La Loi « Hôpital, patients, santé et territoires » met en place dans son article 51 la possibilité d’instaurer une coopération entre les professionnels de santé. Il suffit que ces derniers proposent un protocole à l’Agence Régionale de Santé (ARS), qui le fait avaliser par la Haute autorité de santé (HAS) avant de le mettre en place. Or, sans publicité et surtout sans en référer aux syndicats professionnels concernés, une longue liste d’expérimentations de coopérations  – 35 – a été élaborée qui n’a pas fini de faire frémir médecins, infirmiers et autres professionnels de santé concernés. Le Centre national des professions de santé s’est immédiatement élevé contre une politique qui est en train de se mettre en place sur le terrain, en sourdine. Quant aux infirmiers de la Fédération Nationale des Infirmiers (FNI), ils ont déposé un recours en Conseil d’Etat pour contester ces dispositions qui ne relèveraient pas de la coopération ni du transfert de tâches. Mais bel et bien du transfert de compétences entre médecins et professionnels de santé pour des raisons qui apparaissent essentiellement économiques. La FNI, qui est favorable aux coopérations dans un cadre expérimental et surtout en adéquation avec les conventions signées avec l’assurance maladie, rejette avec force ces expérimentations qui modifient le champ d’intervention des professionnels de santé.

En Rhône Alpes, Bourgogne, PACA, Pays de la Loire, Haute Normandie, Martinique, Ile de France, Poitou Charentes, Alsace, Lorraine, Bretagne, Languedoc Roussillon, Nord Pas de Calais et Centre, des expérimentations ont été avalisées par les ARS et la HAS, et sont donc susceptibles d’être étendues à tout le territoire. En voici la liste (non exhaustive) :

  • La prise en charge des patients atteints d’hépatite chronique C dans le cadre d’une consultation infirmière (Rhône Alpes),
  • La réalisation d’une ponction médulaire en crête iliaque postérieure à visée diagnostique ou thérapeutique par une infirmière (PACA),
  • La réalisation de bilan urodynamique par une infirmière experte en lieu et place d’un médecin (Haute Normandie),
  • Le suivi de patients à risques élevés de mélanome par une infirmière en lieu et place d’un médecin dermatologue (Ile de France),
  • La réalisation d’une consultation infirmière en médecine du voyage (Ile de France),
  • La création d’une consultation infirmière des patients traités par anticancéreux oraux à domicile (Ile de France),
  • L’enregistrement et pré-interprétation en vie du dépistage de l’échographie anormale, des paramètres échocardiographiques thoraciques par une infirmière en lieu et place d’un médecin cardiologue (Alsace),
  • La réalisation d’une réfraction subjective par un opticien en EHPAD en lieu et place d’un ophtalmologiste (Ile de France),
  • La prescription et réalisation de vaccinations, de sérologies, remise des résultats en lieu et place d’un médecin (Ile de France),
  • La création d’une consultation de prédiagnostic ou de suivi des rhumatismes inflammatoires par une infirmière spécialisée en lieu et place d’un médecin (Centre), etc…

Perçu par le Centre national des professions de santé comme une entreprise de démantèlement dela médecine libérale, un "détricotage administratif"pouvant induire une modification du périmètre des professions et des actes, et une remise en cause de la formation initiale et continue, ce point est explosif. Par courrier à Xavier Bertrand, Ministre de la Santé, le Cnps exige le gel de ces accords.

Pris à parti, Xavier Bertrand, Ministre de la Santé, a tout de suite senti le vent du boulet. "Attention danger, une compétence ne se transfère pas, si ces expérimentations commencent à mal partir, cela ne marchera pas” a-t-il répondu au congrès du SML à Toulouse, où Michel Combier était présent et où Michel Chassang, le président de la Csmf, était intervenu. Le ministre s’est engagé à "revoir personnellement toute les listes" d’expérimentations validées par les ARS. "Le transfert de tâches reste une bonne idée à condition qu’il n’aille ni trop vite, ni trop loin, que cela ne concerne pas n’importe quoi n’importe comment", a-t-il reconnu. En matière de Permanence de soins, il faut se garder de tout "hospitalo centrisme” a également ajouté le ministre.“Ce sera super lorsque des opticiens Afflelou iront dans les maisons de retraite pour fournir aux mamies des lunettes rouges comme celles d’Eva Joli” ironise Michel Combier, excédé des dernières déclarations de l’adjointe (PS) au maire de Dijon, préconisant sans rire de recruter des vétérinaires pour pallier le manque de généralistes dans les zones désertifiées du département…

Selon l’analyse de la Csmf, le gouvernement a choisi de confier le pilotage de la coopération interprofessionnelle aux ARS pour contourner le dialogue conventionnel. Et donc la nécessité de conclure un accord cadre interprofessionnel (Acip) pour généraliser un partenariat entre professions de santé. Les discussions autour de cet accord ont repris entre l’Unps (Union nationale des professions de santé) et l’Uncam (Union natinale des caisses d’assurance maladie) en juillet dernier, depuis la nomination d’Alain Bergeau à la tête de l’Unps. Cet accord, souligne la Csmf, permettrait de mieux coordonner les interventions des différents professionnels autour du patient. L’Acip devra ainsi être en accord avec les différentes conventions signées par les différentes professions. « C’est une autre logique, respectueuse des champs de compétence de professions, qui renforcera une prise en charge coordonnée du patient », insiste la Csmf.