C’est en tout cas le point de vue pour le moins iconoclaste défendu par le Dr Daniel Wallach, dans “Numerus clausus, pourquoi la France va manquer de médecins”*. Un ouvrage publié en avril dernier dans lequel il montre l’opposition unanime et acharnée de la profession et de la tutelle, durant 40 années, à la hausse du Numerus clausus. Un rejet qui s’explique selon lui par le fait que “les médecins ont toujours trouvé qu’ils étaient trop nombreux”.

Rebelote aujourd’hui. Depuis l’annonce, fin novembre, par Xavier Bertrand de son intention d’augmenter le numerus clausus, les critiques n’ont cessé de fuser. Syndicats de médecins et d’étudiants, doyens de facs, maîtres de stage, et même Egoranautes**, tous se prononcent contre cette hausse.

"Aveuglement collectif"

Dans son ouvrage rédigé à partir d’archives du Quotidien du Médecin, le Dr Daniel Wallach, dermatologue à l’hôpital Tarnier-Cochin, revient sur les “40 ans d’échec” du Numerus clausus. Créée le 4 juin 1971 par le ministre de l’Education nationale de l’époque, Olivier Guichard, cette régulation du nombre de médecins avait trouvé comme “prétexte initial” le manque de postes hospitaliers.

D’où vient le terme Numerus clausus?


“Le Numerus clausus c’est la mesure décidée par les pays antisémites pour limiter l’accès des Juifs à certaines études ou certaines professions. (…) En Allemagne, dans les années 30, s’il y a 3% de Juifs dans la population, il ne peut y avoir plus de 3% de Juifs parmi les étudiants en médecine. (…) Le petit nombre d’admis devait soit se tenir debout pendant les cours, soit occuper des bancs spéciaux (les bancs du ghetto) dans le fond des amphithéâtres.” (Extrait de “Numerus clausus, pourquoi la France va manquer de médecins”)

“Plus tard, raconte le Dr Wallach, sont venues s’ajouter la volonté de baisser les dépenses de santé et la peur du chômage chez les médecins. Tout le monde était d’accord pour dire qu’il y avait trop de médecins et qu’il fallait baisser le Numerus clausus. Il y avait comme un aveuglement collectif.”

 Il pointe ainsi l’absurdité de certaines décisions politiques et la crainte – irrationnelle ?  – d’une profession qui redoute le chômage mais qui ne sait déjà pas comment recruter des médecins dans les zones rurales. Le nombre d’étudiants admis en 2e année baisse considérablement entre 1971 et 1980, passant de 8 591 à 6 409. Les socialistes arrivés aux commandes prennent le relais et continuent de resserrer encore un peu plus la vis pour arriver à la fin des années 80 à un Numerus clausus divisé par deux en vingt ans. Il atteint son niveau le plus bas en 1992 à 3 500.

Pourtant, des voix s’élèvent déjà ici et là pour dire qu’on manquerait de médecins en 2020 et que pour répondre à cette problématique, il ne suffit pas d’ouvrir ou de fermer le robinet du Numerus clausus, dont les conséquences ne sont visibles qu’à moyen terme.

Les syndicats médicaux et les pouvoirs publics n’en ont cure, trop occupés à organiser la reconversion de milliers de médecins non installés ou en sous-activité. Ils seraient 30 000 selon Alain Minc, célèbre conseiller politique, économiste, essayiste et dirigeant d’entreprise français. Des médecins qu’il va falloir “d’urgence recycler”, dit-il.

Et on ne manque pas d’imagination à l’époque : directeur de crèche, prof de maths ou encore…journaliste médical, propose le Dr Cabrera, fondateur du SML (Syndicat des médecins libéraux). Tout pourvu que ce ne soit pas “prescripteur” car il s’agit tout de même de faire des économies. L’Anemf (Association nationale des étudiants en médecine de France) et la CSMF (Confédération des syndicats médicaux français) lancent de leur côté une campagne pour dire aux jeunes qu’“ils ne gagneront pas plus avec un diplôme de docteur en médecine qu’avec un CAP de plomberie”.

Daniel Wallach, qui avait débuté ses études de médecine à Paris en 1965, avant l’instauration donc du numerus clausus, se souvient d’avoir été choqué par le chiffre de 30 000 médecins non installés ou en sous-activité, porté à la Une de tous les journaux médicaux.

 


 

Comme à la fin du XIXe siècle, face à cette “pléthore médicale”, le discours ambiant dans les années 90 a donc consisté à convaincre les jeunes de ne surtout pas devenir médecins, la perspective des 200 000 praticiens à l’horizon 2010 continuant d’effrayer.

