Télétransmission des feuilles de soins, e-prescription, dossier médical personnel, télémédecine et maintenant paiement à la performance : l’étau se resserre. Les récalcitrants à l’informatique n’auront bientôt plus le choix. Ils devront s’y mettre à leur tour, au risque sinon d’être totalement marginalisés. Voire même, à terme, déconventionnés.

C’était l’un des trois sujets évoqués la semaine dernière lors d’une conférence de presse de la CNAM : la dématérialisation des ordonnances papier. A l’image des feuilles de soin, dont le taux de télétransmission est aujourd’hui de près de 90% ­- 150 millions de feuilles de soins papier transmises l’an passé contre 1,1 milliard de feuilles de soins électroniques -, l’Assurance-maladie va progressivement faire disparaître les ordonnances.

Paris-Lyon

D’abord dans les pharmacies, d’ici la fin de l’année prochaine, puis chez les médecins, d’ici 2018. “ Nous sommes confrontés à une masse de papier considérable, a expliqué Philippe Ulmann, directeur de l’offre de soins à la CNAM, ce qui entraîne une gestion très lourde pour les pharmaciens et pour l’Assurance-maladie qui doit les récupérer, les trier et les traiter.”

Les caisses reçoivent ainsi chaque année 750 millions d’ordonnances papier, soit 424 km linéaires d’archives, l’équivalent d’un Paris-Lyon ! “A Paris, c’est un semi-remorque de 6 tonnes de papier qui arrive chaque semaine à la Caisse primaire”, a précisé Frédéric Van Roekeghem, le directeur général de la CNAM. Au total, la collecte des ordonnances coûte 4 millions d’euros par an à la Sécu. “Le classement et la mise sous pli des prescriptions représentent deux heures de travail chaque soir dans une pharmacie moyenne”, a-t-il encore ajouté.   

La dématérialisation de ces ordonnances a donc été lancée. Depuis début 2010, une expérimentation est menée dans sept départements : les pharmaciens scannent les ordonnances papier, les archivent sur CD-Rom et les transmettent tous les quinze jours aux caisses d’assurance-maladie.

En avril dernier, l’expérimentation a été étendue à d’autres officines et aujourd’hui ce sont 900 pharmacies qui utilisent ce dispositif. Un avenant à la convention pharmaceutique signé mi-novembre va permettre de généraliser la numérisation des ordonnances et l’utilisation du CD-Rom à toutes les officines. Puis une expérimentation de dématérialisation complète sera menée dans cinq pharmacies avant là aussi d’être généralisée. Les ordonnances scannées seront alors directement télétransmises vers un serveur informatique sécurisé de l’Assurance-maladie.  

“Le but est d’arriver, fin 2012, à toucher trois quarts des pharmacies, et l’ensemble des 23 000 officines début 2013”, explique Philippe Ulmann. Une aide forfaitaire annuelle de 418,60 euros TTC est versée à chaque pharmacien volontaire pour s’équiper notamment en scanners. Elle vient remplacer la subvention de 15 centimes d’euros par copie d’ordonnance.

"Zéro papier”

Après les pharmaciens, ce sera au tour des médecins de rentrer dans la ronde de la dématérialisation. “Ça prendra un peu plus de temps, mais l’objectif est vraiment d’arriver à zéro papier”, note le directeur de l’offre de soins à la CNAM.

La convention médicale, signée le 26 juillet, prévoit déjà de dématérialiser progressivement les prescriptions, notamment celle des médicaments. Elle est d’ores et déjà opérationnelle pour les arrêts de travail et le choix du médecin traitant.

“Pour y arriver, il faut que tous les médecins soient équipés mais on est déjà en train de bâtir le socle avec les logiciels métier d’aide à la prescription. On peut imaginer lancer une généralisation chez les médecins de 2014 à 2018 pour un déploiement de ce dispositif grandeur nature dans le cadre de la prochaine convention d’objectifs, explique le directeur de la CNAM. Et puis la dématérialisation sera également un moyen efficace pour lutter contre la fraude aux fausses ordonnances.”

L’idée est que le patient n’ait plus d’ordonnance à remettre à la pharmacie. Plusieurs pays ont mis en place ce dispositif et la CNAM est en train d’étudier la pertinence de remplacer l’ordonnance par un numéro que le patient remettra à son pharmacien pour retrouver sa prescription. L’étape suivante sera de rendre accessible les prescriptions réalisées par les médecins à l’ensemble des professionnels de santé sur un portail commun. D’ores et déjà, un avenant à la convention des transporteurs sanitaires programme la dématérialisation totale de la prescription et de la facturation pour 2012. Des accords ont également été passés avec les infirmiers et les masseurs-kinésithérapeutes pour la numérisation des ordonnances et leur télétransmission. Les directeurs de laboratoire d’analyses médicales vont également signer un avenant allant dans ce sens.

