Les négociations sur le secteur optionnel pour les praticiens à plateau technique lourd ont fait émerger l’insoluble problématique de la limitation du secteur 2. Le gouvernement est pressé mais l’Ordre refuse de se hâter à livrer une définition du "tact et mesure". Pour mieux l’encadrer.

 

Ca tire à boulets rouges sur les dépassements d’honoraires. Députés et sénateurs, associations de patients et mutuelles, tous s’unissent pour brocarder la dérive du secteur à honoraires libres qui, dans certaines spécialités et certains bassins de vie, départements ou régions, met en danger l’accès aux soins.

 

Fin de la liberté

Mais alors que le gouvernement avait plutôt jusqu’ici joué l’apaisement, voilà qu’il semble changer de ton, à trois mois de l’élection présidentielle. Selon un sondage récent, 66 % des Français considèrent "illégitimes" les dépassements d’honoraires pratiqués par les médecins en secteur 2. Un taux qui interpelle. Selon l’Igas (Inspection générale des affaires sociales), les dépassements d’honoraires auraient doublé en secteur 2 entre 1990 et 2004, notamment chez les médecins spécialistes où le taux de dépassements atteignait 45 % une année plus tard.

Or, plus d’un quinquennat plus tard, rien n’a changé, bien au contraire. Et l’on voit le ministre de la Santé Xavier Bertrand engager hier 600 millions d’euros pour solder le problème des RTT des praticiens hospitaliers (une bombe à retardement électorale). Et acquiescer dans le même temps, mais sans le dire ouvertement, à la fin de la liberté des honoraires en secteur 2 (idem).

Après avoir jeté un œil sur les enquêtes d’opinion et un autre sur les fiches des Renseignements généraux relatifs à l’état d’esprit du corps médical, le ministre a enjoint ce matin le conseil national de l’Ordre des médecins, de qui il attend "beaucoup", de lui transmettre "au plus vite" une définition du tact et mesure en matière de dépassements d’honoraires.

Pourquoi cette hâte ? Parce que Xavier Bertrand s’est engagé à conclure un accord accepté par toutes les parties sur le secteur optionnel avant l’élection, et que les négociations sur ce sujet ont repris jeudi dernier.

 

Echelle de sanctions

Lors de cette réunion, un grand pas a été fait. Les caisses accepteraient d’augmenter les honoraires des praticiens du premier secteur pour les chirurgiens et les obstétriciens (ce qui réduit le différentiel entre ces honoraires et ceux du secteur optionnel, pris en charge par les organismes de protection complémentaire). Mais cette hausse a une contrepartie : la définition du tact et mesure et l’obligation de conclure un accord sur la limitation des dépassements en secteur 2, ce qui est largement plus facile à dire qu’à faire.

En outre, l’assurance maladie propose de confier aux commissions conventionnelles le soin de sanctionner les praticiens auteurs de dépassements hors du tact et mesure, en imaginant une échelle de sanctions pouvant aller de la suspension du droit au dépassement au déconventionnement total !

Réponse du président du Conseil national de l’ordre des médecins, Michel Legmann, qui recevait lui aussi la presse à l’occasion de la nouvelle année ? "Nous refusons de nous insérer dans un calendrier électoral". L’Ordre a en effet inscrit ce sujet à l’ordre du jour d’un séminaire sur l’accès aux soins, sa priorité de 2012, prévu en… Mai prochain et il n’y aura rien avant. "Il y a énormément de travail à effectuer car nous agissons pour la défense des médecins mais essentiellement dans l’intérêt des patients."

Les conseillers ordinaux se sont notamment donnés un objectif : trouver la juste proportionnalité et déterminer par exemple le bon pourcentage de praticiens en honoraires libres par rapport aux praticiens en secteur opposable."En cette matière, nous avons toujours fait preuve de raison, en recommandant par exemple aux chirurgiens amenés à explanter des patientes porteuses de prothèses PIP d’appliquer des honoraires en tarif opposable."

 

Gendarmes aveugles

Mais le président ajoute que l’écart se creuse entre les possibilités de financement de l’assurance maladie et l’obligation de proposer à des praticiens qui s’installent vers 37 ou 38 ans une rémunération digne de leurs efforts de formation. "Si on nous demande de définir le tact et mesure, les pouvoirs publics doivent également être conscients que des honoraires décents doivent répondre à des formations aussi longues que celles des médecins. Sinon, la pénurie en libéral s’accentuera", prophétise-t-il.

Jusqu’ici, l’Ordre des médecins est, dans les textes, le responsable de la bonne application du tact et mesure par les praticiens. Mais ce sont des gendarmes aveugles. Ils ne disposent d’aucune donnée nominale car celles-ci sont détenues par l’assurance maladie et les mutuelles et assurances de santé.

Les seules sanctions que l’ordre est amené à prendre dans ce domaine touchent des praticiens objet de plaintes de patients pour dépassements excessifs, "ce qui est extrêmement rare", souligne le Dr André Deseur, président de la section Exercice Professionnel au Cnom et délégué à la communication. "Le ministre attend beaucoup de nous, mais nous attendons beaucoup de l’assurance maladie, qui ne communique que des données statistiques, totalement inutilisables en droit", ajoute-t-il.

Particulièrement dans le collimateur, certains PU-PH qui pratiquent des honoraires exorbitants dans le cadre de leur activité privée. "Jusqu’à dix fois le prix pour la pose d’une prothèse de hanche" explique André Deseur. L’assurance maladie semble décidément tout à fait prête à jeter seule ses rais sur l’application des honoraires libres et la "guidance de l’activité des praticiens", critique-t-on à l’Ordre.

 

"L’encadrement de tout le secteur 2"

Pour preuve : les commissions paritaires assurance maladie/ordre prévues par la loi Hôpital, patients, santé et territoire, destinées à juger des refus de soins et dépassements d’honoraires excessifs n’ont jamais vues le jour depuis 2009. Malgré les demandes réitérées de l’Ordre à la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), "qui n’a pas tenu ses engagements". "Ces commissions représentent une bonne solution, et permettent de résoudre les conflits sans recourir systématiquement à la sanction en première intention" souligne le Pdt Legmann en confiant que l’Ordre a réussi, sans médiatisation, à stopper certaines pratiques excessives visées par l’assurance maladie dans un cadre de consultations privées.

L’Ordre regretterait-il de se voir priver de cette prérogative vis-à-vis des honoraires libres ? "Non, si le suivi est d’ordre conventionnel, ce n’est plus notre affaire. Nous donnerons notre avis déontologique lorsque l’avenant sera signé", remarque le Dr Deseur. "On commence par brocarder les dépassements pharaoniques en secteur 2, mais on connaît bien le but poursuivi : l’encadrement de tout le secteur 2" s’énerve le Dr. Jean-Paul Hamon, le président de la FMF.

Ce début d’accord est pour lui un leurre car l’assurance maladie ne voudra jamais, pour des raisons d’affichage politique et vu l’état de ses finances, augmenter les chirurgiens et les obstétriciens, qui se situent tout en haut de l’échelle des revenus médicaux… "Les caisses veulent progressivement grignoter les prérogatives de tous les autres pour être les seuls interlocuteurs", affirme-t-il. Une prochaine réunion, dite de chiffrage du secteur optionnel, est prévue vendredi prochain. Qu’en attendre, puisque l’Ordre a déjà fait savoir qu’il ne se pencherait sur le dossier du tact et mesure qu’en mai prochain ?

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Le Borgne