Avec la survenue de plusieurs faits divers macabres ces dernières semaines, la délinquance sexuelle fait la Une de l’actualité.

Dans ce contexte, le Dr Pierre Lamothe (chef du Pôle Santé Mentale des Détenus et Psychiatrie Légale, Centre Hospitalier Le Vinatier, Lyon) nous fait partager ses réflexions d’expert sur certains aspects de la délinquance sexuelle et précise en particulier le rôle de détection que peut avoir le psychiatre mais aussi le médecin généraliste.

Egora.fr : Selon vous, tout passage à l’acte repose-t-il sur des pulsions ? Peut-il y avoir une part pour la préméditation ?

Dr Pierre Lamothe : Il me semble assez artificiel d’opposer pulsions et préméditation. Mais, le terme de pulsion est clinique, tandis que celui de préméditation est juridique. Dans une optique criminologique, on peut faire la différence entre un crime impulsif et un crime « prémédité ». Mais, considéré d’un point de vue clinique, il faut savoir que les sujets ayant des pulsions et qui en sont conscientes ont déjà essayé de lutter contre elles afin de les empêcher de survenir de façon itérative. Les personnes disent parfois qu’elles se sont laissé surprendre ou qu’au contraire, au dernier moment, un élément moral a fait barrage au franchissement de l’interdit. Mais, le fait qu’une pulsion soit consciente et n’ait pas donnée lieu immédiatement au passage à l’acte abouti à refouler cette pulsion et entraine le sujet à s’interroger sur la manière dont il pourrait l’exercer. Cela conduit à considérer comme très étroite la frontière entre ce qui est prémédité et ce qui est d’origine pulsionnelle immédiate.

Dans mon expérience, je pense que dans la majorité des cas, la pulsion a un rôle central et qu’il n’existe que très peu de cas où on peut évoquer une forme de préméditation authentique, c’est-à-dire un acte rationnellement pensé et conçu avec autrui pour objet. Plutôt que d’essayer de pratiquer une séparation criminologique entre ce qui est prémédité et ce qui est pulsionnel, mieux vaudrait sans doute parler de « circonstances » : vous sortez nu d’une salle de bains et vous tombez nez à nez avec une femme de ménage… La dangerosité est toujours contingente et non « absolue ».

Peut-on prévoir la récidive dans le cadre des violences sexuelles ?

On peut avoir une très bonne idée de la probabilité de la récidive, sans que celle-ci puisse être bien entendu totalement prédictive. On dispose d’éléments très reproductibles sur le plan criminologique et on sait que certains criminels récidivent et d’autres pas mais aussi que certains crimes sont commis plusieurs fois et d’autres pas. C’est ainsi, par exemple, que l’inceste récidive tant que la loi ne s’est pas exercée et donc que son auteur est encore dans l’impunité ; mais le jour où il est sanctionné tout s’arrête.

A l’inverse, les grands prédateurs sexuels répétitifs, qui d’ailleurs ne sont pas obligatoirement violents, récidivent très fréquemment, même après une condamnation légale. On sait aussi que le viol présente un pourcentage de récidives plus élevé s’il est associé à une délinquance généraliste, comme des vols ou des agressions diverses, et qu’un violeur en série qui suit un scénario précis – escaladant par exemple les balcons – est aussi un très probable récidiviste en puissance.

Les violences sexuelles sont-elles exclusivement masculines ?

Non, elles ne sont pas uniquement masculines mais peuvent être aussi féminines et sont alors en général commises en groupe, et d’autant plus souvent que ce groupe comprend un homme. Mais les violences sexuelles féminines sont rarement isolées des autres formes de violences, et s’exerçent dans un cadre global de maltraitance au cours de laquelle l’enfant est battu, affamé et enfermé dans une cave, par exemple. Rappelons-nous l’affaire d’Outreau. En revanche, la femme prédatrice est extrêmement rare.

Cela étant il existe aussi des femmes ayant des attitudes perverses vis-à-vis des enfants, comme le fait de pratiquer une fellation sur un bébé, soi-disant  pour le faire dormir…

Les signes qui doivent alerter le médecin généraliste

Dans son exercice professionnel, certains signes doivent-ils attirer l’attention du médecin généraliste ?

Chez les personnes dont il connait l’orientation pédophilique, par exemple, le généraliste doit être attentif à « l’imperméabilité » du sujet, c’est-à-dire à celui qui persiste à dire que « tout va bien », qui ne parle de rien et dont le contenu psychique est inaccessible.

Il faut aussi se méfier de celui qui ergote dans une sorte de déni sophistiqué, se disant notamment victime des enfants, alors que c’est exactement l’inverse. Attention aussi aux personnes qui se drapent dans les buts les plus élevés.

