Ah, les ARS ! Transfert de tâches, réorganisation de la permanence des soins dans le cadre de la mise en place du Sros (schéma régional d’organisation des soins) ambulatoire… Ca grince de toutes parts parmi les libéraux. Commençant à sortir des cartons pour s’installer réellement aux manettes en serrant la vis budgétaire, les Agences nées de la loi Bachelot ne se sont pas fait que des amis.

Le sujet du jour, c’est l’organisation de la permanence des soins (PDS), désormais placée sous la responsabilité des ARS. Elles sont en effet garantes de la bonne organisation de ce service public. "Pour des raisons de rigueur budgétaire, les ARS ont un budget PDS inférieur de 5 % à celui de l’an passé", témoigne Michel Chassang, le président de la Confédération des syndicats médicaux français (Csmf). "Ce budget en réduction est décliné dans les régions, ce qui peut aller de + 20 à – 5 % selon les cas", ajoute-t-il.

C’est un peu ce qui est en train de se produire en Aquitaine, où la PDS est en pleine réorganisation. Une réduction de l’enveloppe financière allouée de 4,3 % est officielle. Des concertations sont menées entre l’ARS, les organisations de PDS dans les différents départements et les élus de l’Urps (union régional des professions de santé à d’Aquitaine), qui en assurera le pilotage avec le conseil régional de l’Ordre. La nouvelle organisation de la PDS doit être soumise pour approbation au Comité départemental de l’aide médicale urgente de la permanence des soins (Codamups), dès le début de l’année prochaine.

Une modélisation des secteurs de garde a déjà été mise en place dans les Landes et dans les Pyrénées Atlantiques. Reste la Dordogne, ses 42 secteurs de garde et ses médecins de terrain qui commencent à ruer dans les brancards. "Pour des raisons d’économies et parce qu’il faut épargner 2,9 millions d’euros, l’ARS veut réduire le nombre des secteurs de garde à  25 ou 27, ce qui veut dire qu’en campagne, ils seront très élargis", témoigne le Dr Jacques Mazurier, généraliste à Ribérac (24).

Non syndiqué, non élu à l’Ordre, non politique mais volontaire pour la PDS, le Dr. Mazurier refuse qu’on impose aux généralistes de Dordogne ce que les Smur refusent de faire. Pour des raisons de responsabilité et d’assurance, les véhicules ne se déplacent pas si l’appel est à plus de 30 minutes de leur lieu d’attache. Mais les généralistes, eux, doivent  y aller, y compris de nuit, y compris lorsqu’il y a de la neige "sur des secteurs agrandis que nous ne connaissons pas", insiste le généraliste en évoquant ses 12 heures de travail par jour, ses semaines de plus de 60 heures et ses gardes de 48 heures d’affilées. Au nom de ses confrères, il a écrit à l’ARS (avec copie à l’ordre départemental) pour l’informer qu’ils allaient refuser de faire des gardes en nuit profonde, entre minuit et 8 heures du matin.

"Méthodes jacobines"

Le Dr Mazurier a pourtant dans ses cartons plusieurs solutions à proposer, dont la création de maison médicale de garde ou la mise en place de structure de garde au sein des hôpitaux locaux. "Mais personne ne nous écoute, ça n’avance pas. Cette situation est un vrai repoussoir pour les jeunes". Le département compte 1 200 généralistes et 220 départs non remplacés sont attendus en 2012.

Personne ? Si, le candidat à l’élection présidentielle pour  Chasse, pêche, nature et tradition (Cpnt), Frédéric Nihous, qui a reçu le message 5 sur 5. Il veut même en faire, comme en 2007,  un axe de son programme pour la présidentielle, lui qui est père d’un étudiant en médecine.  "Il faut un accès égal pour tous à la santé. On ferme les petites cliniques, les petits hôpitaux, il y a une désertification des médecins de famille en zone rurale. C’est une affaire de choix politique" explique le candidat en s’apprêtant à ferrailler avec l’ARS dans cette région d’Aquitaine où le maire de Bordeaux n’est autre qu’Alain Juppé. "Assez de ces méthodes jacobines ! Alain Juppé sait bien, depuis 1997, ce que peut donner la colère des médecins", menace le candidat de la ruralité.

Certes, en contrepartie de cette réduction de nombre de secteurs, l’ARS a proposé un coup de pouce pour les gardes en nuit profonde – le forfait atteindrait 150 euros – mais là n’est pas le problème. "Le pouvoir ne veut pas toucher à l’hôpital public, il n’est pas question qu’il risque une grève ou des mouvements en période électorale. Alors, c’est la médecine libérale qui trinque" témoigne le Dr Mazurier.

"On réorganise la désertification médicale des campagnes, les généralistes ne voudront plus effectuer la PDS, c’est ce qui va arriver" prophétise Michel Combier, le président de l’Unof (médecins de famille de la Csmf), très mobilisé sur un problème qui touche les médecins généralistes ruraux.

Hospitalo centrisme

Mais les ARS sont également suspectées d’hospitalo centrisme, en ce qu’elles privilégient les structures publiques au détriment des cliniques privées, pourtant équipées pour recevoir les urgences. Interpellé sur le sujet, Claude Evin, le directeur de l’ARS d’Ile de France n’avait pas botté en touche, convenant à l’université d’été de la Csmf que la sécurité pour l’urgence, c’était le public, puisque le privé en cette matière est encore "désorganisé".

