La chasse aux fraudeurs est officiellement ouverte ! Gare à ceux qui ont la main trop lourde sur les prescriptions d’arrêts maladies, d’actes de kiné ou encore de transports sanitaires, la sentence sera terrible, a prévenu le ministre de la santé.

« Je mettrai la même énergie et la même force à contrôler celui qui aura bénéficié d’un arrêt de travail abusif et celui qui aura signé cet arrêt. Les deux vont ensemble. » Devant les députés, le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, a affiché sa fermeté. Alors que le gouvernement cherche par tous les moyens à réduire son déficit après une révision de la prévision de croissance à la baisse (1% en 2012 contre 1,75% espérée), la chasse aux fraudeurs semble donc être lancée.

"J’ai subi des agressions pendant deux heures"

Un projet de décret serait ainsi en cours de rédaction au ministère, opérationnel pour la fin de l’année, qui tendrait à imposer aux bénéficiaires d’arrêts de travail « abusifs », le remboursement des sommes indûment perçues, lesquels prévoient de renvoyer la responsabilité première au médecin prescripteur, celui qui a signé l’arrêt de travail.

Le Dr Jean-Yves Lohéac, généraliste à Landernau, dans le Finistère, a déjà subi les foudres de la Caisse d’assurance-maladie. Il fait partie des 140 médecins généralistes mis sous tutelle en 2010 pour avoir prescrit trop d’indemnités journalières (IJ) par rapport à la moyenne régionale de leurs confrères. Les ordinateurs de la caisse ont ainsi détecté chez lui 8% d’arrêts de travail injustifiés.

« 4 fois plus d’arrêts de travail que ses confrères »

Le généraliste breton a bien tenté de se justifier dans un courrier envoyé au directeur de la caisse locale d’assurance-maladie. Il a d’abord expliqué qu’il avait deux fois plus de clients que ses confrères dans la région et que sa patientèle était particulière puisqu’il s’agit principalement d’ouvriers quinquagénaires, « nécessitant donc plus d’arrêts maladie que les autres ».

Ses remarques n’ont toutefois pas réussi à satisfaire le directeur de la caisse qui l’a convoqué en commission paritaire à Quimper. Le praticien soupçonné de fraudes a donc dû se défendre devant une quarantaine de personnes, des salariés de la caisse primaire, dont son sous-directeur, devant des médecins-conseils, des membres du conseil d’administration et des syndicats de médecins. « J’ai subi des agressions pendant deux heures », dit-il.

« Une manipulation statistique »

Finalement, le Dr Lohéac a été condamné à deux mois de mise sous tutelle. Pendant cette période, il a dû envoyer tous ses arrêts de travail au médecin-conseil pour qu’il les valide. Aucun d’entre eux n’a été refusé, pourtant le généraliste assure n’avoir rien changé à sa pratique.

 "Ca peut tomber sur n’importe quel médecin" 

 « J’ai continué comme avant, sauf que ça m’a demandé un peu plus de travail puisque je devais remplir un papier manuscrit que j’expédiais ensuite par courrier au médecin-conseil. » S’agissait-il alors de la part des caisses d’une simple action d’intimidation? Jean-Yves Lohéac en est persuadé.

Il est sûr aussi que « ça peut recommencer à tout moment, et que ça peut tomber sur n’importe quel médecin. Ce qui m’inquiète surtout, c’est d’être pris dans une procédure plus lourde de remboursement d’indus, là oui ce serait dur », confie-t-il.

