Le Pr André-Laurent Parodi, directeur honoraire de l’Ecole nationale vétérinaire d’Alfort et nouveau président de l’Académie nationale de Médecine, explique l’importance de la coopération entre médecine humaine et vétérinaire et nous parle de ses projets pour l’Académie.

 

 

 

L’élection d’un vétérinaire à la tête de l’Académie nationale de médecine a de quoi surprendre. Pouvez-vous nous expliquer ce choix ?

Pr André-Laurent Parodi : Des vétérinaires ont fait partie de l’Académie de médecine dès sa fondation, par Louis XVIII, en 1820. Le roi avait jugé que leur expérience pouvait être utile pour le conseiller dans la gouvernance de la santé en France. A l’ère pasteurienne, les vétérinaires ont été les premiers à défendre la théorie des germes, que les médecins ont longtemps considérés avec réticence, parce que Pasteur n’était pas des leurs. Les vétérinaires ont été précurseurs en la matière, avec de grands vétérinaires infectiologues, comme Edmond Nocard, Camille Guérin, co-inventeur du BCG, Gaston Ramon découvreur des anatoxines.

Enfin, les vétérinaires se sont illustrés au cours des grandes crises sanitaires qui ont marqué les dernières décennies : maladie de la vache folle, SRAS, grippe aviaire, fièvre du West Nile… Les trois quarts des infections émergentes de l’Homme sont d’origine animale. Les vétérinaires ont été sollicités pour faire office de sentinelles face à ces maladies animales transmissibles à l’homme, en mettant en place un système de surveillance épidémiologique propre à détecter précocement les premiers signes de ces maladies et en réalisant des campagnes de prophylaxie par la vaccination et l’abattage systématique d’animaux suspects.

Désormais les vétérinaires sont considérés comme de grands acteurs de la santé publique humaine, par leurs interventions dans la lutte contre les maladies émergentes et en contribuant, en outre, aux avancées de la médecine clinique et de la chirurgie par le biais de la médecine expérimentale.

 

Quels sont vos projets à la tête de l’Académie ?

Je souhaite remplir mes fonctions de président dans l’esprit de l’Académie de médecine. Le fait que je sois vétérinaire est secondaire. L’Académie est un organisme très important, qui a de nombreux atouts, à commencer par la multiplicité des compétences réunies en son sein. Le deuxième atout de l’Académie est son indépendance. Cela lui permet de jouer un rôle d’instance de réflexion et de proposition en matière de politique sanitaire. Je souhaite amplifier cette activité et je pense qu’il serait possible d’améliorer les compétences de l’Académie en ayant une politique de renouvellement des sièges qui soit programmée et réfléchie.

Très souvent les nouveaux membres sont proposés au sein de réseaux de connaissance; c’est une pratique souvent fructueuse mais qui risque d’être aléatoire. Je propose que nous établissions une sorte d’observatoire permanent de la démographie de l’Académie nous permettant de juger, en temps réel, à la fois des différentes spécificités médicales qui y sont représentées ainsi que de l’origine géographique de ses membres. Toutes les régions de France sont riches en structures de soins et de recherche et doivent être sollicitées pour fournir leur contingent d’académiciens. Nous devons réaliser l’inventaire des disciplines qui constituent l’Académie. Celle-ci comporte quatre divisions : médecine, chirurgie, biologie, santé publique dont font partie les vétérinaires (au nombre de six actuellement, sur 130 académiciens titulaires).

Chacune de ces divisions devra faire l’inventaire des compétences qui y sont représentées, les confronter à la diversité des spécialités de la médecine actuelle et déterminer les manques éventuels, en prenant en compte les évolutions existantes et prévisibles de la médecine Ainsi l’imagerie médicale y compris interventionnelle, est en train d’exploser et cette discipline est peut-être sous représentée. A partir de cet inventaire il faut établir une véritable politique prospective et rationnelle de nos recrutements, de manière à mieux nous adapter à la réalité scientifique et médicale, présente et future. Par ailleurs je voudrais que le recrutement soit réalisé uniquement ou quasi exclusivement parmi les membres correspondants de l’Académie. Ces confrères, qui sont pour la plupart en activité, ont l’avantage d’être des observateurs permanents des difficultés et des évolutions de la médecine. En revanche, ils sont peu disponibles, puisqu’ils continuent d’assurer leurs fonctions toujours très prenantes. Ces membres correspondants sont nos experts, le «vivier» de l’Académie. C’est le futur de l’Académie.

 

Les infections d’origine animale constituent-elles une menace particulière aujourd’hui ?

Le passage d’agents infectieux de l’animal à l’homme a toujours existé. L’étude de restes humains et animaux du néolithique et l’analyse bactériologique fine par des techniques de la biologie moléculaire, ont montré que beaucoup d’infections de l’homme, comme la tuberculose, la brucellose, la diphtérie, les oreillons, la variole, ont émergé au moment du développement de l’élevage. Lorsque l’homme a domestiqué les animaux et s’est sédentarisé, des agents pathogènes animaux sont passés à l’homme en s’adaptant. Aujourd’hui le bacille tuberculeux de l’homme n’est pas tout à fait le bacille tuberculeux bovin, mais les techniques moléculaires prouvent qu’il provient de la même souche. Il en est de même pour la rougeole, la diphtérie, les oreillons…

La cohabitation plus étroite de l’homme et de l’animal est très certainement à l’origine de la plupart des maladies infectieuses, bactériennes et virales et aussi de certaines maladies parasitaires. Le paludisme, par exemple, est probablement d’origine animale, passé à l’homme à partir des grands singes. Ce phénomène a toujours existé, mais aujourd’hui on assiste à une formidable accélération de l’émergence de ces maladies, sous l’effet de divers facteurs. Le développement de grandes concentrations humaines, urbaines, en particulier en Extrême-Orient, avec une promiscuité forte entre humains et animaux, augmente les risques de contamination.

