téléphone 24h/24. Puis Médecindirect, Docteurclic, Lavismedical…Et certainement plein d’autres. Le dernier-né s’appelle Francemedecin. Il a vu le jour en décembre et propose une consultation médicale en ligne sept jours sur sept contre 3 euros la minute par téléphone ou 13 euros par mail.

A l’origine du projet qu’ils présentent comme une "clinique virtuelle", il y a Christian Azzopardi, gestionnaire d’établissements médicaux, et le Dr Wilfrid Ecuer, médecin généraliste à Bourgoin-Jallieu, en Isère (38). Pour lui, la création de ce site, c’est surtout un acte de "militantisme" pour répondre au problème de la désertification médicale. "En quelques mois, j’ai vu trois de mes confrères dévisser leur plaque bien avant la retraite. Quand je demandais autour de moi quelle était la solution, personne n’en avait. Alors je ne dis pas que c’est la solution miracle, mais je n’en voyais pas d’autre. Je me suis lancé pour sauver ma profession."

Pour l’instant, l’activité de Francemedecin reste confidentielle avec seulement un à deux patients par jour. La plateforme compte en revanche 26 médecins et semble séduire les professionnels. "Chaque jour on reçoit 2-3 propositions intéressantes, et notamment de généralistes, explique encore le Dr Ecuer. L’erreur consiste souvent à dire que ces plateformes vont concurrencer les consultations en cabinet, mais c’est faux. Il s’agit simplement d’un nouveau mode de consultation qui cherche à rendre service aux urgences et au 15 en les soulageant de tout ce qui ne relève pas de l’urgence. Le site permet aussi de renvoyer dans les cabinets des gens qui n’ont pas du tout l’habitude de consulter."

 

“Flou juridique”

A l’origine, l’idée était beaucoup plus large puisqu’il s’agissait de faire de la téléconsultation telle qu’elle est décrite dans le décret du 21 octobre 2010 sur la télémédecine qui "permet à tout médecin de réaliser une consultation – diagnostic et prescription – à distance, via Internet, par e-mail ou webcam, ou par téléphone". Mais faute d’autorisations, Francemedecin est pour l’instant cantonné à faire du téléconseil, ce qui n’est pas encadré par le décret. "Pour l’instant, les réticences ne viennent ni des médecins, ni des patients, mais des autorités qui ont du mal à ouvrir la boîte de Pandore", précise Wilfrid Ecuer.

Le conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) est notamment visé. Il vient justement de publier une note dans laquelle il demande à la puissance publique de lever le "flou juridique" qui existe sur le téléconseil afin d’intégrer cette activité à la télémédecine. "Ça ne peut pas être laissé à l’état brut, sans aucun contrôle, se justifie Jacques Lucas, vice-président du CNOM, délégué aux systèmes d’information en santé. Je trouve cela choquant que d’un côté, on ait des médecins qui connaissent leurs patients et qui délivrent des conseils pour le coup hautement personnalisés de façon bénévole. Et de l’autre, qu’il y ait des médecins qui se fassent payer pour délivrer des conseils soit disant personnalisés à des patients qu’ils n’ont jamais vus. Cela constitue un exercice illégal de la télémédecine* et une contravention aux dispositions de l’article R 4127-53, actuellement en vigueur, du code de la santé publique. Les autorités doivent clarifier la situation. Nous nous sommes pour la téléconsultation mais pas n’importe comment."

Jean-Yves Robin, le directeur de l’Asip (Agence des systèmes d’information partagés de santé), est lui aussi clair sur le sujet. Et il n’hésite pas à fustiger ceux qui ont sauté sur l’occasion. “Certains acteurs économiques qui avaient un appétit à satisfaire ont vu dans ce décret la possibilité de faire un peu tout et n’importe quoi sous couvert de termes comme téléexpertise ou téléconseil. Mais ces sites n’ont rien à voir avec la télémédecine.” Plus d’un an après l’entrée en vigueur du décret, on peut toutefois s’étonner du nombre encore limité de pratiques s’apparentant vraiment à de la télémédecine en comparaison avec d’autres pays européens comme l’Angleterre, pionnière dans le domaine de la cybersanté publique.

 

"Ce n’est pas magique"

Lancée en 2000 par Tony Blair, la plateforme de téléconsultation NHS Direct a permis en 2010-2011 d’éviter 1,6 million de visites chez le généraliste et 1 million de consultations aux urgences. Une expérience suivie de près par l’Asip. "L’expérience NHS direct est très intéressante, mais il ne faut pas se leurrer, ce n’est pas magique, c’est plus compliqué que cela, analyse Jean-Yves Robin. Les gens appellent pour un oui pour un non, il faut répondre correctement à leurs besoins sans déployer des moyens considérables. Pour mettre en place un tel dispositif en France, il faudrait ouvrir une discussion avec les professionnels de santé pour cadrer les modalités d’intervention d’un tel service par rapport à l’offre."

Et où en est-on justement en France ? "Les textes sont récents, répond le directeur de l’Asip, les arbitrages politiques ne sont pas encore pris, ça prend du temps et on peut en effet regretter que ça n’aille pas plus vite, notamment en médecine rurale ou sur la prise en charge des AVC. Mais dans 12 à 18 mois, on aura en France quelques projets pilotes de télémédecine qui auront atteint un niveau d’activité en routine suffisant pour pouvoir devenir de vrais démonstrateurs. Reste maintenant à trouver un modèle économique convenable. C’est pour l’instant un verrou important qu’il faudra absolument lever dans les mois à venir, ce serait un signal fort pour les médecins que de mettre en place des rémunérations expérimentales."

En tout cas, c’est clair, la pratique de demain intégrera une part importante de télémédecine. "Aujourd’hui, le seul moyen de consulter un généraliste, conclut Jean-Yves Robin de l’Asip, c’est d’aller consulter. A l’évidence, demain ce mode de consommation de la santé sera un mode parmi d’autres et on aura la possibilité sans aucun doute depuis notre ordinateur de rentrer en relation avec un médecin : ça va économiser des déplacements, ça va rapprocher les distances. Tout ça a plein de vertus." Attention tout de même à l’overdose d’Internet qui a déjà fait plusieurs victimes, dont Thierry Crouzet, un écrivain-blogueur* qui a dû tout débrancher pendant six mois pour se sevrer après une crise d’angoisse, apparemment causée par un surmenage technologique.


*A LIRE. "J’ai débranché – Comment revivre sans internet après une overdose" chez Fayard

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Concepcion Alvarez