Ils sont médecins roumains et un sur deux compte désormais parmi les nouveaux inscrits en Basse-Normandie. Recrutés par des agences spécialisées, ils viennent pour repeupler les zones désertifiées. Direction l’Orne pour une grande majorité d’entre eux. Mais le défi n’est pas toujours relevé.

Thierry Aubin, le maire de Chanu, une petite commune de 1 300 habitants dans l’Orne (61), est ravi. Après deux ans de recherches désespérées, il vient enfin de trouver un remplaçant en vue du départ prochain à la retraite de l’un des deux médecins du village. Il s’agit du Docteur Topor, tout juste arrivé de Roumanie, et déniché par une agence de recrutement, le CEFC (Centre européen de formation et conseil), pour la coquette somme de 5 000 euros.

Dénicher la perle rare

Ces dernières années, ces agences spécialisées dans le recrutement de médecins étrangers ont prospéré, surfant sur la pénurie de médecins. La Basse-Normandie est principalement ciblée puisqu’elle occupe le 7e rang des régions les moins bien dotées en France avec seulement 264 médecins pour 100 000 habitants*, la moyenne nationale se situant à 306,7.

Les médecins étrangers y représentaient ainsi, en 2010, 32% des nouveaux inscrits, un médecin sur deux étant originaire de Roumanie. Dans le département de l’Orne, particulièrement sinistré, ce taux atteint même 100% puisque tous les médecins inscrits l’an dernier au tableau de l’Ordre avaient obtenu leur diplôme hors de France, une grande majorité venant là aussi de Roumanie.

Pas étonnant donc que les agences de recrutement de médecins se tournent vers les pays de l’Est pour dénicher la perle rare. Sylvain Blondin, dans le recrutement et la formation depuis 30 ans, ancien d’Unilever, et mariée à une Roumaine, a sauté sur l’occasion il y a un peu plus de cinq ans pour créer sa propre agence, le CEFC. "J’avais des contacts dans le milieu hospitalier, et voyant venir la crise, ils m’ont conseillé de me lancer là-dedans. Je me suis dit qu’effectivement, il y avait certaines opportunités à saisir." Sa petite entreprise compte désormais 12 salariés, des consultants indépendants basés dans toute l’Europe.

"Marchands d’illusions"

Depuis 2005, entre 50 et 80 médecins auraient ainsi été recrutés.

"La sélection est très rigoureuse, explique encore Sylvain Blondin. Nous, contrairement à beaucoup de nos concurrents, nous vérifions les diplômes car la corruption existe et est importante. Nous demandons un dossier de motivation pour connaître la personnalité du candidat, mais aussi pour savoir ce qui le pousse à venir s’installer en France. Cela nous permet également de tester son niveau de français. Et puis ensuite, il y a plusieurs entretiens, nous proposons le dossier à la commune qui accepte ou pas. Enfin, nous accompagnons le nouveau médecin tout au long de son installation. On l’aide dans toutes les démarches administratives : inscription à l’Ordre des médecins, recherche d’un logement, etc. En échange, le médecin ne débourse rien, les 5 000 euros demandés à la commune ou à l’établissement hospitalier servant à couvrir tous les frais."

Le recruteur est pourtant suivi de près par le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) qui a diffusé l’an dernier une circulaire interne pour alerter sur les pratiques de cet organisme en particulier, et sur les agences de recrutement de médecins en général. Il reproche notamment au patron du CEFC d’avoir signé avec les médecins recrutés un contrat les obligeant à reverser un pourcentage de leurs honoraires. Des contrats qui n’ont jamais été transmis à l’Ordre.

"Ceci est tout à fait contraire à la loi, rétorque le Dr Walter Vorhauer, secrétaire général de l’Ordre des médecins. Ce sont des marchands d’illusions, comme il existe des marchands de sommeil, qui se gavent sur le dos des médecins." Et le membre du CNOM n’hésite pas à citer l’exemple d’un établissement hospitalier qui aurait été floué par l’organisme de Sylvain Blondin. Il aurait ainsi dépensé 15 000 euros pour un médecin qui ne se serait jamais installé.

