Traçabilité des prescriptions portant la mention NS (non substituable), renouvellement des traitements chroniques dans le cadre de protocoles de soin, prévention et dépistage, surveillance du patient et suivi thérapeutique, le rôle du pharmacien s’est accru peu à peu ces derniers mois. De l’aveu même de Roger Rua, secrétaire général du SML (Syndicat des médecins libéraux), “c’est une petite révolution” qui est en train de secouer ce vieux couple que forment les médecins et les pharmaciens. Au risque de les fâcher pour toujours.

“Nous sommes dans une pétaudière, analyse Michel Chassang, le président du CNPS (Centre national des professions libérales de santé). La situation est explosive mais il est important, dans l’intérêt du patient, que le médecin et le pharmacien travaillent main dans la main.” Les deux parties s’accordent sur ce point, il faut trouver un terrain d’entente, mais comment ?

Un vrai rôle dans les soins de premier recours

Pour le leader syndicaliste, la solution c’est que chacun reste à sa place.“Le pharmacien est là pour dépanner, dit-il, il accompagne la délivrance du médicament et la sécurise. Il doit vérifier qu’il n’y a pas d’interactions entre les différents médicaments, qu’il n’y pas de contre-indications, il doit expliquer au patient comment prendre son médicament, prévenir les effets secondaires, mettre en place éventuellement un pilulier. C’est ça le boulot du pharmacien.”

Oui, mais voilà, dans le camp “adverse”, ce n’est pas tout à fait comme cela qu’on voit les choses. Gilles Bonnefond, le président délégué de l’USPO (Union des syndicats de pharmacies d’officine) n’a pas du tout la même vision de son métier. Un métier amené à changer, selon lui, sous la pression de plus en plus forte portée sur les médicaments et encore accentuée avec le dernier plan de rigueur annoncé par François Fillon. “Plus de la moitié des économies concernant la santé est portée par les pharmacies d’officine, constate le pharmacien de Montélimar. Cela va multiplier par trois le nombre de faillites l’an prochain ! Le métier de pharmacien ne peut donc plus reposer que sur les médicaments. On doit jouer un vrai rôle dans les soins de premier recours : prévention dépistage, conseil, éducation thérapeutique.”

Depuis le décret du 5 avril 2011 relatif aux missions des pharmaciens d’officine correspondants, les missions du pharmacien se sont déjà accrues. Il peut ainsi être choisi comme pharmacien-correspondant dans le suivi d’une maladie chronique. Entre deux consultations espacées d’un an maximum, et dans le cadre d’un protocole de soins signé avec le médecin traitant, il renouvelle le traitement du patient.

“Si jamais le patient présente des signaux d’alerte, explique l’officinal, j’appelle le médecin pour prendre son avis et changer éventuellement sa prescription. Si ça ne suffit pas, je renvoie le patient en consultation. Il ne s’agit en aucun cas d’un acte médical. De même, lorsque j’initie un traitement sous pilule chez une patiente qui vient me demander la pilule du lendemain, le temps qu’elle consulte, est-ce que c’est une mauvaise chose ? Est-ce que c’est un acte médical que de faire souffler un patient dans un picot ou prendre son taux de glycémie ? Est-ce qu’il y a intrusion ? Je ne le pense pas. On ne fait que détecter une anomalie chez des patients parfois éloignés des cabinets médicaux. Nous sommes la porte d’accès vers les soins.”

Faillites et regroupements

Depuis plusieurs années, les politiques de maitrise des dépenses de santé ont en effet durement touché les pharmaciens d’officine. Ils rencontrent de plus en plus de difficultés à équilibrer l’économie de leur officine, préalablement basée sur des volumes de ventes qui se réduisent sensiblement tandis qu’on observe la montée en puissance parallèle des médicaments génériques. Confrontée à des faillites et des regroupements, la profession militait pour un changement de modèle économique. C’est ce qui s’est fait progressivement, par le biais d’une part, de la loi Hôpital, patients, santé et territoires, qui, très symboliquement, (ré)installe le pharmacien dans un rôle d’acteur de santé de proximité en lui accordant de nouvelles prérogatives en matière de conseil,  parcours de soins et suivi des malades chroniques.

La deuxième étape de la mutation est en train de se réaliser au travers de l’article 39 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2012, examiné actuellement par le conseil constitutionnel. Il instaure un nouveau mécanisme destiné à rompre progressivement avec le passé et son système de rémunération fondée sur une marge par boîte.

