Ils sont au total 36 médecins retraités mobilisés sur tout le territoire pour venir en aide aux sans-abris lors des maraudes organisées par les associations. 36 médecins répartis dans 12 grandes villes* de France, ça fait un peu léger. La grande opération lancée en novembre dernier par Benoist Apparu, le secrétaire d’Etat au Logement, et relayée dans tous les médias ces derniers-jours, semble finalement n’être qu’un pétard mouillé, voire même glacé…

 

Il est midi ce jeudi quand le Dr Claudine Houdet, 66 ans, anesthésiste à la retraite depuis un an, est appelée pour assurer une maraude le soir même, dès 18h. "Je comprends que certains bénévoles se désistent, raconte-t-elle. Ça me paraît très mal organisé au niveau de l’Eprus [Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, chargé de mobiliser des médecins réservistes dans des situations de crise, ndlr], ils ont l’air d’être un peu affolés, pourtant, ils ont mon planning depuis janvier, ils auraient pu anticiper. La vague de froid avait largement été annoncée avant jeudi !"

 

"Sous l’eau"

Vendredi soir, elle doit retourner "marauder" avec l’association Les enfants du Canal qui tourne dans plusieurs arrondissements de l’ouest parisien. Mais rien ne lui a été confirmé par l’Eprus alors qu’en Ile-de-France, le plan grand froid est prévu jusqu’à mardi au moins. "Déjà pendant la campagne de vaccination, ça n’avait pas été très bien organisé, on m’envoyait à droite à gauche tous les jours sans réelle coordination. Cette fois, il y a trois personnes différentes qui m’ont demandé mon planning, et quand j’ai voulu donner celui de mars, on m’a répondu qu’on verrait ça plus tard."

A l’Eprus, on nous avoue être en effet un peu "sous l’eau" et on nous indique qu’il faudra rappeler plus tard pour une interview. Pourtant, le dispositif a été lancé en grandes pompes il y a déjà plus de deux mois. "Pour la première fois cette année, avait dit Benoist Apparu, le secrétaire d’Etat au logement, grâce à une action conjointe des ministères du Logement et de la Santé, il est prévu de faire appel, en cas de grand froid, à des médecins retraités réservistes, pour appuyer les équipes mobiles qui vont à la rencontre des personnes sans abri". Les températures très clémentes du début de l’hiver auraient dû leur permettre de s’organiser. Au lieu de ça, c’est un peu le cafouillis.

Alors que la circulaire interministérielle du 21 octobre 2011 prévoit que les associations venant en aide aux personnes sans-abri et effectuant des maraudes, en particulier celles qui sont en charge du SAMU social, pourront bénéficier de l’affectation d’un médecin au sein de leurs équipes d’intervention, dans les faits, les choses ne sont pas si simples et le dispositif n’est vraisemblablement pas très connu.

 

"Pas l’ombre d’un médecin à l’horizon"

Dans la capitale, le niveau 2 du plan grand froid a été déclenché mercredi après-midi par le préfet de région, Daniel Cenepa, rendant dès lors effective la mobilisation des réservistes, via l’Eprus. Résultats : 9 médecins réquisitionnés à Paris, 4 en Seine-Saint-Denis, 3 dans les Hauts-de-Seine et 3 dans le Val-de-Marne. Soit, au total, 19 médecins pour toute la région parisienne. Des volontaires retraités difficile à retrouver du coup.

En effet, quand on prend la liste des associations bénéficiant a priori du dispositif en Ile-de-France – fournie par la très officielle préfecture – on se rend compte au fur et à mesure des coups de fils que soit elles ne sont pas au courant de cette possibilité, soit elles n’y ont pas fait appel. Au final donc, sur les six associations citées, seules trois bénéficient réellement d’un appui de médecins retraités. Il y a l’association Aurore, qui organise trois maraudes chaque jour, et qui a reçu le soutien de deux médecins. La Croix-Rouge aussi et sa désormais fameuse Jacqueline Grecco, médecin retraité réserviste de l’Eprus interviewée partout hier, Le Parisien, TF1, BFM…

Et puis il y a aussi Les enfants du Canal que nous avions contactés au moment de l’annonce du secrétaire d’Etat. Son président Christophe Louis était catastrophé quand nous l’avons rappelé mardi. "Pas l’ombre d’un médecin à l’horizon alors qu’on annonce des températures très basses pour les prochains jours.” Jeudi, c’est avec soulagement qu’il nous annonce l’arrivée d’un médecin pour le soir même. Mais tout n’est pas rose pour autant. “On a perdu deux jours pendant lesquels on aurait mérité d’avoir un médecin. Et puis le plan grand froid court jusqu’au 7 février, mais on nous a annoncé qu’on n’aurait un médecin que pendant trois jours.”

 

Ratés administratifs

Il est pourtant convaincu que ce dispositif peut être très utile. "Les travailleurs sociaux n’ont pas forcément de connaissances médicales et les sans-abri ne font pas toujours la démarche d’aller se soigner. Ces maraudes avec un médecin peuvent donc permettre des hospitalisations chez des personnes qui n’auraient jamais osé se rendre à l’hôpital par eux-mêmes."

Malgré les "ratés" administratifs, Claudine Houdet, médecin attitrée de l’association pour trois jours, est elle aussi convaincue de l’intérêt de développer ce genre d’initiatives avec des associations qui connaissent très bien le terrain et les sans-abris. Grâce à ses co-équipiers, elle a pu être très vite intégrée, ce qui n’est pas toujours évident dans la rue (écoutez le témoignage sonore).

  Le dispositif avait déjà été expérimenté en 2008-2009 par le Samu social de Paris et avait permis d’"améliorer le diagnostic" et le "dialogue" avec les sans abri, avait noté la délégation interministérielle pour l’hébergement et l’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées. Son initiateur, Xavier Emmanuelli, avait alors lancé un cri d’alarme auprès de ses confrères.

 

"Etat de faiblesse"

"Il faut que les médecins s’impliquent ! Ils doivent empêcher que l’on prenne de force les personnes dans la rue. En accompagnant les maraudes des associations, ils vont pouvoir établir un diagnostic et orienter correctement les personnes qui souffrent", avait-il dit au Point.fr. "Les gens de la rue souffrent d’hypothermie, de problèmes digestifs, respiratoires ou de divers troubles. Nombre d’entre eux sont plus sensibles au froid parce que leurs organismes sont usés et qu’ils sont déjà dans un état de faiblesse. Un bon diagnostic de la part de professionnels permet l’orientation hospitalière soit vers des urgences, soit vers des services psychiatriques, et constitue à mon sens la meilleure réponse à cette crise."

Son appel a finalement été entendu par le gouvernement actuel qui a alloué un budget de 300 000 euros afin de financer l’intervention des médecins, soit l’équivalent de 1 200 journées de travail. Une fois encore, après l’épisode de la grippe A H1-N1, on peut dire qu’ils ont vu trop grand !


* Paris et petite couronne ; Lyon ; Marseille ; Lille ; Bordeaux ; Toulouse ; Nantes ; Montpellier ; Strasbourg ; Metz ; Nancy ; Rennes.


Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Concepcion Alvarez