L’année 2011 va bientôt toucher à sa fin. Pendant les deux prochaines semaines, Egora.fr vous propose de revenir sur les événements qui ont marqué ces derniers mois mais aussi d’évoquer les grands chantiers de 2012, qui auront une résonance particulière avec la tenue en mai prochain de l’élection présidentielle.


L’affaire du Mediator a fortement marqué l’année 2011 qui s’est conclue par l’adoption définitive, lundi soir à l’Assemblée nationale, de la réforme du médicament qui en a découlé. Parallèlement, les premiers médecins ont commencés à être interrogés. Mais il n’y pas que les prescripteurs qui sont inquiétés. Selon les derniers chiffres du Sou médical-MACSF, 13 médecins sur les 93 dossiers ouverts depuis le début de l’année sont mis en cause, sans même avoir prescrit la moindre pilule de Mediator aux plaignants.

L’année 2011 a débuté sur les chapeaux de roue avec l’affaire du Mediator et le premier rapport de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) rendu public le 15 janvier. Le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, s’est alors saisi de l’occasion et a promis une loi pour renforcer la sécurité du médicament : ce sera la fameuse réforme du médicament qui doit être définitivement votée par les députés ce lundi soir. Car pour le ministre, il doit y avoir "un avant et un après Mediator", antienne qu’il n’a cessé de répéter tout au long de l’année. Celle-ci aura été marquée par la tenue des Assises du médicament, les conclusions des deux missions parlementaires sur le Mediator où tous les acteurs de l’affaire ont été auditionnés – à commencer par le Dr Irène Frachon, la pneumologue brestoise à l’origine de sa médiatisation – et enfin un second rapport de l’Igas.

Voilà pour la prise de conscience au plus haut sommet de l’Etat. De son côté, la justice, elle, a également avancé. Un fonds d’indemnisation a été mis en place tandis que Jacques Servier était mis en examen en septembre pour "tromperie sur la qualité substantielle d’un produit, escroquerie et obtention indue d’autorisation". Ses sociétés sont poursuivies pour les deux derniers chefs. Et leur premier procès doit avoir lieu au printemps prochain à Nanterre, dans lequel seront représentés quelque 200 plaignants ayant choisi la citation directe. Une autre information judiciaire, où plusieurs milliers de personnes sont parties civiles, se poursuivra à Paris.

Non intervention

Les médecins ont eux aussi commencé à être entendus. Selon les derniers chiffres du Sou médical-MACSF, 93 dossiers ont été ouverts depuis le début de l’affaire Mediator. 65 généralistes sont concernés, 18 endocrinologues et 8 cardiologues. Mais le plus étonnant, indique l’assureur, c’est que 13 médecins sont mis en cause alors qu’ils n’ont pas personnellement prescrit du Mediator. Les plaignants leur reprochent de ne pas être intervenus afin d’interrompre le traitement prescrit par un autre praticien. A ce jour, 17 praticiens sociétaires du Sou médical-MACSF ont fait l’objet d’une assignation en justice, les demandes d’expertise sont en cours.

D’autres médecins ont également été convoqués par la police ces dernières semaines. Il s’agit de praticiens ayant prescrit du Benfluorex, molécule du Mediator hors AMM et ayant tous déjà subi par le passé un contrôle des caisses de sécurité sociale pour l’absence de mention « NR » (non remboursable) sur leurs ordonnances.

"Le juge en charge du dossier Servier au parquet de Nanterre a apparemment adressé une commission rogatoire permettant d’obtenir du CNOM Conseil national de l’ordre des médecins, NDRL] les listes des médecins déjà poursuivis pour ce motif mais je ne connais pas les motivations et les intentions de ce juge", expliquait le [Dr Marcel Garrigou-Grandchamp, en charge de la cellule juridique à la FMF (Fédération des médecins de France), le 9 novembre dernier dans une interview sur Egora.fr. Les médecins convoqués ont dû présenter leurs dossiers médicaux.

Prescription hors AMM "légalement trop dangeureuse"

Par ailleurs, toujours selon Le Sou médical-MACSF, environ une vingtaine de médecins poursuivis ont prescrit le Mediator hors AMM, "mais il est encore trop tôt à ce stade pour déterminer avec précision le nombre de dossiers pour lesquels une prescription hors AMM est intervenue", précise l’assureur. Car l’affaire du Mediator a également permis de mettre en avant cette pratique courante en ville comme à l’hôpital. En effet, 20 à 25% des médicaments délivrés en officine seraient prescrits dans ces conditions, souvent plus par nécessité que par abus. Par exemple, selon une étude réalisée par Maryline Geffroy, médecin généraliste, 15% des inhibiteurs de pompe à proton prescrits en ville le sont hors AMM, en association avec des anti-inflammatoires, pour éviter d’éventuels maux d’estomac au patient.

