Caméras de vidéosurveillance, référent “Police”, numéro d’appel d’urgence dédié, traitement accéléré des plaintes… Le protocole de sécurité signé en avril dernier entre le Conseil de l’ordre et le ministère de la Santé est en train d’être décliné localement. Une dizaine de départements s’en sont dotés, le Val de Marne (94), en Ile-de-France, est le dernier en date.

Signé ce lundi matin par le préfet du Val de Marne, le procureur de la République, le directeur de l’ARS et les présidents des conseils locaux des différents ordres professionnels de santé, le protocole de sécurité doit venir rassurer des médecins devenus, après les gendarmes, la deuxième profession à connaître une hausse des actes de violence.

"Zones de non-soins"

Les chiffres de 2010, notamment, ont permis d’alerter les pouvoirs publics sur la réalité du terrain. L’Observatoire national pour la sécurité des médecins avait en effet noté un très fort accroissement des signalements de manifestations de violences sur les praticiens avec 920 incidents en 2010 contre 512 en 2009 ou  535 en 2008.

Plus de 60% des plaintes émanent de médecins généralistes en milieu urbain et près de la moitié des victimes sont des femmes, ce qui interroge une profession qui se féminise à toute vitesse. Le Dr Henri Nuham, généraliste à La Varenne St-Hilaire (94) et président de Médigarde 94, un service de permanence des soins (PDS) 24h/24 dans le département, se félicite de la mise en place de ce protocole de sécurité exigé depuis de nombreuses années. “C’est une reconnaissance par les autorités des problèmes qui existent et de l’effort fourni par les médecins qui sont présents malgré des conditions parfois difficiles.”

L’insécurité constitue en effet un véritable frein à l’installation dans certaines zones isolées ou dans certains quartiers. De même, certains médecins rechignent à participer à la PDS en raison des risques qu’elle peut représenter. Le CNOM avait ainsi indiqué au moment de la publication de ses chiffres annuels sur les agressions faites aux médecins : “ Il est à craindre que, las de s’exposer à des incivilités, à des destructions de matériel ou de véhicules, les médecins refusent alors de se déplacer seuls dans des endroits à risques et qu’apparaissent, ainsi, des zones de non-soins préjudiciables à l’ensemble de la population.” C’est aussi ce que constate le Dr Nuham.

Seul dans son cabinet

“On est tous concernés par la PDS, explique-t-il, on veut tous rendre service, on cherche à faire au mieux. Mais si on est harcelé, pas payé, qu’on se retrouve avec notre voiture cassé ou qu’on se fait insulter parce qu’on arrive avec du retard, c’est sûr que ça nous décourage. Ça reste de la petite insécurité mais qu’on a tous à l’esprit quand on va prendre une garde et qu’on se retrouve seul dans notre cabinet de 20h à minuit. Le protocole de sécurité va permettre de rassurer les praticiens. Mais il faut que ça démarre rapidement parce que le deal pour les médecins qui sont entrés dans Médigarde, c’était d’assurer sur le plan de la sécurité.”

Des insultes, des menaces, des vols, de la “petite insécurité” qui pourrit largement la vie de beaucoup de praticiens. Parmi les signalements effectués en 2010 auprès du Conseil de l’Ordre, plus de 60 % concernaient des agressions verbales, 25 % des vols ou tentatives de vols,16 % des agressions physiques et 12% du vandalisme. Les motifs les plus fréquemment invoqués étant dans l’ordre un refus de prise en charge, une tentative de vol, un refus de prescription ou un temps d’attente jugé excessif.

Le protocole de sécurité prévoit ainsi de mettre en place un référent “Police” ainsi qu’un correspondant au sein de chaque commissariat auprès desquels les professionnels de santé pourront demander des conseils et déposer plainte. Des caméras de vidéosurveillance vont progressivement être installées aux abords des cabinets médicaux selon les besoins. Des réunions d’information vont également être organisées pour former et sensibiliser les soignants à la conduite à tenir avec des patients violents. Il s’agira aussi de recenser avec le préfet les points d’insécurité et y répondre de manière adaptée.

La procédure de dépôt de plainte sera accélérée et facilitée par un recueil sur place, dans le cabinet, ou au commissariat. D’après les résultats publiés par l’Observatoire, seuls 49% des médecins victimes d’agressions portent actuellement plainte, les autres renonçant par manque de temps. Le protocole de sécurité devrait donc permettre d’inciter davantage les médecins à le faire. Par ailleurs, en cas d’alerte, le médecin pourra avoir recours immédiatement à la police via la mise en place d’un numéro d’urgence dédié.  

"Revoir l’éducation des patients"

Pour la CSMF (Confédération syndicale des médecins de France), ces mesures vont dans le bon sens mais tardent encore trop à se mettre en place. Le syndicat a envoyé récemment un communiqué de presse pour demander la tenue d’une réunion urgente entre syndicat et ministères afin “de dresser le bilan des mesures concrétisées et décider des actions nouvelles qui s’avèrent nécessaires ”. La CSMF n’hésite pas même à dégainer la menace d’un droit de retrait, comme celui des conducteurs de trains ou de bus. “C’est en effet une éventualité, précise le Dr Pierre Levy, secrétaire général de la CSMF et ancien président du syndicat dans le 94. En région PACA notamment, les médecins nous disent que si ça continue comme ça, ils arrêteront de participer à la PDS.”

“Aujourd’hui, on ne peut plus faire de la médecine sereinement. On se rend à notre cabinet en pensant que ça peut se produire à tout moment, raconte le Dr Levy qui a exercé pendant plus de trente ans à Vitry-sur-Seine (94).J’ai plusieurs de mes confrères qui ont été violemment agressés, avec parfois des hospitalisations d’un mois, c’est aussi ça la réalité. Et c’est pour ça qu’on met la pression sur le gouvernement. Il ne faudra pas s’étonner ensuite que les jeunes ne veuillent pas aller s’installer dans certains quartiers sensibles. En matière de sécurité on n’a pas le temps de prendre le temps. Il faut avancer.”

Mais les caméras pourront-elles quelque chose contre les insultes ?  C’est la question que se pose le Dr Bernard Le Douarin, coordonateur de l’Observatoire de la sécurité, interrogé par Le Figaro en avril dernier. “Au-delà, il serait important de revoir l’éducation des patients. De nombreux dérapages surviennent en effet après un refus de prescription ou d’arrêt de travail. Parfois, c’est simplement parce que leur carte Vitale n’a pas été mise à jour”.

A cela, le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, répond par la sanction. “La première des dissuasions reste la certitude de la sanction, et plusieurs mesures tendent à mieux sanctionner les violences visant les professionnels de santé. La réponse pénale à de tels actes doit être ferme.” En 2009, 161 condamnations fermes ont été prononcées à l’encontre d’agresseurs de médecins, il y en avait eu 98 en 2005. Autre nouveauté introduite dans ce protocole de sécurité, les médecins seront avisés des suites procédurales données à leur plainte.

Pour l’heure, une dizaine de départements ont, comme le Val de Marne, commencé à décliner localement le protocole de sécurité signé en avril dernier. 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Concepcion Alvarez