D’autres confrères n’ont pas réagi aussi bien que lui. Ainsi, ce médecin du Nord-Pas-de-Calais qui préfère garder l’anonymat. Après avoir été placé sous tutelle, il a décidé de lâcher son cabinet pour aller exercer comme salarié à l’hôpital. « On est cinq médecins à être rentrés dans une structure salariée, raconte-t-il, parce que ça devenait trop compliqué en libéral. »

Il porte un regard très pessimiste sur la médecine générale et, selon lui, ça ne va pas aller en s’arrangeant, au contraire. « La situation actuelle est gravissime et je pense que le tsunami que tout le monde s’attend à voir arriver va venir beaucoup plus vite que prévu. »

Surveillé pendant trois mois pour des actes de kiné « injustifiés » selon la Cnam, le généraliste critique ce système qui coûte, dit-il, plus cher que ce qu’il permet d’économiser. Pendant sa mise sous tutelle, une seule ordonnance sur 200 a été rejetée par le médecin-conseil. Mais il se trouve que le patient a finalement été opéré parce qu’il n’avait pas reçu justement ces séances de kiné. Il a porté plainte et a obtenu gain de cause.

Durcissement de la procédure

Alors, effectivement, les médecins sont en droit de s’interroger sur le bien-fondé d’une telle procédure que le gouvernement s’apprête encore une fois à durcir. De 2004 à 2008, la « mise sous accord préalable », prévue à l’article L.162-1-15 du Code de la Sécurité sociale, était utilisée uniquement pour les arrêts de travail. En 2008, elle a été étendue aux prescriptions de kinésithérapie et de transports sanitaires.

Et en mai 2011, un décret en a encore redéfini les contours. Le directeur de la CPAM peut ainsi décider de soumettre toutes les prescriptions d’IJ d’un praticien à un accord préalable du service médical de la caisse pour une durée de six mois maximum, s’il a été constaté chez lui « toutes réalisations ou prescriptions d’actes, de produits ou de prestations dont le nombre est significativement supérieur à la moyenne constatée des réalisations ou des prescriptions, pour une activité comparable, pour les médecins exerçant dans le ressort de la même union régionale de caisses d’assurance maladie (Urcam) ».

Jusqu’où va-t-on aller ? Et est-ce que ces mesures permettent réellement de faire des économies ? De 120 médecins visés en 2007, on est passé à 458 en 2008 (dont 146 pour IJ injustifiées), et à 304 médecins généralistes mis sous tutelle en 2009 (dont 117 pour IJ injustifiées). Ce qui a « généré », selon l’Assurance maladie, une économie de 23,1 millions d’euros en 2006, 11,3 millions en 2007, 13,3 millions d’euros en 2008 et 9 millions d’euros en 2009.

"Epouvantail"

Pour le Dr Pascal Charbonnel, de la cellule juridique de la FMF (Fédération des médecins de France), ce dispositif est « inutile » et ne sert que «d’épouvantail ». Il cite lui aussi un exemple, celui d’une généraliste dans l’Essonne contrôlée parce qu’elle avait prescrit 6000 IJ à trois patients.

 « On a repris ensemble tous ses dossiers, et on a vu que pratiquement à chaque fois, elle avait reçu un avis favorable du médecin-conseil. Le problème c’est que des patients très malades vous plombent vos statistiques. 15% des IJ ne peuvent concerner qu’un seul patient. Ça dépend aussi de la zone dans laquelle vous exercer. Forcément, un médecin installé près d’une usine délivrera plus d’arrêts maladie que celui qui est dans un quartier résidentiel. »

Le Dr Charbonnel reconnaît tout de même, que « comme partout », il peut aussi y avoir « quelques délinquants » dans la profession, mais ce ne sont pas eux qui « creusent le trou de la sécu ». « Par rapport au retour que nous avons, explique-t-il, nous constatons que sur tous les médecins mis sous tutelle, peu sont ensuite condamnés à payer des pénalités financières. »

Finalement, la praticienne de l’Essonne a simplement écopé d’une mise en garde. « Faites un effort à l’avenir, prescrivez moins », lui aurait ainsi lancé le directeur de la caisse locale d’assurance-maladie. « S’ils veulent tuer la médecine générale, conclut Patrice Charbonnel, ils n’ont qu’à continuer comme ça ! »

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Concepcion Alvarez