L’organisation de la PDS par les ARS commence à prendre de l’ampleur, alors que la tempête soulevée par la liste des premières expérimentations de coopération entre les professionnels de santé avalisées par les agences régionales est loin d ‘être calmée. La Loi Hôpital, patients, santé et territoires met en place dans son article 51 la possibilité d’instaurer une coopération entre les professionnels de santé. Il suffit que ces derniers proposent un protocole à l’ARS, qui le fait avaliser par la Haute autorité de santé (HAS) avant de le mettre en place. Or, sans publicité et surtout, sans en référer aux syndicats professionnels concernés, une longue liste d’expérimentations de coopérations a été élaborée qui n’a pas fini de faire frémir médecins, infirmiers et autres professionnels de santé concernés. Aussitôt, les infirmiers de la FNI ont déposé un recours en conseil d’Etat contre ces dispositions qui ne relèveraient pas de la coopération ni du transfert de tâches. Mais bel et bien du transfert de compétences entre médecins et professionnels de santé. Pour des raisons essentiellement économiques.

"Détricotage  administratif"

En Rhône Alpes, Bourgogne, PACA, Pays de la Loire, Haute Normandie, Martinique, Ile de France, Poitou Charentes, Alsace, Lorraine, Bretagne, Languedoc Roussillon, Nord Pas de Calais et Centre, des expérimentations ont été avalisées par les ARS et la HAS, et sont donc susceptibles d’être étendues à tout le territoire. En voici la liste (non exhaustive) :

  • La prise en charge des patients atteints d’hépatite chronique C dans le cadre d’une consultation infirmière (Rhône Alpes)
  • La réalisation d’une ponction médulaire en crête iliaque postérieure à visée diagnostique ou thérapeutique par une infirmière (PACA)
  • La réalisation de bilan urodynamique par une infirmière experte en lieu et place d’un médecin (Haute Normandie)
  • Le suivi de patients à risques élevés de mélanome par une infirmière en lieu et place d’un médecin dermatologue (Ile de France)
  • La réalisation d’une consultation infirmière en médecine du voyage (Ile de France)
  • La création d’une consultation infirmière des patients traités par anticancéreux oraux à domicile (Ile de France)
  • L’enregistrement et pré-interprétation en vie du dépistage de l’échographie anormale, des paramètres échocardiographiques thoraciques par une infirmière en lieu et place d’un médecin cardiologue (Alsace)
  • La réalisation d’une réfraction subjective par un opticien en EHPAD en lieu et place d’un ophtalmologiste (Ile de France)
  • La prescription et réalisation de vaccinations, de sérologies, remise des résultats en lieu et place d’un médecin (Ile de  France)
  • La création d’une consultation de prédiagnostic ou de suivi des rhumatismes inflammatoires par une infirmière spécialisée en lieu et place d’un médecin (Centre), etc…

Perçu par le Centre national des professions de santé comme une entreprise de démantèlement de la médecine libérale, un "détricotage  administratif" pouvant induire une modification du périmètre des professions et des actes, et une remise en cause de la formation initiale et continue, ce point a formé l’axe central du dernier congrès du Syndicat de médecins libéraux (SML). Le Cnps exige le gel de ces accords.

Le vent du boulet

Pris à parti,  Xavier Bertrand, le ministre de la Santé a tout de suite senti le vent du boulet. "Attention danger, une compétence ne se transfère pas, si ces expérimentations commencent à mal partir, cela ne marchera pas” a-t-il répondu. Il s’est engagé à "revoir personnellement toute les listes" d’expérimentations validées par les ARS. "Le transfert de tâche reste une bonne idée à condition qu’il n’aille ni trop vite, ni trop loin, que cela ne concerne pas n’importe quoi n’importe comment", a-t-il reconnu. En matière de PDS, il faut se garder de tout “ hospitalo centrisme” a également ajouté le ministre. “Ce sera super lorsque des opticiens iront dans les maisons de retraite pour fournir aux mamies des lunettes rouges comme celles d’Eva Joli” ironise Michel Combier, excédé.

Voilà donc quel est l’état des lieux. Alors que les Sros ambulatoires sont entrain de se mettre en place dans les régions – avec toutes les craintes que cela suscite pour la liberté d’installation à l’avenir – les ARS se renforcent dans leurs prérogatives qui sont légions en matière d’organisation des soins, en dehors de tous les systèmes conventionnels. Ce qui, là aussi, suscite des craintes.

Les agences de santé n’en ont cure. Pour être plus efficaces encore, les 26 directeurs ARS viennent de se doter d’un collège destiné à leur permettre de mieux organiser leur représentation vis-à-vis de leurs partenaires et des administrations. Ce collège, dont Christophe Jacquinet, directeur de l’ARS de Rhônes-Alpes vient d’être élu président pour un an, doit leur permettre de développer une communauté de travail entre les différentes ARS pour optimiser les orientations gouvernementales fixées.

"Cette nouvelle donne justifie pleinement la démarche qu’elle a initiée avec le SML pour la mise en œuvre d’une conférence nationale des URPS de médecins libéraux qui doivent, elles aussi, avoir les moyens de s’organiser pour résister au rouleau compresseur des ARS", a immédiatement riposté la Csmf.

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine le Borgne