En trois semaines, pas moins de deux propositions de loi et une résolution parlementaire ont été déposées à l’Assemblée nationale pour lutter contre la désertification médicale. La dernière en date émane du député du Nouveau Centre, Philippe Vigier, qui va jusqu’à envisager le non remboursement des actes pour les médecins installés en zones sur-dotées.

Ils partent tous du même constat : si la France n’a jamais eu autant de médecins – ils étaient au 1er janvier 2009, 209 143, selon l’INSEE –, leur répartition sur le territoire est trop inégale. La région Provence-Alpes Côte d’Azur, par exemple, compte 419 médecins pour 100 000 habitants quand la Picardie n’en compte que 260. Ainsi, 2,3 millions de personnes vivent dans 643 zones identifiées comme « en difficulté » ou « fragiles ». Par ailleurs, une étude de la DRESS (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), publiée en février 2009, indique que le nombre de médecins en France devrait chuter à 188 000 praticiens en exercice d’ici 2019, soit 10% de moins qu’en 2006. D’ici 2030, la diminution du nombre de médecins dans les zones rurales sera de 25% et de 10,5% dans les zones périurbaines.

Face à ce constat pour le moins inquiétant, Philippe Vigier, député centriste de l’Eure-et-Loir, a déposé le 10 novembre dernier une proposition de loi « visant à garantir un accès aux soins égal sur l’ensemble du territoire ». Le texte, signé par une soixantaine de députés, va loin. Parmi quelques-unes des mesures présentées, il y a notamment l’obligation pour un étudiant en troisième année d’internat d’effectuer un stage d’« une durée minimale de douze mois au sein d’une maison de santé pluridisciplinaire ou d’un établissement hospitalier » dans une zone sous-dotée. A l’issue de sa formation, l’étudiant devra s’installer dans une zone sous-dotée « pour une durée minimum de trois ans ».

Interdire l’installation de médecins dans les zones déjà bien dotées

Autre mesure avancée dans le texte, le remplacement de l’examen national classant (ENC) par un « internat régional ». « Cela doit permettre, explique le député, de fixer les futurs médecins plus facilement dans les régions, la mise en place de l’ENC a été une grave erreur. » Ce n’est pas tout, et c’est sûrement la proposition qui va susciter le plus de critiques de la part des soignants. Philippe Vigier envisage également d’interdire l’installation de médecins dans les zones déjà bien dotées. Les praticiens seraient soumis à une « autorisation d’installation » délivrée par l’Etat « selon des critères de démographie médicale ». Ceux qui ne respecteraient pas ces règles « ne verraient plus leurs actes remboursés par la Sécurité sociale ».

Adieu la sacro-sainte liberté d’installation, même si Philippe Vigier refuse de parler de « coercition ». « Je préfère qu’on parle de limitation. Nous ce qu’on dit, c’est qu’à Tours, c’est non, on ne s’installe pas. Mais partout ailleurs, oui !  Et ceux qui vont quand même à Tours, et bien on ne les rembourse plus. C’est une mesure de bon sens. Sinon qu’est-ce qu’on fait ? On nationalise les médecins ? Ça ne marchera pas mieux. »

Pour Alexandre Husson, le président du SNJMG (Syndicat national des jeunes médecins généralistes), limiter l’installation des médecins correspond déjà à « un retour des officiers de santé, qui peut s’avérer extrêmement dangereux et inutile »« S’ils veulent nous voir déchirer nos diplômes dans la rue, ils n’ont qu’à continuer comme ça. On nous traite comme des pions, c’est injuste. » Alexandre Husson et son syndicat ont été invités par la commission des jeunes médecins du Conseil de l’ordre à venir débattre de cette proposition de loi en janvier prochain.

« Le lobby des médecins au Parlement est trop fort »

Quelques jours avant Philippe Vigier, la députée de la Vendée Véronique Besse, membre du Mouvement pour la France (MPF), avait elle aussi déposé une proposition de résolution « contre la désertification médicale et pour l’accès de tous à des soins de proximité », soutenue par 115 députés. Ses mesures vont davantage dans le sens de ce qui est préconisé aujourd’hui par le gouvernement et sont simplement déclaratives : promotion de la médecine générale, valorisation de l’activité des médecins, développement des stages en milieu rural. Pour elle, il s’agit davantage « de faire prendre conscience du problème pour passer de la théorie à la pratique ». Elle souhaite ainsi que la question de la démographie médicale devienne une « priorité nationale », et si elle n’a pas osé le mettre dans sa résolution cette fois, elle estime que « malheureusement, il faudra bien un jour réglementer la liberté d’installation ».« Le problème, dit-elle, c’est qu’à chaque fois que le gouvernement a tenté d’aller plus loin, le lobby des médecins au niveau parlementaire a été plus fort que lui. » L’élue de la Vendée explique aussi que le salariat peut faire partie de la réponse, elle envisage elle-même de le mettre en place sur son canton.

Chantal Robin Rodrigo, députée PRG-PS des Hautes-Pyrénées, soulève un autre problème dans sa proposition de loi déposée le 21 octobre à l’Assemblée. Elle s’intéresse, elle, à l’accès des patients à un médecin. « 600 000 personnes, dit-elle, réparties dans  près de 1 500 communes sont à plus de 15 minutes en voiture d’un généraliste. » Ainsi, elle souhaite que le gouvernement légifère pour qu’un patient ne soit pas à plus de 20 minutes d’un généraliste, à 30 minutes d’un service d’urgence et à 45 minutes d’une maternité. « Une proposition irréaliste en milieu urbain », rétorque le Dr Marcel Garrigou-Grandchamp, de la FMF (Fédération des médecins de France). Chantal Robin-Rodrigo insiste aussi sur le fait que « tout médecin doit exercer pour une durée minimum de deux ans » dans un secteur sous-doté, « étant donné que la collectivité a financé ses études à hauteur de 200 000 euros ».

Pour le Dr Garrigou-Grandchamp, toute cette agitation parlementaire autour de la question de la démographie médicale à la veille des élections présidentielle et législative n’a qu’une visée électoraliste. « Ils doivent rendre des comptes à leurs électeurs. Mais les mesures coercitives ne feront rien qu’accélérer la fuite, elles seront contre-productives. Ce qu’il faut c’est se demander pourquoi les jeunes ne veulent plus s’installer. Il y a trop de contraintes et les politiques n’ont rien compris. »

Les candidats à l’élection présidentielle semblent au contraire avoir bien saisi qu’il ne fallait pas aller sur le terrain de la coercition pour ne pas se mettre à dos un électorat relativement important. Ainsi, François Hollande, le candidat socialiste, s’est dit récemment opposé aux mesures réellement coercitives. Il préfère limiter l’installation de médecins dans les zones sur-dotées surtout en secteur à honoraires libres, plutôt que de les obliger à s’installer dans les zones sous-dotées. Martine Aubry, la première secrétaire du PS est pourtant de l’avis contraire. Elle veut demander aux jeunes médecins de s’installer pendant cinq ans après la fin de leur formation, dans les zones de pénurie.

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Concepcion Alvarez