On dit toujours que les cordonniers sont les plus mal chaussés…L’adage s’applique aussi, sans surprise, aux médecins. Tâches administratives, poids des responsabilités, isolement, manque de moyens, insécurité, addiction, maladie, épuisement, les médecins sont confrontés à toujours plus de difficultés et se retrouvent bien souvent sur le fil du rasoir. Plusieurs initiatives sont mises en place pour leur venir en aide.
Forte de son "succès", l’association MOTS (Médecin-Organisation-Travail-Santé) lancée il y a un an en Haute-Garonne pour aider les médecins au bord du burn-out, va s’étendre à deux autres régions, Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon.
"Entraide confraternelle"
A l’origine du projet, le Dr Philippe About, généraliste à Toulouse, qui, avec plusieurs de ses confrères, a proposé de mettre en place une structure d’"entraide confraternelle". C’est ainsi que la plateforme a vu le jour, inspiré d’un modèle catalan. Depuis une dizaine d’années, les médecins espagnols sont en effet soignés dans une unité de soins confidentielle qui leur est dédiée sur les hauteurs de Barcelone. Le dispositif est financé le conseil de l’Ordre des médecins de Haute-Garonne mais en est tout à fait “indépendant”, tient à préciser le Dr About, président de MOTS.
“Nous avons été choqués d’apprendre que nous étions la catégorie socio-professionnelle la plus exposée aux suicides, après les policiers, raconte le Dr About pour justifier son engagement. Nous avions également été touchés par deux suicides dans le département. On a donc décidé de mettre en place une structure pour lutter contre l’épuisement professionnel et l’isolement des médecins, “quels qu’ils soient” et “quelque soit la difficulté qu’ils traversent”.
“La santé de la population dépend de celle des soignants qui doivent être bien dans leur peau et dans leur tête”, explique ainsi le Dr About. Selon lui, cela passe par une meilleure organisation.
En un an d’activité, la plateforme MOTS a pris en charge 41 médecins, dont 26 femmes et 15 hommes, âgés de 30 à 64 ans, la moyenne d’âge étant de 49 ans. La grande majorité (71%) d’entre eux exerce en cabinet. Leurs problèmes portent sur leur mal être au travail/l’épuisement professionnel (46%), les conflits entre confrères ou avec leur secrétaire (27%), leur projet de reconversion ou d’arrêt d’activité (20%) ou la crainte d’une procédure judiciaire (10%).
La solution proposée dans 63% des cas a été le suivi d’une psychothérapie. Et il est important de noter que l’ensemble des médecins est allé jusqu’au bout du dispositif, ce qui est loin d’être évident.
Pour réussir à convaincre les médecins en mal être d’appeler au secours et de tirer la sonnette d’alarme, l’association se base sur un élément essentiel : la confidentialité. Seuls la secrétaire et le médecin de l’association vont connaître l’identité du “malade”.
Aujourd’hui, les chiffres sont sans appel. Chez les médecins, toutes spécialités confondues, entre 30 et 60 ans, 14% des décès sont des suicides. Un taux plus de deux fois supérieur à celui calculé dans la population générale (6%). “Je crois que malheureusement nous sommes la profession la plus exposée, en termes de suicide”, estime le Dr Bruno Gaudeau, président du groupe Pasteur Mutualité.
L’assureur, qui propose déjà de nombreux outils en ligne (test, forum de discussion, documents, articles) pour comprendre la souffrance du soignant et sensibiliser les professionnels de santé, va officiellement lancer au 2etrimestre 2012 une consultation dédiée. Financée par la branche entraide sur les prélèvements des cotisations, ce dispositif emploiera une quarantaine de médecins sur toute la France.
"C’est tabou de dire qu’un médecin est malade"
“ L’une des principales causes de ce burn-out c’est l’administration qui est devenue de plus en plus lourde, explique Bruno Gaudeau, ainsi que la responsabilité des médecins de plus en plus souvent mise en cause. Le médecin dispose de moins en moins de temps médical dans une société où tout le monde est un peu plus nerveux, plus agressif, plus pressé. Il n’y a plus de respect. Et ça devient vraiment difficile pour le médecin de travailler dans de bonnes conditions. Le stress est un facteur important dans les maladies cardio-vasculaires qui touchent davantage les médecins que le reste de la population.”
