Un confrère généraliste de l’Oise vient de subir quatre années de contrôles intensifs de la part de sa Cpam. Il est aujourd’hui en attente d’un procès en appel. Le suicide d’un kiné et de son épouse poursuivi par sa caisse a ravivé chez lui l’enfer dont il n’est même pas encore sorti.

Les réactions ont été vives lorsqu’on a appris, au début du mois, le suicide par pendaison d’un kiné et de son épouse dans le nord de la France, alors qu’il venait de recevoir un courrier de la caisse d’assurance-maladie de Dunkerque lui indiquant qu’il était en suractivité, chiffrant le préjudice à 196 000 euros et menaçant de le déconventionner. A la suite de ce terrible drame, les représentants de la profession dans la région ont réclamé "d’autres relations" avec l’assurance-maladie.

"Quatre ans d’enfer psychologique"

C’est aussi ce que demande aujourd’hui l’épouse du Dr Marcel Lachant, généraliste depuis plus de 20 ans à Saint-Quentin (Picardie) – ville dirigée par un certain Xavier Bertrand, qui a fait de la lutte contre la fraude son cheval de bataille. ­Pendant quatre ans, ce médecin a subi un contrôle d’activités de la part des caisses. "Quatre ans d’enfer psychologique", résume son épouse, très touchée par le suicide de ce confrère du Nord.

“J’ai l’impression de revivre nos années de harcèlement, la sortie de la garde à vue de mon époux où je m’employais à le surveiller avec prudence afin qu’il ne commette pas l’irréparable. Il faut que cela cesse, que ces méthodes brutales qui broient des individus éclatent au grand jour. Oui au contrôle des caisses, mais avec une manière douce où le dialogue et les rencontres entre professionnels de santé se dérouleraient sans crispation, ni contrainte. Chaque médecin ou autre professionnel de santé peut un jour tomber dans leur collimateur. Personne n’est intouchable.”

Le Dr Lachant, lui, est tombé dans le "collimateur" un jour de juin 2007. Sa faute ? Avoir une activité hors du commun : 50, 60, parfois 80 actes par jour. De quoi mettre la puce à l’oreille de la CPAM ou plutôt de quoi faire frémir ses ordinateurs. La Caisse se méfie aussi d’une patientèle presque majoritairement bénéficiaire de la CMU, environ 40% de ses patients.

Une population "fragile", précisera le procureur de la République au cours de ses réquisitions, "à qui il est facile de faire signer des feuilles de soins papier ou de les remplir à leur place".

36 heures en garde à vue

Au médecin de famille, on reproche, en effet, une pratique frauduleuse qui aurait consisté à établir des feuilles de soins électroniques à partir de la carte vitale et, en parallèle, des feuilles de soins papier, ou d’établir pour des personnes qui n’étaient pas présentes dans son cabinet des renouvellements d’ordonnance et donc d’encaisser des consultations sans examen du patient, ou encore de faire deux visites au même domicile dans la même journée.

Des accusations que Marcel Lachant rejette en bloc, donnant à chaque fois une justification. Mais cela ne parviendra pas à calmer la Sécu. Elle met sur l’affaire une équipe de 13 personnes pour un coût estimé de 45 000 euros qu’elle entend bien se faire rembourser ultérieurement. Prévoyante, elle fait ailleurs bloquer les comptes bancaires du médecin au prétexte de mettre ces 45 000 euros ainsi que la future amende à couvert au cas où le Dr Lachant voudrait fuir. Ses patients sont interrogés, son épouse est entendue pendant plus de 4 heures, dira-t-elle.

Finalement, le praticien est convoqué au commissariat et passe 36 heures en garde à vue, la veille du 14 juillet 2010, se souvient-il. Une épreuve très dure moralement.

Aujourd’hui sa femme souhaite alerter les autres médecins sur ce qu’est vraiment un contrôle d’activités. Elle veut lancer un site Internet où elle donnera des informations juridiques, des conseils pratiques et où elle recueillera les témoignages d’autres médecins ayant vécu la même histoire que son mari.

“Car le plus dur, dit-elle, c’est d’avoir l’impression d’être seuls, que ça n’arrive qu’à nous”.

"Décalage"

Heureusement, le couple Lachant a été soutenu. Par le syndicat Union Généraliste, désormais passé sous la houlette de la FMF (Fédération des médecins français). Par Me Fabrice Di Vizio, aussi, l’avocat du syndicat.

"Cette affaire, dit-il, montre le décalage qu’il y a entre l’assurance-maladie et la réalité de la médecine de terrain. Il y a une présomption de culpabilité sur une activité atypique : le Dr Lachant reçoit sans RDV, il a beaucoup de tiers – payant, en effet, ses dossiers ne sont pas toujours régulièrement mis à jour, mais dans cette affaire, il n’est qu’un bouc-émissaire et il a traité comme un délinquant international ! Et je peux vous dire qu’ils ne le lâcheront pas, c’est devenue une affaire de principe."

Le tribunal correctionnel de Saint-Quentin a rendu son verdict en première instance le 15 novembre dernier. Il a prononcé la relaxe du médecin pour les chefs d’escroquerie et de faux. En revanche, il l’a condamné pour fraude à verser un euro à la caisse d’assurance pour avoir renouvelé les traitements de patients sans les avoir vus. Le tribunal n’a pas retenu les dommages et intérêts demandés par la caisse et s’élevant à 55 000 euros, ni la demande de remboursement des 45 000 euros correspondant aux frais d’enquête. La caisse et Me Di Vizio ont fait appel de la décision. L’affaire est donc encore loin d’être terminée.

Se laisser déborder

De son côté, le conseil départemental de l’Ordre de Picardie a également décidé de prendre des sanctions à l’encontre du généraliste : interdiction du droit de donner des soins aux assurés sociaux pour une période de deux ans, assortie d’un sursis d’un an ; interdiction de donner des soins aux assurés sociaux pour la partie non assortie de sursis prenant effet du 15 septembre 2011 au 14 septembre 2012.

La décision a été rendue publique le 12 juillet dernier mais elle fait l’objet d’un appel auprès de la section des assurances sociales du conseil national de l’Ordre. L’appel étant suspensif, le Dr Lachant peut encore exercer.

Alors est-on fasse à un vrai fraudeur ou bien s’agit-il simplement d’un médecin qui croit bien faire son travail et qui s’est laissé déborder ? Pour Me Di Vizio, la réponse est claire. "Qui, dans une zone difficile comme l’est Saint-Quentin, pourrait ne pas être dépassé ? Il s’annonce des jours difficiles pour la médecine libérale !" Le Dr Lachant, lui, résiste, mais combien pourront supporter une telle pression, même en cas de fraude avérée. La caisse, elle, nous a indiqué qu’elle ne pourrait nous répondre que la semaine prochaine.


A CONSULTER.
 
La FMF a édité un guide conseil pour les médecins contrôlés : http://fmfpro.com/IMG/pdf/1_-_Le_guide_du_medecin_controle.pdf
 
Témoignage diffusé par Mme Lachant auprès d’Union généraliste : http://www.apima.org/img_bronner/harcelement_CPAM.pdf 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Concepcion Alvarez