"Je ne comprends pas pourquoi l’hôpital n’a pas porté plainte alors qu’il a été grugé", explique encore le Dr Vorhauer. Il déplore également que le CEFC fasse état de contacts auprès du CNOM lorsqu’il se présente à une commune. “Nous ne pouvons pas cautionner ces activités et le fait que cet organisme dise qu’il a notre bénédiction parce que c’est faux. Nous nous opposons totalement à ses pratiques qui ne sont pas déontologiques. Et dès que nous trouverons une faille juridique, nous n’hésiterons pas à le poursuivre.”

"Loin du terrain"

Face à ces virulentes attaques, reprises évidemment par ses concurrents, Sylvain Blondin a été forcé de modifier son contrat. Il avoue ainsi qu’avant la diffusion de cette circulaire, il demandait effectivement aux médecins de lui verser 20% de leurs honoraires pendant deux ans. “On formait ces médecins, on leur fournissait un logement gratuitement, on gérait leur agenda et la prise des rendez-vous, on s’occupait de toute la paperasserie administrative… on était en immersion avec eux, donc forcément ça avait un coût. Mais maintenant, tout ça c’est fini”, assure-t-il.

Malgré la méfiance des communes, le recruteur parvient encore à les convaincre de faire appel à ses services. Il se pose en défenseur du système de santé qui, pour ne pas imploser, dit-il, doit s’appuyer sur des agences comme la sienne pour la gestion des resssources humaines.

"Les ARS ne connaissent rien à la réalité des choses, elles sont loin du terrain, alors que nous c’est notre métier. Il faut donc mettre en place une législation pour organiser une coordination entre les médecins, la commune et nous. Parce que moi je sais reconnaître une situation qui va fonctionner. A Chanu, par exemple, tous les ingrédients étaient réunis pour réussir.”

Que la greffe prenne

L’ARS Basse-Normandie ne semble pas encore prête pour cette "mutation". Si elle estime en effet que les agences de recrutement sont l’une des solutions pour l’instant, elles sont loin “d’être LA solution”.

“Le problème, explique Pascal Hoste, directeur général adjoint de l’ARS, c’est qu’il faut réussir à convaincre les communes qu’elles n’auront pas toutes un médecin sur leur territoire, il faut plutôt réfléchir en termes de bassin de vie. Celles qui voudront coûte que coûte recruter un médecin, nous ne les soutiendrons pas, on ne veut plus que chacune tire la couverture à elle. Ce n’est pas comme cela qu’on réussira à travailler demain.”

Pascal Hoste pointe également du doigt les difficultés pour certains médecins étrangers à s’intégrer.

“Il est très compliqué pour des médecins étrangers de venir s’installer dans une zone sous-dotée. Il faut que la greffe prenne avec les patients, mais aussi avec les autres confrères et ce n’est pas toujours évident. Dans la majorité des cas, ils repartent dans leur pays ou quittent la campagne pour s’installer en ville. Faire venir des médecins roumains n’est donc pas la solution que nous privilégions car elle n’est pas pérenne pour lutter contre la pénurie des médecins.”

Appel à la prudence

Le CNOM, dans l’Atlas de la démographie médicale de 2010, était lui aussi arrivé à la même conclusion.

“Bien que le nombre de médecins de nationalité européenne et extra-européenne inscrits au tableau de l’Ordre augmente chaque année, ces nouvelles arrivées ne pallient pas le manque de médecins en zone désertifiée et ne comblent pas non plus la désertion de l’exercice libéral. Deux tiers de ces confrères ont choisi d’exercer en activité salariée et affichent une nette préférence pour les régions à haute densité médicale.” Ainsi, concernant le recrutement par des agences spécialisées, l’Ordre “appelle les élus à la prudence, les exemples de déconvenue étant malheureusement fréquents.”

Le conseil général de l’Orne s’est quant à lui affranchi de ces conseils et préfère “répondre aux besoins de santé de la population”. Depuis 2003, l’agence Revitalis, désormais mise en liquidation judiciaire, s’occupait de recruter des médecins pour lutter contre les problèmes démographiques médicaux que connaît le département.

13 médecins ont ainsi été embauchés, un seul aurait quitté le bateau pour aller exercer à l’hôpital. Un appel d’offres est actuellement en cours pour trouver une nouvelle agence de recrutement. Sa mission : dénicher 8 perles rares d’ici trois ans. On peut parier que les candidats seront nombreux.


* Selon les Atlas régionaux publiés par le Conseil national de l’Ordre des médecins au 1er juin 2011
 
Note. Article mis à jour le 30 novembre à 23h39.
 


Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Concepcion Alvarez