Après notre article sur la création d’un centre médico-social dans le quartier du Franc-Moisin à Saint-Denis (93), vous avez été nombreux à vous interroger sur le coût de telles structures. Egora.fr a donc décidé d’aller regarder de plus près les différents modèles de financements qui existent pour monter maisons et centres de santé.

Si les exercices pluri-professionnels existent depuis longtemps, avec notamment les centres de santé – ils sont environ 800 sur tout le territoire à avoir une activité purement médicale ou médico-polyvalente –, de nouvelles structures comme les pôles et maisons de santé sont portées depuis plusieurs années par les professionnels de santé mais aussi par les pouvoirs publics.

Le développement des maisons de santé a ainsi pris tout son élan lors des Etats généraux de l’organisation de la santé (Egos) organisés en novembre 2007 et en avril 2008. La loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de juillet 2009 a également permis d’élargir leur paysage en complétant la notion de pôle et de maison de santé et en précisant pour la première fois les missions des médecins généralistes au sein de ces structures. Mais une question se pose tout de même, leurs modèles économiques sont-ils viables ?

Du "tout libéral" au "tout public"

Dans le financement d’une maison ou pôle de santé, il faut distinguer deux types de dépenses : d’une part, les coûts d’investissement (immobilier et équipements) et d’autre part, les coûts de fonctionnement (salaires secrétariat, personnels administratifs, rémunération complémentaire du professionnel coordonnateur, frais de structure…).

Pour ce qui est des coûts d’investissements, il y a plusieurs modèles qui se répartissent sur un curseur qui va d’une structure « tout libéral » à une structure « tout public ». Le Dr Pierre de Haas est le président de la fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS). Il a exercé seul pendant dix ans, puis à deux pendant une autre dizaine d’années. Depuis avril 2006, il est généraliste au sein de la maison de santé de Pont d’Ain, près de Bourg-en-Bresse. Et chez lui, ils ont choisi le « tout libéral ».

« Pour nous, l’immobilier, ce n’est vraiment pas une question très importante parce qu’il y a toujours des solutions et que les médecins ont généralement peu de problèmes pour emprunter. Nous, nous nous sommes constitués en SCI (société civile immobilière) d’attribution pour construire la maison de santé qui fonctionne en copropriété avec des propriétaires et des locataires. Certains comme les médecins ou encore les pharmaciens ont préféré acheter, mais les kinés par exemple louent à des bailleurs privés. Chacun fait comme il veut. »

De l’autre côté du curseur, il y a les structures financées par les collectivités locales ou territoriales via des fonds publics régionaux ou nationaux et des subventions spéciales (rurales, zones urbaines sensibles, …). Parfois, cela suffit pour monter la maison de santé. Sinon, la collectivité emprunte, les loyers payés par les professionnels permettant de rembourser le prêt.

"C’est devenu la mode"

Entre les deux extrêmes, il y a tout plein d’autres modèles : système mixte (libéral et public), bailleurs publics qui louent à des professionnels de santé, communes qui font du « crédit-bail » (elles s’engagent à construire, se font rembourser par les loyers des professionnels,  et cèdent le bâtiment pour 1 euro symbolique)…

« Au début, explique Pierre de Haas, les maisons de santé se montaient en tout libéral. Depuis des années,  il y a de plus en plus d’investissements de communes, c’est devenu la mode.  Mais ça ne va durer qu’un temps, et je pense qu’on reviendra au 100% libéral. Nous à l’époque, on n’avait pas le choix, parce que le discours n’était pas le même qu’aujourd’hui. Quand on allait voir un maire à cette époque-là, on nous répondait "débrouillez-vous"».

 Une fois que la structure est mise en place, restent les frais de fonctionnement. Des frais qui sont importants. Une étude menée par la FFMPS dans seize maisons de santé tord le cou à l’idée reçue qui veut qu’en mutualisant on réalise des économies. Or, selon cette étude, les frais de fonctionnement sont, en moyenne, supérieurs de 4 400 euros par an pour un médecin dans une maison de santé par rapport à un médecin exerçant seul.

« Mais cette perte, se justifie le président de la FFMPS, est compensée parce qu’en embauchant du personnel, on réussit à se défaire de certaines tâches administratives pour dégager du temps de médecine, et donc des actes en plus. Quelque part, on s’y retrouve parce qu’en travaillant le même temps, j’augmente mon chiffre d’affaires. »

"Personne n’ose plus parler de pérennité en centre de santé"

Le poste de dépenses le plus important concerne les salaires et les charges. Viennent ensuite le loyer (quand il y en a un à payer) et l’informatisation des cabinets, qui va à terme venir grossir le budget.

Dans les maisons et pôles de santé, les médecins sont des libéraux, mais le Dr Pierre de Haas serait prêt à prendre un jeune sur le mode du salariat, les textes de loi le permettant désormais.