Autre phénomène là aussi inquiétant, la plupart des médecins n’a pas de médecin traitant puisqu’il est son propre médecin. “Nous avons tout à fait tort, reconnaît encore le Dr Gaudeau, mais c’est tabou de dire qu’un médecin est malade, on pense que ça donne une mauvaise image, que ce n’est pas bien…Il faut que ça change.” La prise de conscience semble toutefois se faire peu à peu.
La santé des généralistes bas-normands
1 médecin sur trois déclare souffrir de problèmes de santé chroniques ;
79% se plaignent de la fatigue ; 70% du stress et 42% souffrent de troubles du sommeil ;
1 médecin sondé sur 3 est en surcharge pondérale ;
1 praticien sur 10 est en détresse psychologique ;
3,5% ont déjà pensé au suicide ;
16% disent avoir subi des agressions ou des violences au cours de leur activité professionnelle ;
18,2% ont une consommation d’alcool à risque ;
Près d’un quart des médecins interrogés ont pris des anxiolytiques et/ou des hypnotiques au cours des 12 derniers mois ;
8% ont pris des antidépresseurs au cours de l’année écoulée ;
78% des médecins sont leur propre médecin traitant ;
Source : panel des pratiques et des conditions d’exercice en médecine générale avec la Drees, l’ORS et l’URML de Basse-Normandie, mené à l’automne 2008 sur 200 généralistes bas-normands.
Malgré les a priori qui veulent qu’un médecin refuse d’appeler au secours ou même d’admettre qu’il ne va pas bien, une enquête menée en 2010 par le groupe Pasteur Mutualité auprès de 3 786 médecins en amont de la mise en place de la consultation dédiée, 60% des interrogés ont déclaré que si elle avait existé par le passé, ils y auraient eu recours. 86% d’entre eux pensent qu’ils pourraient éventuellement en avoir besoin un jour et 66% disent que ce dispositif leur serait actuellement utile.
D’autres structures ont mis en place des aides spécifiques pour aider psychologiquement les médecins n’allant pas bien. C’est le cas de l’AAPML (Association d’aide professionnelle aux médecins libéraux), créée en 2005 avec l’aide de PSYA, entreprise spécialisée dans l’assistance psychologique. Elle a mis en place un dispositif d’écoute téléphonique, d’accompagnement et de soutien psychologique spécialement dédié aux médecins libéraux d’Ile-de-France, accessible 24h/24 et 7 jours/7, dans le respect de l’anonymat. Ce projet est financé grâce aux subventions obtenues par l’AAPML auprès du Fonds d’Aide à la Qualité des Soins de Ville d’Ile-de-France (FAQSV).
"Retour du bâton"
Le Dr Eric Galam, généraliste, médecin coordonnateur de l’association et auteur du rapport sur les libéraux franciliens, estime que 53% des médecins sont menacés par le burn-out. Il avait ainsi établi un profil-type :
“célibataire, entre 45 et 50 ans, généraliste de secteur 1 avec une grosse clientèle, qui fait des visites et reçoit sans rendez-vous. Il rencontre des difficultés financières dans sa vie privée, se sent fragile psychologiquement, ne s’accomplit pas (ou plus) dans son métier et est confronté à des problèmes de santé ou des problèmes affectifs.”
Ce qui est toutefois positif, c’est que la nouvelle génération semble prendre un chemin différent. Les jeunes médecins, qui sont désormais plus souvent des femmes que des hommes, ne veulent plus travailler autant et souhaitent partagent leur temps entre le travail, la famille et les loisirs.
“Les choses vont changer, conclut le Dr Gaudeau, le président de Pasteur Mutualité. Il va y avoir un retour du bâton parce qu’on ne peut plus continuer comme ça. On va assister encore à une augmentation des burn-out dans la profession mais je suis optimiste quant à l’avenir parce que les jeunes ne s’installent plus tous seuls dans un cabinet, ils exercent en groupe. Et c’est tout bête, mais prendre un café avec ses confrères suffit parfois à soulager une angoisse. Ce n’est pas du temps de perdu, au contraire c’est du temps positif.”
Partager et échanger comme leitmotivs donc des générations à venir, un beau message en tout cas envoyé aux jeunes.
Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Concepcion Alvarez