"Destruction morale"

“La FMF la Fédération des médecins de France, ndlr], se souvient le Dr Wallach, alertait même les parents en leur disant : "attention au chômage médical !”. Les gouvernements successifs, dit-il, sont parvenus à une [destruction morale de la profession. Pendant des années, la nation répétait toujours le même message aux médecins : vous êtes trop nombreux, vous coûtez trop cher, étudiez autre chose, faites autre chose, prenez votre retraite…une image loin d’être gratifiante, d’autant que sur le plan des dépenses de santé, la baisse du Numerus clausus a été un cuisant échec.”

 Baisse du Numerus clausus, retraites anticipées avec la mise en place du Mica (Mécanisme d’Incitation à la Cessation d’Activité), reconversions financées, la CNAM espérait au total “économiser” environ 20 000 postes de médecins, sans se soucier de la pénurie à venir que l’on commençait pourtant à évoquer de plus en plus sérieusement et notamment par la voix du ministre de l’Enseignement supérieur de 1993… François Fillon. “Il souhaitait remonter le Numerus clausus, mais tout le monde lui est tombé dessus. Simone Veil en particulier, la ministre des Affaires sociales et de la Santé”, explique Daniel Wallach.

A partir de cette date néanmoins, il y a comme une prise de conscience et le Numerus clausus commence à augmenter, lentement. En 1995, il est de 3 570, il passe péniblement à 3 576 en 1996 et 1997. A ce moment-là, l’âge minimal pour bénéficier du MICA est encore abaissé, passant de 58 à 56 ans, le gouvernement Juppé espérant ainsi attirer plus de médecins car seulement 1 216 d’entre eux avaient touché cette pré-retraite sur les 6 000 qui pouvaient en bénéficier. Une situation qui semble aujourd’hui complètement ubuesque alors que les médecins sont de plus en plus nombreux à cumuler retraite et activité.

Vieilles lunes 

Au fil des ans, et grâce à une accélération dans les années 2000, le Numerus clausus revient finalement à un niveau proche de celui du début des années 70. L’an dernier, il était à 7 400, et fin novembre, le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, a annoncé sa volonté de le faire passer à 8 000 l’an prochain pour “lutter contre la pénurie de médecins”"Le nombre d’étudiants qui seront admis en médecine à l’issue de la première année commune aux études de santé (PACES) passera de 7.400 à 7.500 et le nombre d’étudiants venant d’autres filières sera porté de 300 à 500", a précisé le ministre ce jeudi sur Europe 1.

Mais là encore, on assiste à une levée de boucliers de la part des professionnels de santé. Les syndicats d’étudiants, les doyens de fac et les maîtres de stage crient à la “démagogie”, critiquent une “fausse réponse à un vrai problème” et dénoncent une“volonté électoraliste”, s’inquiétant “d’une remise en question de la qualité de la formation”.

Daniel Wallach, lui, estime que la solution doit passer par “la suppression pure et simple du Numerus clausus puisqu’il est impossible de toute façon de planifier le nombre de médecins”. Mais vu le tollé provoqué par les propos de Xavier Bertrand, personne n’aura le courage de défendre une telle mesure à quelques mois de l’échéance capitale que constitue l’élection présidentielle.

 


 

Finalement, on peut se demander si la clé du problème est à chercher dans l’augmentation ou la baisse du Numerus clausus ou bien plutôt dans la revalorisation du métier de médecin généraliste. Xavier Bertrand ne fait-il pas que raviver de vieilles lunes ? Pour le Dr Wallach, “la très longue démoralisation et démotivation des médecins” n’a fait que contribuer à détourner de nombreux jeunes de la profession et notamment de l’exercice libéral. “Aujourd’hui, seulement trois étudiants sur dix en DES de médecine générale exercent en tant que libéral.” Il estime par ailleurs à 50 000 le nombre de personnes qui ont été “empêchées" de faire de la médecine. “50 000 médecins qui auraient éventuellement pu venir combler les déserts médicaux.”

Pour la CSMF, qui n’appelle plus désormais à une baisse du Numerus clausus, la solution serait la mise en place d’“un Numerus clausus qualifié”. “La priorité n’est pas de définir un Numerus clausus au niveau national mais de définir avec précision les effectifs en fonction du lieu et des spécialités où les besoins existent.” L’idée serait donc d’établir des Numerus clausus régionaux avec une répartition des postes à l’internat calqués sur les besoins existants. Encore faut-il ensuite que les médecins formés restent dans la région et choisissent de s’installer dans les zones sous-dotées. 


* “Numerus clausus, pourquoi la France va manquer de médecins” Editions Springer Verlag France, 20 avr. 2011 – 289 pages – 15 euros.
** Selon un sondage lancé la semaine dernière sur Egora, vous êtes, à ce jour, 78% à estimer que l’augmentation du Numerus clausus ne permettra pas de sauver la médecine libérale.
 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Concepcion Alvarez