Une chose est certaine, avec le pervers, qui pense être plus « malin » que la loi, il faut soi même être dans la loi qui s’impose à tous, non pas par ce qu’elle est intelligente mais par ce qu’elle est la loi. Le pervers voudrait nous attirer dans une critique « par la raison » et on ne peut pas le suivre dans la connivence sous couvert de thérapeutique par exemple.

Mais, la vulnérabilité n’est pas inscrite sur le visage et si on commence à mettre le pied dans une mécanique de dénonciation d’un danger potentiel, attention aux conséquences possibles pour le fonctionnement de notre société qui seront globalement très préjudiciables et non bénéfiques.

Que peut-il faire en pratique ?

S’il a un doute devant un auteur d’infraction à caractère sexuel, potentiel ou avéré, le médecin peut lui dire « je suis inquiet pour vous », sous-entendu, de ce qui risque d’arriver. Cette formule est moins intrusive, moins agressive, que de dire « vous êtes en danger » ou encore pire vous êtes dangereux. Le généraliste ne doit pas hésiter à exprimer son inquiétude et à proposer au sujet une prise en charge. Il est essentiel de parler avec lui, de ne pas laisser le délinquant sexuel potentiel seul avec lui-même et de ne surtout pas le radicaliser dans sa monstruosité, mais au contraire le réconcilier avec lui-même.

Réunis au sein des CRIAVS (Centres de Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles www.criavs) sur tout le territoire national, nous sommes bien entendu à la disposition des généralistes pour les aider, leur fournir des informations, dispenser de la formation. Et nos psychologues spécialisés peuvent prendre en charge les patients qu’ils pourraient souhaiter nous adresser.

Castration chimique : de rares indications

Quels types de prise en charge les psychiatres spécialisés mettent-ils en œuvre ?

Il s’agit de thérapies individuelles et/ou en groupe, toujours centrées autour d’une proposition de fonctionnement dans la loi mais aussi dans la morale du thérapeute ! Si ce dernier le nie et soutient qu’il n’est que dans la technique il finit par « faire la morale » ce qui est inopérant et entraîne la critique et le rejet du soin par celui qui est menacé par sa pulsion et son comportement. Nous faisons, notamment, beaucoup de pédagogie, grâce à laquelle nous apprenons au sujet à identifier lui-même ses affects et à pouvoir les gérer. Notre objectif est de travailler avec le patient et non pas malgré lui, voire contre lui… comme la justice le souhaite parfois.

C’est un travail d’accompagnement patient et prolongé. En sachant qu’on ne peut jamais avoir de certitudes de succès. Mais la chirurgie est dans le même cas !

Les délinquants sexuels ont très peu de connaissances de l’autre, peu de capacités d’empathie et même très peu de connaissances sexuelles « de base ». On est toujours surpris de voir combien un pédophile a une vision extrêmement primitive des relations entre les sexes.

A ce sujet, il faut savoir que ce que l’on appelle d’ailleurs improprement « la castration chimique » n’a que de très rares indications. Il ne s’agit absolument pas d’une solution miracle qu’on pourrait appliquer à tout le monde ! Et j’aimerais souligner que s’il revient au juge de décider d’une éventuelle injonction de soins judiciaire, ce n’est pas à lui de déterminer le contenu de la prise en charge.

Enfin, il faut aussi prendre garde à ce que j’appellerai une idéologie de pronostic, telle qu’elle ressort de la loi de mars 2010 au sujet des troubles de la personnalité, qui tend à postuler qu’une personne sera ce qu’elle est, légitimant ainsi une mise sous surveillance judiciaire par ce qu’inévitablement elle commettra tôt ou tard tel ou tel type de délit, ce qui semble proprement épouvantable !

Les expériences étrangères peuvent-elles être utiles ?

Nous tenons naturellement compte des expériences étrangères.

Cela étant, il faut savoir qu’il n’y a pas plus de violences sexuelles en France que dans les autres pays ; il y en aurait même plutôt moins.

On fait actuellement grand cas des résultats obtenus au Canada, notamment par l’Institut Philippe-Pinel spécialisé dans les obligations de soins aux délinquants sexuels, mais il faut avoir conscience que celui-ci sélectionne les personnes dont il accepte de s’occuper.

Globalement, leurs statistiques de réussite sont très superposables aux nôtres.

Quel suivi peut être mis en œuvre après une période d’incarcération ?

Il faut mettre un maximum de jalons impliquant des contacts avec des médecins, sans pour autant transformer systématiquement les jalons en figures obligées. Il y a des gens que nous accompagnons de façon très lâche pendant de nombreuses années et qui ont besoin de venir de temps à autre, d’une façon un peu phobique. Je dirai qu’en 3 à 4 ans, on doit être sorti d’une phase active, mais cela peut aller très vite et en 6 mois on peut se rendre compte qu’on a orienté les choses de façon différente, ou mis en évidence un blocage qui peut être parfois irréversible. 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Didier Rodde