Surfant sur le poids de l’isolement, frein majeur à l’installation des jeunes médecins dans les zones désertifiées, les sites Internet et réseaux communautaires faits par et pour des professionnels de santé n’ont cessé de prospérer ces dernières années. Un marché prisé par les laboratoires pharmaceutiques, mais qui ne parvient pas encore à fédérer les médecins.
Partager ses soucis, conseiller ses confrères, échanger sur des cas difficiles, réagir sur l’actualité, c’est ce qu’a souhaité faire sur la Toile le Dr Pascal Dechambre, généraliste au sud de Tours.
Robinson Crusoé
"Le problème avec les réunions de FMC ou syndicales, dit-il, c’est qu’ensuite chacun repart dans son coin". Il vient tout juste de lancer Voxmedecins.com, un réseau social gratuit dédié exclusivement aux médecins, une sorte en fait de " Facebook des médecins ".
" Le médecin généraliste est un vrai Robinson Crusoé ! Pourtant, à l’heure des réseaux sociaux et alors qu’Internet a considérablement simplifié nos vies, il me semble invraisemblable qu’aucun outil n’existe pour améliorer l’activité professionnelle des médecins et leur permettre d’échanger rapidement et en temps réel des informations d’ordre professionnel. "
Il a donc décidé de créer ce réseau communautaire qui a pour but "de favoriser l’entraide, la solidarité et la confraternité". Pour l’instant, il compte une douzaine de membres.
" C’est peu, reconnaît le Dr Dechambre,mais ça vient juste de démarrer. Notre objectif ce n’est pas de rassembler toute la profession, mais de réunir au moins un gros noyau de fidèles qui aurait ses habitudes sur le site. "
Le site est totalement indépendant, à la fois des syndicats, des caisses d’assurance-maladie, des organisations professionnelles et des labos. Comment alors est-il financé ? "L’altruisme ça existe aussi", répond simplement le généraliste tourangeau qui ne souhaite pas donner plus de détails. On sait toutefois qu’il a été aidé par Julien Gueguen. Selon Basil Stratégies, une société de conseil en marketing sur la E-Santé, il s’agirait d’un avocat qui a déjà monté un réseau social dédié aux professionnels du droit. " Il y a tout lieu de croire, indique Denise Silber, la présidente et fondatrice de Basil Strategies, que c’est lui qui a approché le médecin pour mettre en place ce réseau social."
"Les sites portés uniquement par les labos ne fonctionnent pas"
L’altruisme, le Dr Fabien Guez, lui, n’a pas pu compter dessus. Cardiologue dans le 16e arrondissement de Paris, il a lancé, fin 2008, Docatus, un site communautaire dédié aux professionnels de santé (médecins, dentistes, pharmaciens, universitaires, chercheurs et étudiants), en France et à l’étranger. Il compte aujourd’hui 26 000 inscrits, dont 15 000 membres actifs, toutes professions confondues – les médecins représentent 40% des connectés – et l’objectif est d’atteindre les 100 000 membres d’ici fin 2012.
" Au début, ça n’a pas été facile, explique-t-il, on a vraiment lutté pour s’imposer alors qu’on ne partait pas de zéro. Maintenant on est sur les rails et je peux dire que ça marche bien. "
Le Dr Guez, également à la tête depuis quinze ans de Bianca Medica, une agence évenementielle dans la santé, disposait en effet d’une importante base de données et d’un réseau considérable. Il a aussi reçu l’appui de nombreux partenaires, institutionnels, associatifs ou privés, tels que l’Afssaps, laMacsf, l’Anemf, Médecins du Monde, la CSMF, la FHP, EA Pharma, Hudson, Perouse Medical…
Mais malgré ces soutiens de poids, il a dépensé entre "400 000 et 500 000 euros".
"Au début l’industrie était très frileuse mais elle a vite compris qu’Internet était l’avenir de la pratique médicale et qu’il était devenu inéluctable d’être sur un réseau comme le nôtre parce qu’on le voit, les sites portés uniquement par les labos ne fonctionnent pas. "
Des échanges revendus
Echange de bon procédés obligé, le Dr Guez s’engage à fournir à l’industrie une sorte d’état des lieux sur la tendance des pratiques qui se dégage des commentaires et des articles publiés sur le site par les professionnels de santé. " Mais, assure-t-il, aucune information nominative n’est transmise aux labos. Et nous avons une charte des partenaires qui est très claire là-dessus. "
Outre-Atlantique, le plus connu en matière de réseaux communautaires est le site Sermo.com créé en 2006 pour remédier là aussi à « la solitude des médecins », explique son fondateur, le Dr Daniel Paslestrant. Gratuit, ce réseau social réalise son chiffre d’affaire en vendant aux compagnies pharmaceutiques un accès aux conversations de ces spécialistes de la santé.
Le deal est clair et annoncé sur les pages d’accueil du site : les médecins sont au courant que les échanges sont susceptibles d’être revendus, personne n’est pris en défaut. Et cela n’a pas empêché 115000 médecins de s’y inscrire. Le site a ainsi séduit à ce jour entre 15 et 20% des praticiens américains et déclare que 3 millions de commentaires y ont été déposés fin avril 2009. Peut-on arriver un jour à un tel succès en France ?
Les sites sont éclatés
Selon une étude réalisée aux États-Unis en 2009 par un cabinet spécialisé, deux tiers des médecins européens sont désireux d’appartenir à une communauté de médecins en ligne.
" Mais le cas de la France est un peu particulier, explique encore Denise Silber, à l’origine de la conférence internationale Doctors 2.0&You*, parce que les médecins ont leurs habitudes. Ils étaient intégrés dans des communautés – associations de FMC, sociétés savantes, syndicats – avant l’arrivée d’Internet et il est compliqué de leur faire quitter ces groupes pour des réseaux dont l’offre n’est pas suffisamment attrayante ou qui ne présentent pas une fonctionnalité originale. Il n’y a de ce fait aucune communauté qui permet de fédérer une majorité de médecins, au contraire, les réseaux sont éclatés. En revanche, la possibilité qui est donnée sur ces sites d’interroger un autre confrère est une recette qui peut fonctionner et qui correspond en tout cas à leur demande."
Le Dr Jean-Marie Vailloud, cardiologue et auteur du blog Grange blanche, est lui aussi optimiste sur ces confrères : « ce n’est pas parce que la diffusion des réseaux sociaux est très restreinte parmi les professionnels de santé qu’il ne faut pas y aller. C’est un peu comme si une administration n’avait pas voulu prendre une ligne téléphonique à la fin du XIXème sous prétexte que peu de gens en avaient une. »
* Doctors 2.0&You réunit tous les acteurs de la E-santé. Prochaine conférence, les 23 et 24 mai à Paris.
Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Concepcion Alvarez