« C’est vrai que pour l’instant, ce n’est pas dans notre optique. Mais je crois qu’il faut sortir de ce débat idéologique salarié/libéral. En ce moment, il y a un centre de santé qui est train de faire passer tous ses médecins salariés au libéral et un autre qui va salarier tous ses médecins libéraux. Il ne faut plus opposer ces deux modes d’exercice mais plutôt les voir comme des outils. Les centres de santé vont connaître un bel avenir dans les secteurs où il n’y a plus de libéraux pour répondre à la demande de soins. »

L’ouverture de deux nouveaux centres de santé a justement été très médiatisée ces derniers mois soulevant des interrogations sur leur financement. La petite commune de la Ferte-Bernard, dans la Sarthe, s’est ainsi retrouvée à la Une des journaux à la rentrée. Son maire, Jean-Carles Grelier, ne réussissant pas à attirer de jeunes médecins dans sa commune, a finalement décidé de construire un centre municipal de santé, le premier dans la région, fonctionnant donc avec des médecins salariés par la ville.

Plus récemment, La Place de la Santé, un centre médico-social associatif a été inauguré dans le quartier du Franc-Moisin en Seine-Saint-Denis, classé en ZUS (zone urbaine sensible). Cinq jeunes médecins ont décidé de s’y installer, là aussi sous le mode du salariat. Pourtant ces centres de santé sont souvent décriés pour leur déficit « structurel », de l’ordre de 10 à 50 %* selon les établissements.

« Personne n’ose plus parler de pérennité en centre de santé », reconnaît le Dr Eric May, président de l’Union syndicale des médecins de centres de santé et généraliste dans un centre de santé à Malakoff (92). « La question du coût est devenue prégnante pour les gestionnaires, explique aussi le Dr Richard Lopez, de la fédération nationale des centres de santé, médecin généraliste au sein du centre médico-social M. Ténine de Champigny (94). Il est devenu nécessaire de mettre des recettes en face des dépenses, mais notre modèle économique, différent du modèle libéral, ne nous permet pas d’être à l’équilibre. »

Dimension sociale

Pour justifier cette différence, il faut notamment remonter dans le temps et revenir sur l’histoire des centres de santé, implantés initialement dans les régions ouvrières. D’où, une forte prise en compte de la dimension sociale des patients avec un accès aux soins garanti, une pratique généralisée du tiers payant , et des médecins, y compris, des spécialistes, qui exercent en secteur 1. Tout autant d’actions qui réduisent forcément le nombre d’actes rémunérateurs.

« Nos actes ne suffisent pas à payer l’action sociale qui est pourtant l’une de nos missions essentielles, déplore Richard Lopez. Mais si on arrête de le faire, on exclut des gens du parcours de soins. Alors oui, nous sommes en déficit, mais je ne vois pas pourquoi ça émeut. On ne parle pas du déficit de la médiathèque municipale ou du gymnase de la ville… »

L’autre différence majeure entre les médecins libéraux et les médecins exerçant en centre de santé porte sur leur mode de rémunération, basé essentiellement sur le salariat. Ainsi, à la Case Santé de Toulouse par exemple, une structure associative semblable à la Place de la Santé dans le 93, les médecins sont payés environ 2 500 euros par mois. Ils touchent 3 500 euros mensuels dans une autre structure associative de Belfort – un libéral gagne en moyenne entre 6 000 et 7 000 euros nets par mois. Mais ça dépend des établissements.

« La majorité d’entre eux, précise Eric May, se basent sur un salaire fixe de 4 500 euros nets par mois. Certaines, c’est le cas chez nous, proposent une progression dans le temps indexée sur la grille salariale des praticiens hospitaliers. Et d’autres calculent la rémunération des médecins au prorata de leurs actes, mais ce n’est pas une solution que nous défendons. Ce qui est sûr, c’est que la rémunération sera moindre dans les centres associatifs par rapport aux centres municipaux. »

"Anachronisme du XXe siècle"

 En tout cas, dans ce genre de structures, la variable d’ajustement reste forcément le salaire. Ce que regrette le Dr Lopez.« En centre de santé, il faudrait mettre fin au paiement à l’acte, et rémunérer la structure pour ses missions avec des objectifs de santé publique », explique-t-il.

La Finlande, notamment, a mis en place un système de rémunérations mixtes, combinant paiement à l’acte et forfait selon les tâches à accomplir. Un système qui pourrait davantage convenir aux jeunes médecins, attirés par ces nouvelles formes d’exercice en groupe. Le centre de Champigny a réussi à recruter six jeunes généralistes en trois ans, quand les libéraux du coin ont du mal à trouver des remplaçants. De même, dans le centre de santé de Malakoff, trois des cinq médecins généralistes à temps plein sont tout juste diplômés.

« Ce n’est pas un soufflet qui va retomber, conclut enthousiaste Pierre de Haas, président de la fédération française des maisons et pôles de santé. Il y a vraiment eu un basculement chez les professionnels de santé. Et il est probable que dans dix ans, le médecin qui exercera seul dans son cabinet passera pour un anachronisme du XXe siècle.»

Aujourd’hui, il y a en France environ 250 maisons et pôles de santé et un millier de projets en cours, mais les médecins généralistes exerçant en maisons de santé représentent moins de 0,5% des médecins généralistes libéraux.


* selon le rapport portant sur le développement de structures de regroupement pluriprofessionnel de santé remis le 19 janvier 2010 au ministère de la Santé : http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_maison_de_sante.pdf
 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Concepcion Alvarez