Nouvelles technologies de l’information (NTI), informatisation,  télémédecine, e-prescription, dossier médical personnel (DMP)… Le médecin et la machine ne vont bientôt plus former qu’un. Mais gare à ce que la machine ne se grippe ou pire encore, que les professionnels ne la prennent en grippe. Elle ne peut pas tout et pour certains elle est même source de nouvelles erreurs.

Il y a quelques mois, un bébé de quelques heures a pu être sauvé grâce à l’intervention d’un robot. Souffrant d’une malformation congénitale de l’œsophage, la petite Louise a été opérée au CHU de Limoges avec un robot, ce qui constitue "une première en Europe", a annoncé hier Laurent Fourcade, le chirurgien à l’origine de l’intervention. "Nous avons démontré pour la première fois que ce robot était opérationnel dans l’urgence (…) mais c’est aussi la première fois qu’un tel appareil est utilisé sur une si petite enfant", s’est-t-il ainsi félicité.

 

"Très grande naïveté "

Cette expérience réussie laisse présager de l’avenir de la médecine. Les machines vont être amenées à épauler ou pallier de plus en plus souvent les médecins via le développement de la télémédecine. C’est vrai aussi pour les libéraux appelés à s’informatiser massivement. Certaines voix s’élèvent toutefois pour rappeler qu’il faut avancer dans ce domaine avec prudence.

Bruno Charpiat est pharmacien à l’hôpital de la Croix-Rousse à Lyon. Il est chargé d’analyser les prescriptions médicamenteuses rédigées par les médecins, qui sont dans certains services informatisées.

Interviewé dans la Lettre DPC & Pratiques par la HAS (Haute autorité de santé), il explique : "Je crois qu’il existe encore une très grande naïveté des utilisateurs vis-à-vis de l’informatique qui est souvent perçue comme infaillible. Dans le domaine de la santé c’est loin d’être le cas. Un logiciel de prescription devrait être développé comme un médicament. Il y aurait ainsi plusieurs phases ; une phase de développement au laboratoire : une phase dans laquelle on prend en compte des vrais malades mais sous la surveillance stricte des professionnels de santé concernés en collaboration avec les éditeurs de logiciels, etc."

 

"Au volant d’une formule 1"

Au sein de son établissement, il a analysé plus de 7 000 ordonnances et est intervenu pour corriger 1 562 prescriptions, certaines ordonnances comportant plusieurs problèmes : surdosages médicamenteux (20 %), interactions médicamenteuses (21 %), modalités d’administration inappropriées (26 %) et médicaments inutiles (26 %). Au total, sur les 509 interventions constituant le groupe des modalités d’administration inappropriée, 300 étaient en rapport avec l’informatique, soit plus de la moitié.

"Les logiciels informatiques sont complexes et demandent un temps de formation, explique ainsi Bruno Charpiat. Or les internes changent tous les 6 mois. Récemment, nous avons eu une interne qui a échappé aux mailles du filet de la formation obligatoire à l’emploi du logiciel de prescription. Pour moi, ce médecin est dans la position de quelqu’un qui n’a jamais conduit et que l’on met au volant d’une formule 1."

De même, Ross Koppel, professeur de sociologie à l’université de Pennsylvanie, aux Etats-Unis, soutient qu’en pratique, "les nouvelles technologies de l’information (NTI, ndlr) conduisent à de nouvelles erreurs médicales". Il a ainsi relevé des exemples saisissants lors de ses recherches dans des hôpitaux américains à la pointe de l’informatisation. "Malheureusement, ajoute-t-il, les NTI font l’objet d’une confiance excessive qui empêche de voir leurs défauts et de les critiquer."

En 2005, il publie un article très polémique dans lequel il affirme que les "NTI conduisent à une aggravation de l’état des malades, voire à leur mort". "Au total, selon lui, à l’intérieur même des établissements de soins, on pouvait estimer que ces systèmes tuaient plus que les accidents de voitures ou le cancer du sein. Pour les États-Unis, le nombre de morts pouvait être évalué entre trente-cinq mille et quarante-cinq mille !"

Ses travaux montrent par exemple que sur une base hebdomadaire, des doses incorrectes ont été prescrites ou que les patients n’ont pas reçu de médicaments en temps voulu en raison de problèmes informatiques.

 

Sur-irradiés

Une récente étude du Jamia (Journal de l’Association américaine d’information médicale) menée en juillet dernier aux Etats-Unis est moins alarmante. Elle montre que sur les 200 000 médecins qui utilisent l’e-prescription, le taux d’erreurs constaté sur les ordonnances électroniques est comparable à celui des ordonnances manuelles, autour de 12%. Une sacrée déception pour les experts américains de la réforme de la santé qui avaient assuré que l’e-prescription engendrerait moins d’erreurs et permettrait de grandes économies sur les budgets de santé.

Alors oui, il faut aller vers l’informatisation et l’introduction des NTI, mais gare à ce que la folle machine ne devienne incontrôlable. La triste affaire des irradiés d’Epinal reste dans les mémoires. Ces malades atteints d’un cancer ont été grièvement brûlés lors de séances de radiothérapie à l’hôpital Jean Monet. Au moins 5 500 patients ont été sur-irradiés entre 1987 et 2006 à la suite d’une erreur de programmation dans le système de planification de traitement, recevant des doses supérieures à la prescription de 20 à 30 %.

Plus récemment, dans le cadre du festival de la communication santé qui s’est tenu à Deauville début novembre, le Pr René Amalberti, conseiller à la gestion des risques à la HAS, professeur de médecine interne et conseiller pour la prévention à la Macsf, rappelait que 21 études sur 23 avaient démontré que le système informatique avait augmenté les erreurs. "C’est l’éducation dans l’usage et le temps qui y a été consacré qui est en cause", avait-il insisté en évoquant les graves incidents qui ont pu être causés par de mauvais paramétrages ou déparamétrages de machines parce que ses utilisateurs n’en pouvaient plus du bruit agaçant des alertes…

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Concepcion Alvarez