Prescrire hors AMM est bien sûr autorisé, mais cette pratique, selon le Dr André Deseur, du Conseil national de l’Ordre, va devenir de plus en plus rare car "légalement trop dangereuse". Un médecin qui prescrit un produit hors AMM peut d’abord avoir à répondre au niveau des instances administratives quand il n’a pas indiqué sur son ordonnance la mention NR. Un arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 18 septembre 2008 indique ainsi que le non signalement NR peut entraîner une poursuite devant l’ordre des médecins.

Depuis la loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades, dite loi Kouchner, il incombe également au médecin d’informer son patient sur la prescription hors AMM du produit et sur son non-remboursement par les caisses. Si le praticien ne respecte pas ces dispositions, l’Ordre peut prononcer à son encontre des sanctions pouvant aller jusqu’à l’interdiction temporaire ou permanente "du droit de donner des soins aux assurés sociaux", ce qui revient à une interdiction d’exercer pendant plusieurs mois. Et cette sanction peut s’accompagner d’une pénalité financière : le remboursement indu à l’assurance-maladie.

Plus d’une centaine de condamnations

L’Ordre des médecins a ainsi déjà prononcé plus d’une centaine de condamnations pour une prescription hors AMM – 80 à 85% d’entre elles concernaient notamment la prescription de Benfluorex (molécule présente dans le Mediator) – et entre 250 et 300 dossiers sont encore en cours d’instruction. Selon le rapport de la mission parlementaire sur le Mediator, rendu public fin mai, environ 80 % des victimes auraient consommé du Mediator à titre de coupe-faim, c’est-à-dire prescrit en dehors de l’AMM.

Par ailleurs, un médecin qui aurait prescrit un produit hors AMM peut également être poursuivi devant un tribunal. Il devra alors démontrer que ses prescriptions sont fondées sur des données avérées de la science, qu’il a agi conformément à une pratique reconnue par un nombre important de professionnels et dont l’intérêt n’est pas discuté et qu’il était dans l’impossibilité d’utiliser un autre produit disposant de l’AMM pour cet usage, la jurisprudence ayant déjà admis des prescriptions hors AMM.

Cette pratique, plutôt que d’être restreinte, va être davantage encadrée par le projet de loi sur le renforcement de la sécurité sanitaire des médicaments et des produits de santé. Il est ainsi prévu que le médecin devra informer le patient que "la prescription de la spécialité pharmaceutique n’est pas conforme à son autorisation de mise sur le marché, de l’absence d’alternative médicamenteuse appropriée, des risques encourus et des contraintes et des bénéfices susceptibles d’être apportés par le médicament”. Il devra également indiquer sur l’ordonnance la mention "Prescription hors autorisation de mise sur le marché" et la motiver dans le dossier médical du patient.

Promesse

Le texte va être définitivement adopté ce soir malgré les réticences exprimées par les sénateurs qui ont rejeté le projet de loi en deuxième lecture. Ils estiment en effet qu’il "n’est pas de nature à empêcher la survenance d’une nouvelle affaire comme celle du Mediator".

Malgré tout, les choses semblent bouger quelque peu à l’Afssaps, l’agence du médicament. La quasi-totalité d’un groupe d’experts sur les infections respiratoires vient de démissionner après le refus de Dominique Maraninchi, le directeur général de l’agence, de publier leur recommandations du fait de certains conflits d’intérêt qualifiés d’importants avec l’industrie pharmaceutique. Le patron de l’Afssaps a rappelé qu’il ne s’agissait pas “d’une question de morale mais d’engagement dans l’indépendance et la responsabilité que doit garantir l’agence dans ces décisions”.

Xavier Bertrand avait aussi promis que "les médecins ne ser[aient] pas les payeurs", au moment de la constitution du fonds d’indemnisation des victimes qui a déjà reçu à ce jour plus de 4 000 dossiers. Une promesse qui semble d’ores et déjà difficile à honorer.

Source :
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Auteur : Concepcion Alvarez