Sur le quai de la gare

Le train à grande vitesse de l’informatisation est donc en marche. Ceux qui ne sont pas encore montés à bord ont une chance de le rattraper, mais le temps leur est compté. Chez les généralistes, ils risquent pourtant d’être un certain nombre à rester sur le quai de la gare. “Dans le domaine libéral, il y aurait environ 50% des médecins dotés de matériel informatique, estime le Dr Bernard Ortolan, l’un des présidents du Conseil national de la formation médicale continue (Cnfmc). Et nombreux sont ceux qui se servent de leur logiciel non pas comme une base de données mais uniquement pour faire du traitement de texte.”

La rémunération sur objectif de santé publique de la nouvelle convention médicale prévoit notamment de rémunérer les médecins pour l’informatisation de leur cabinet à hauteur de 400 points* sur 1 300, soit 2 800 euros pour celui qui rempli à 100% les différents objectifs. Cela permettra-t-il d’accélérer la tendance ?

On se souvient de la polémique lancée l’an dernier par Christian Saout, le président du CISS (Collectif interassociatif sur la santé) qui plantait le décor. Il avait déclaré que les médecins “achetaient peut-être des Playmobil à leurs enfants ou des sacs à main à leur épouse” avec les fonds de l’Assurance-maladie au lieu de s’en servir pour informatiser leur cabinet. Le Dr Jacques Lucas, vice-président du CNOM (Conseil national de l’ordre des médecins), se veut quant à lui plus optimiste. “Les médecins sont prêts à l’informatisation. Les résistances culturelles vont disparaître avec le temps. D’ici trois à quatre ans, 80% des cabinets seront informatisés, espère-t-il, car c’est bénéfique pour leur qualité de gestion.”

Déception

Des craintes se font néanmoins entendre concernant notamment la protection des informations. En Grande-Bretagne, par exemple, les dossiers médicaux pourraient bientôt être accessibles aux industriels de la santé. Selon plusieurs médias britanniques, le Premier ministre David Cameron devait en effet plaider ce lundi pour une plus grande collaboration entre le secteur public et l’industrie de la recherche, celle-ci pouvant être à ses yeux un puissant moteur pour la croissance britannique, actuellement en berne. Selon le gouvernement anglais, une telle réforme permettrait aux patients d’accéder à des traitements de pointe et au secteur public de faire des économies.

Par ailleurs, une étude du Jamia (Journal de l’Association américaine d’information médicale) menée en juillet dernier aux Etats-Unis, où 200 000 médecins utilisent l’e-prescription, montre, contre toute attente, que le taux d’erreurs constaté sur les ordonnances électroniques, soit 11,7%, est comparable à celui des ordonnances manuelles. Une déception pour les experts américains de la réforme de la santé qui avaient assuré que l’e-prescription engendrerait moins d’erreurs et permettraient de grandes économies sur les budgets de santé.

De ce côté de l’Atlantique, l’enjeu est également de taille pour l’Assurance-maladie qui espère réaliser de grosses économies sur le coût des traitements manuels des ordonnances. Sans donner de chiffres précis, Frédéric Van Roekeghem affirme qu’“il est clair que ce programme [de dématérialisation, ndlr] va être rentable”.  Aujourd’hui, 4.000 agents de la CNAM travaillent sur le traitement et l’archivage des prescriptions.

“L’économie pourrait être de 400 équivalents temps plein, conclut le directeur des caisses, dont une partie sera recyclée pour l’amélioration du contrôle et de la gestion du risque afin d’atteindre nos objectifs d’efficience.” Car l’efficience, en ces temps de rigueur, est bel et bien devenue le maître-mot à la CNAM. Après le psychodrame entraîné par l’imminence d’une pénalisation des praticiens continuant à utiliser des feuilles de soins papier, l’assurance maladie a décidé de changer son fusil d’épaule et de prôner les mesures incitatives. Néanmoins,  les récalcitrants prouvés ne seront pas oubliés, mais ils “bénéficieront” d’une pénalisation au cas par cas.


* Tenue du dossier médical informatisé (75 points) ; Utilisation d’un logiciel d’aide à la prescription certifié (50 points) ; Informatisation permettant de télétransmettre et d’utiliser des téléservices (75 points) ; Volet annuel de synthèse par le médecin traitant du dossier médical informatisé (150 points) et Affichage dans le cabinet et sur le site Ameli des horaires de consultation et des modalités d’organisation du cabinet, notamment pour l’accès adapté des patients (50 points).
 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Concepcion Alvarez