C’est une première. Traditionnellement peu enclins à voter Front national, les professionnels de santé ne feraient plus figure d’exception lors de la prochaine élection présidentielle.


 
Les derniers sondages sur leurs intentions de vote laissent augurer un score bien supérieur pour Marine Le Pen au premier tour que pour son père il y a 5 ans. La candidate du Front national est créditée de 8 % des voix de l’ensemble des professionnels de santé selon le JIM.fr, contre 3 % accordées à son père Jean-Marie Le Pen en 2007, confirmant une forte poussée à la hausse de l’extrême droite déjà dégagée mi-janvier par le sondage d’Impact Médecine. 14 % des médecins généralistes déclaraient alors vouloir voter Le Pen* au premier tour, tout comme 17 % des médecins spécialistes libéraux et 18 % des pharmaciens*

 

"Fachos du coin"

A droite comme à gauche, les voix syndicales s’accordent : il ne s’agirait pas d’un vote d’adhésion aux théories frontistes mais de protestation, symptomatique du profond mal-être des professions libérales, pour qui l’extrême gauche de Mélenchon reste un choix politique trop éloigné de leurs intérêts économiques et sociaux.

Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l’extrême droite française, est beaucoup plus alarmant : "Ce qui n’était pas possible il y a cinq ans avec son père le devient avec Marine Le Pen." La candidate développe de nouvelles thématiques susceptibles d’attirer un électorat élargi (collusion entre l’UMP et le PS, délocalisation des activités etc…), "tient un discours beaucoup moins transgressif que Jean-Marie Le Pen et en terme d’image, c’est une femme plus jeune qui présente bien. En votant pour elle, ces notables sans doute déjà sensibles aux idées frontistes en 2007 n’ont plus peur d’être catalogués comme les fachos du coin. Les fondamentaux du programme restent les mêmes, mais le tabou de l’étiquette FN tombe".

Côté fonction publique, une étude du Cevipof réalisée en décembre 2011 indique elle aussi que les intentions de vote pour le premier tour de l’élection présidentielle en faveur de Marine Le Pen sont particulièrement marquées chez les salariés hospitaliers, avec 18 % d’intention de vote au premier tour, soit plus que les intentions de vote de la fonction publique de l’état (15 %) ou que de la fonction publique territoriale (13 %).

 

"Excellence française"

Tourner la page de la Révision générale des politiques publiques (RGPP), revaloriser les fonctionnaires, "cœur de l’identité nationale française", assurer la sécurité du personnel soignant, assécher le recours aux médecins à diplômes étranger, "dont la filière fabriquée de toutes pièces dans le but de payer les gens à moindre coût sans se soucier de la qualité des diplômes diminue dramatiquement le niveau d’excellence française". ..L’adhésion aux propositions de la candidate d’extrême droite est plus forte chez les salariés hospitaliers de rangs modestes aux diplômes les moins élevés, soit une répartition sociologique des intentions de vote Front national fidèle à celle de l’ensemble de l’électorat français. A une nuance près :

"Les travailleurs pauvres et sous diplômés de l’hôpital sont séduits par le discours populiste de Marine Le Pen par manque d’explications et d’analyses, rapporte le médecin urgentiste CGT Christophe Prudhomme. En revanche, quand il s’agit de travailler entre eux, il n’y a aucun problème d’intolérance. Là où le racisme est le plus dur et le plus dangereux, c’est chez les classes hautes de l’hôpital, qui traitent les médecins à diplôme étranger comme des chiens."

Arrivée en France il y a 24 ans, Fatima El-Badri, médecin urgentiste franco marocaine spécialisée en chirurgie au centre hospitalier de Chatellerault (86), en a vu de toutes les couleurs pour finir par porter plainte contre son directeur, qu’elle accuse de discrimination raciale. "Il n’arrêtait pas de me dire que j’étais nulle, que je n’avais pas les compétences", raconte celle qui a pourtant obtenu son diplôme d’équivalence en l’an 2000. 

 

Ultime rempart

Accusée à tort d’abandonner son poste alors qu’elle est en RTT, obligée de payer les PV de sa poche lorsqu’elle se fait flasher alors que ceux de ses collègues nés et diplômés en France sont pris en charge par l’hôpital… Les discriminations pleuvent et viennent surtout du personnel administratif.

"De manière général, on ne nous dit jamais que nous sommes de bons médecins", résume Fatima El-Badri au nom de tous ses collègues à diplômes étrangers de Chatellerault. Fameux diplôme, qui, du temps de Jean-Marie, constituait LA variable sociologique discriminante, ultime rempart aux théories frontistes, toutes matinées qu’elles soient. Reste un peu moins trois mois pour s’en souvenir. Et se reprendre, si besoin est.


* Selon le dernier sondage Ifop du 3 février, Marine Le Pen récolterait 19 % des voix au premier tour des élections présidentielles de 2012. Les intentions de vote de Marine Le Pen ont augmenté de + 5,5 % chez les professions libérales entre juin-octobre 2010 et avril 2011. Son père avait récolté 10,44 % des suffrages en 2007, 16, 86 %  et 17,79 % des voix au premier et second tours des élections présidentielles de 2002. En 2007, un sondage Ipsos recensait que Jean-Marie Le pen cumulait 7% d’intentions de vote chez les médecins.

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Mathilde Debry