Est désormais introduite dans la rémunération officinale “une part croissante dissociée du prix des produits vendus” peut-on lire dans l’exposé des motifs. Cette rémunération serait constituée pour partie d’une rémunération de l’acte de dispensation et pour partie d’une rémunération à la performance sur la base d’objectifs de santé publique et d’efficience des dépenses. Ces dernières rémunérations seront versées par les régimes obligatoires d’assurance maladie en contrepartie du respect d’engagements individualisés. “Ces engagements peuvent porter sur la dispensation, la participation à des actions de dépistage ou de prévention, l’accompagnement de patients atteints de pathologie chroniques, des actions destinées à favoriser la continuité et la coordination des soins, ainsi que toute action d’amélioration des pratiques et de l’efficience de la dispensation.”

"Moins commerçant"

“Cette restructuration de la rémunération fera que médecins et pharmaciens arrêteront de se bouffer entre eux, se félicite Michel Chassang du CNPS. Payer le pharmacien à la ligne d’ordonnance plutôt qu’à la boîte de médicament fait en sorte que le pharmacien soit moins un commerçant et plus un professionnel de santé. En revanche, il ne faut pas croire qu’il permettra de dégager du temps médical !”

La délégation des tâches fera pourtant partie des négociations de la prochaine convention pharmaceutique. La loi précise également que pour rapprocher les pharmaciens d’officine du statut commun aux autres professions de santé, il leur sera désormais possible de conclure avec l’UNCAM (Union national des caisses d’assurance maladie)  et d’autres professionnels de santé des accords conventionnels interprofessionnels.

Roger Rua du SML approuve. “On n’a pas d’autre choix de toute façon que d’aller vers l’efficience des soins, sinon on ira droit dans le mur et cela doit passer par une coordination entre les professionnels de santé. Il y a une rigidité historique entre eux, c’est pour cela que ça ne doit pas se faire brutalement. Il faut donner aux médecins des actes à plus forte valeur ajoutée, qui correspondent davantage à leur niveau d’études et déléguer certains actes à moindre valeur ajoutée aux pharmaciens avec l’accord du médecin et du patient.”

Retournement de veste

Le SML n’a pourtant pas toujours été aussi conciliant. Dans un communiqué de presse datant du 1er février 2010, le syndicat s’insurgeait de la rédaction du projet de décret d’application de l’article 38 de la loi HPST concernant la possibilité pour le pharmacien de renouveler périodiquement un traitement dans le cadre d’une maladie chronique. Retournement de veste donc près de deux ans plus tard. Le SML allant même plus loin aujourd’hui sur un autre sujet qui préoccupe les médecins et les pharmaciens en ce moment : la mention NS portée abusivement par les médecins sur environ 4% des ordonnances. La CNAM souhaite déférer ces médecins devant le conseil de l’Ordre.

“C’est dommage, estime Roger Rua, mais c’est comme cela qu’on fait avancer les choses en France, il faut un bâton et une carotte. C’est stupide de recourir à des sanctions mais c’est la seule solution pour éteindre les derniers combats d’avant-garde sur les génériques qui est un débat dépassé. Aujourd’hui il faut apprendre aux médecins à prescrire une molécule et non un médicament. Et ce n’est pas les pharmaciens qu’il faut attaquer mais c’est plutôt les pouvoirs publics à qui il faut demander une garantie sur la sécurité des génériques.”

Selon Gilles Bonnefond de l’USPO, le problème ne porte pas sur la sécurité des génériques mais plutôt sur l’influence des laboratoires qui “dégradent auprès des médecins l’image des génériques.”

“Les médecins ne doivent pas tomber dans ce piège. Les génériques sont bons pour les patients et pour l’économie. Nous, les pharmaciens, nous ne voulons pas les fliquer mais il faut qu’ils reviennent à la norme et qu’ils arrêtent l’usage abusif du NS. Il faut un retour des fondamentaux : le cœur du métier de médecin c’est d’établir un bon diagnostic et de prescrire une intention thérapeutique. A nous ensuite de gérer le traitement et de trouver le médicament adéquat. Nous on vit avec les patients, on voit ce dont ils ont besoin. Les médecins doivent arrêter de caricaturer notre profession parce que si on continue à se chamailler, ce sont les patients qui vont se détourner du libéral.”

Les prochains mois seront essentiels pour tenter de réconcilier un couple trop souvent mis à l’épreuve, mais qui a finalement toujours réussi à trouver un terrain d’entente. L’un a trop besoin de l’autre car le risque de perdre est en effet trop grand. 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Le Borgne et Concepcion Alvarez