L’addiction sexuelle est une maladie. Tous les milieux sociaux sont concernés. Les explications du Dr Laurent Karila (Psychiatre addictologue, CHU Paul-Brousse, Villejuif, 94) qui a ouvert en 2009 une consultation dédiée à cette pathologie.

Egora.fr : Peut-on estimer la prévalence de l’addiction sexuelle ? 

Dr Laurent Karila : Nous n’avons aucune donnée épidémiologique en France. Les données australiennes et américaines estiment le problème entre 2 et 5 % de la population générale. L’addiction sexuelle en elle-même n’est pas définie dans le DSM où elle appartiendrait plutôt aux troubles du contrôle des impulsions (TCI). Dans le DSM 5 elle sera définie sous le terme « troubles hypersexuels » avec les critères suivants : des fantasmes, des comportements ou passages à l’acte répétés sur le plan sexuel, une préoccupation du sujet pour le sexe, en réaction à un événement stressant ou à une dysphorie. Le patient ne peut pas s’empêcher de passer à l’acte et ce n’est pas lié à une maladie psychiatrique, somatique ou à un abus de substances. Il existe des formes cliniques : la masturbation compulsive, la cyberconsommation, la séduction multiple. 

Peut-on dresser un portrait des patients qui ont une addiction sexuelle ?

Les patients ne se confient pas facilement
à leur médecin généraliste


«Non, c’est compliqué, observe Laurent Karila. Actuellement je suis en train de travailler sur la validation d’un petit questionnaire de repérage rapide en six questions, et qui serait facilement utilisable par les médecins généralistes en l’incluant dans leur entretien. Sinon c’est très difficile avec le médecin de famille qui suit toute la famille. On le voyait bien avec certaines drogues il y a quelques années où le médecin avait du mal à interroger sur l’héroïne, la cocaïne, etc. Actuellement c’est à peu près le même problème avec l’addiction sexuelle. Ce questionnaire est en cours d’élaboration.»

Le sex ratio est entre 3 et 5 hommes pour 1 femme. Pour l’âge il y a un pic entre 20 et 30 ans et un deuxième pic entre 50 et 60 ans.

Ce sont des données de ma pratique clinique. Tous les milieux sociaux sont concernés. Le rôle d’Internet est majeur. Les comorbidités associées sont la dépression, les troubles anxieux et l’abus de substances. Dans l’ensemble, ce sont des patients ordinaires. On peut affirmer que l’addiction sexuelle n’est pas surexprimée chez les gens qui ont du pouvoir.On peut aussi ajouter que le lien avec la criminalité se situe plutôt dans le registre des agresseurs sexuels, ce qui est une autre pathologie.

Quelles sont les conséquences sociales ou socioprofessionnelles de cette addiction?

 Le retentissement se fait d’abord sur le couple et le motif de première consultation est souvent induit par le partenaire. Ensuite, il y a un retentissement sur le travail et sur la vie en général par ce que dans les critères de la maladie il y a la perte de temps induite par les comportements. Actuellement, les patients consultent plus facilement quand ils ont identifié le problème. Notre consultation dédiée est ouverte depuis 2009. Nous recevons de nombreux patients avec beaucoup de nouvelles demandes, en moyenne 3 à 4 tous les 10 jours. Maintenant, les patients prennent rendez-vous directement alors qu’il y a 6 ou 7 ans les consultations passaient d’abord par des motifs comme la dépression, les troubles du sommeil ou l’anxiété.

Quels sont les principaux éléments de la prise en charge des patients ?

C’est un programme très intégré. La première consultation sert à l’évaluation du problème. Ensuite c’est un programme de consultations ambulatoires sur 1 an avec un suivi régulier individuel en thérapie cognitive et comportementale pendant 3 mois, pour stabiliser les choses. En deuxième intention, on peut s’aider de médicaments comme les antidépresseurs à visée anticompulsive. Ils réduisent aussi les comportements de libido et agissent sur les comorbidités potentielles comme la dépression et l’anxiété. Les partenaires sont vus en deuxième ou troisième consultation pour une évaluation avec le patient. La plupart du temps, on organise une thérapie de couple. Une fois le patient stable, le but n’est pas l’abstinence, on recherche le retour à une sexualité satisfaisante. Après, on adresse les patients stabilisés en thérapie d’inspiration analytique, pour faire un travail de fond. Et il y a un suivi de maintien les années suivantes. Bien entendu, un bilan somatique est réalisé : on recherche en particulier les infections sexuellement transmissibles.

Et est-ce que les résultats sont bons ?

Je commence à avoir de bons résultats. Je n’ai pas encore fait de statistiques, mais sur la globalité à un an cela tourne autour de 70 % de résultats satisfaisants. Je n’ai pas vu d’études publiées sur des suivis de cohorte pour ce problème.

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Thierry Billoir