L’allongement de la durée de la vie humaine, l’accroissement du nombre des individus immunodéprimés, fragilisent certaines populations. L’augmentation et l’accélération extraordinaires de la circulation d’êtres humains, de denrées animales et d’animaux représente un facteur majeur de dissémination d’agents infectieux. Le tourisme, notamment l’écotourisme, entraîne un mouvement de personnes le plus souvent de pays développés vers des zones reculées. Autrefois les voyageurs en provenance de pays lointains étaient soumis à la quarantaine, permettant aux éventuelles maladies dont ils pouvaient être porteurs d’éclore. Aujourd’hui, la rapidité des transports fait que la durée de l’incubation est souvent supérieure à celle des voyages.

L’épidémie de SRAS a bien montré qu’une personne infectée asymptomatique en provenance d’Extrême-Orient peut présenter les signes de la maladie le lendemain de son arrivée au Canada. D’autres facteurs interviennent probablement, comme le réchauffement climatique, qui favorise la progression des vecteurs vers le nord, ou les grandes perturbations entraînées par la pression humaine, les barrages, par exemple. Il est très probable que la grande épidémie d’infections par le virus de la Vallée du Rift en Egypte a été déclenchée par le barrage d’Assouan, qui a favorisé la pullulation des moustiques vecteurs. Plusieurs exemples montrent que la déforestation, en détruisant le gite habituel de certains animaux, rongeurs notamment, les poussent vers les lieux habitées par l’homme, où ils introduisent leurs agents infectieux. Il faut encore rappeler l’introduction, licite ou illicite, de nouveaux animaux de compagnie originaires de pays exotiques, dans nos foyers. Enfin, les conflits régionaux qui se multiplient, les crises politiques, les famines provoquent des déplacements et des regroupements improvisés de populations humaines et animales, dans des conditions de dénuement, de manque d’hygiène et de promiscuité qui sont autant de conditions hautement favorables à l’éclosion de maladies transmissibles de l’animal à l’homme. 

 

A-t-on des moyens suffisants au niveau mondial pour lutter contre ces risques ?

Dès 1995, l’OMS a adopté une résolution dans le but de détecter les maladies infectieuses nouvelles ou émergentes et les maladies réémergentes. De manière à y parvenir, plusieurs institutions nationales et supranationales se sont dotées de programmes spécifiques. Constatant les limites des approches conventionnelles de la lutte contre les maladies infectieuses et la nécessité de prendre en considération les liens entre affections humaines et animales, la Société pour la conservation de la faune sauvage (Wildlife Conservation Society, WCS) a proposé, en 2004, une approche globale, à caractère préventif, de protection de la santé humaine baptisée « One World, One Health ».

Cette démarche visait à renforcer les relations entre santé humaine, santé animale et gestion de l’environnement. Six organisations internationales de premier plan : l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), l’Organisation Mondiale de la Santé Animale (OIE), le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF), le Bureau du Coordinateur du Système des Nations Unies sur la Grippe (United Nations system for Influenza Coordinator, UNSIC) et la Banque Mondiale, ont élaboré en 2008, un cadre de référence fondé sur ce concept. En avril 2010, la FAO, l’OIE et l’OMS ont réaffirmé l’importance et l’utilité d’une telle approche dans un document tripartite sur «Le partage des responsabilités et la coordination des actions globales dans la gestion des risques sanitaires aux interfaces homme-animal-écosystème».

 

Quelles sont les principales menaces dans le futur ?

On parle beaucoup de certaines maladies qui sont sous contrôle, surveillées en permanence. Mais il existe des zoonoses dont on parle très peu, comme la rage, qui tue des dizaines de milliers d’hommes et de femmes chaque année. Nous avons des moyens de combattre cette infection. Nous en avons fait la démonstration en France dans les années 1970, lorsque nous avons éradiqué l’ épizootie de rage dites selvatique, en provenance de l’est, transmise par des renards. Nous y sommes parvenus grâce à un système ingénieux de vaccins oraux administrés sous forme d’appâts disséminés dans la nature. Nous sommes donc capables d’éradiquer la rage, mais pour cela il faut de l’argent, des moyens. C’est une maladie dont on parle peu, mais qui nous préoccupe beaucoup. Elle ne devrait plus exister.   

 

Comment voyez-vous la place de l’Académie dans la société ?

Je souhaite que l’Académie soit plus visible, plus écoutée. C’est un devoir et je m’efforcerai de faire en sorte que notre audience soit encore plus large, non seulement au plan national mais aussi international. Il faut nous rapprocher également d’autres sociétés savantes. C’est ainsi que je serai très heureux d’accueillir le 20 janvier la Société française de Sénologie et de Pathologie mammaire pour son colloque annuel, co-organisé par notre division de chirurgie. Je voudrais rappeler, enfin, que l ’Académie dispose d’un patrimoine architectural et artistique considérable. Elle est dépositaire d’un fonds ancien bibliographique exceptionnel, ouvert aux chercheurs et au public. Nous devons faire un effort pour encore mieux informer le public de ces richesses accessibles à tous.

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Dr Chantal Guéniot