En Seine-Saint-Denis, pour pallier son départ en retraite dans la cité du Franc-Moisin, le docteur Didier Ménard, figure bien connue du monde syndical et associatif, militant de gauche, n’a pas cherché un hypothétique remplaçant. Il a, au contraire, préféré miser sur une solution aujourd’hui totalement dans l’air du temps mais conforme à ses idéaux de toujours : l’exercice regroupé et salarié, ce qui dans les années 80 s’appelait l’Unité sanitaire de base, « l’USB ».

L’Ordre a publié ce mardi ses Atlas régionaux actualisés au 1er juin 2011. Cette étude démographique effectuée pour la première fois à l’échelle des bassins de vie* montre que l’existence de déserts médicaux touche toutes les régions, y compris les mieux dotées comme la région PACA ou l’Ile-de-France. Ainsi, moins de 8% des nouveaux inscrits en Ile-de-France choisissent la Seine-Saint-Denis comme lieu d’exercice (contre 47% pour Paris), et ils sont seulement 17,3% à s’installer en libéral, contre 45,2% en tant que salarié et 36,7% en tant que remplaçant. Parallèlement, l’âge moyen des praticiens en exercice est de 54 ans, et 11% d’entre eux ont plus de 60 ans dans le département.

Comment donner envie à de jeunes médecins de venir travailler en Seine-Saint-Denis ?

Des adultes en moins bonne santé en Zus 


Selon le dernier observatoire national des zones urbaines sensibles, les « Zus », deux adultes sur trois se déclarent en bonne ou très bonne santé, contre trois sur quatre dans le reste de l’agglomération hors Zus. Les adultes résidant en Zus déclarent également plus fréquemment une moins bonne santé dentaire et être limités dans leurs activités du fait d’un problème de santé. Les femmes habitant en Zus disent quant à elles être plus souvent atteintes par une maladie ou un problème de santé chronique que celles résidant dans d’autres quartiers. Elles sont également plus souvent en surpoids ou obèses que celles résidant hors Zus : 47 % d’entre elles sont en surpoids, contre 35 % dans le reste du territoire.
D’autre part, les habitants des Zus ont moins souvent consulté des médecins, en particulier des spécialistes : seuls 52 % se sont rendus au moins une fois dans l’année chez un spécialiste contre 60 % dans le reste du territoire. En outre, 23 % des résidents des Zus déclarent avoir déjà renoncé à des soins pour raisons financières, contre 17 % dans le reste de la France. Un adulte sur six ne dispose d’aucune couverture maladie dans ces quartiers, le double de ce qui est observé dans le reste de la France.

Face à ce constat peu rassurant, le docteur Didier Ménard,  60 ans, généraliste dans le quartier difficile du Franc-Moisin (93)  depuis 32 ans et fervent défenseur de l’exercice collectif de la médecine, s’est inquiété pour l’avenir de sa patientèle une fois que lui aussi aura déposé les armes dans un an ou deux, conjointement avec deux autres confrères généralistes, deux infirmières, un kiné et deux orthophonistes de la cité. Pour préparer sa succession prochaine, il a donc travaillé pendant quatre ans avec l’association qu’il préside, l’ACSBE (Association Communautaire Santé Bien-Être), pour mettre sur pied une « Place de la santé », un centre médico-social implanté en plein cœur du quartier. Il se compose d’un cabinet médical et d’une salle d’accueil avec des médiatrices médico-sociales.

« Le projet a été porté initialement par l’association ACSBE qui fait de la santé communautaire et de  l’accompagnement social des personnes en difficulté depuis vingt ans. Cela passe par un suivi social individuel avec des médiatrices mais aussi par la tenue d’ateliers collectifs (cuisine, marche, relaxation, estime de soi, espace de dialogue…) Mais il y a quatre ans, en raison d’une baisse des subventions, l’association a failli pérécliter. Pour la sauver et mettre en place un véritable projet de santé, nous avons mené un travail de réflexion avec un sociologue et établi un diagnostic de santé et de besoins sur le quartier qui compte 10 000 habitants », explique Didier Ménard. Problème : comment mener à bien un projet de santé alors que l’essentiel des professionnels du soins du Franc-Moisin s’apprêtent à raccrocher leur blouse blanche ?  Comment du coup donner envie à de jeunes médecins, sollicités de toutes parts, de venir travailler en Seine-Saint-Denis ?

La solution, selon le médecin que tout le monde appelle « Didier » dans le quartier, est de proposer un projet qui colle à leurs aspirations, à leurs modes de vie, à leurs envies. Il faut un projet de médecine dites « de qualité », explique-t-il, un projet qui ait du sens. « Je propose aux jeunes de jouer leur rôle de médecin autrement en intégrant une équipe, en travaillant collectivement avec d’autres professionnels. Ainsi, ils ne seront pas que dans le soin, mais chacun d’entre eux aura à conduire un projet de santé publique tels que le maintien à domicile,  la coordination avec les autres structures de soins à Saint Denis, la santé des femmes, l’éducation thérapeutique du patient, le surpoids et l’obésité. Ce sont des objectifs qui sont inscrits dans leur contrat de travail. Et ça les intéresse. » Cinq d’entre eux se sont effectivement portés volontaires, cinq « perles rares » : trois femmes et deux hommes fraîchement diplômés et sur-motivés à l’idée d’intégrer cette « Place de la santé ».

Le salariat comme seule possibilité

Il faut dire tout de même que la structure s’est adaptée aux nouvelles attentes de ces jeunes médecins puisqu’elle leur propose donc de travailler en groupe, mais aussi d’être salarié, de travailler aux 35 heures, et par conséquent de pratiquer une médecine plus « lente ». Ainsi, il faut deux nouveaux inscrits pour remplacer un seul départ à la retraite, « le prix à payer », concède Didier Ménard.

(Cliquez ci-dessous pour écouter la réfexion du dr Didier Ménard)

nbsp;Le défi qui se pose aujourd’hui pour le futur retraité c’est en effet de faire en sorte que ce système soit viable économiquement. « La Place de la santé » bénéficie de subventions qui permettent pour l’instant de payer les salaires des médecins, basés sur une grille salariale type centre de santé. Départ « faible », mais bonne hypothèse de progression. « Il faut que nous soyions en mesure d’intéresser les jeunes », confie le généraliste. Mais le salariat, qui commence à se développer aujourd’hui dans les maisons et pôles de santé n’a pas encore fait ses preuves, les détracteurs pointant du doigt un statut trop difficile à tenir à terme. « C’était pourtant la seule possibilité », indique le Dr Ménard.

 (Cliquez ci-dessous pour écouter la réfexion du dr Didier Ménard)

 On l’aura compris, le maître-mot dans ce projet c’est bien la « qualité » car pour le Dr Ménard, il est impossible de faire « de la consultation à la chaîne » dans des quartiers comme la Seine-Saint-Denis où il faut tenir compte de la précarité des patients et de leur histoire psychologique qui est souvent « très altérée ». « Cette démarche médico-psycho-sociale est nécessaire dans les quartiers populaires, dit-il,où nous sommes les médecins de la complexité, car on ne fait pas que soigner un corps, on soigne une personne dans toutes ses dimensions. C’est pourquoi dans le dossier médical du patient, ce qui m’intéresse ce ne sont pas vraiment ses antécédents mais plutôt son environnement de travail, ses conditions de vie, son histoire personnelle, … Ici, chaque patient, en sortant du cabinet, doit pouvoir trouver une solution. Le généraliste doit devenir un acteur de santé et ne pas être seulement un acteur du soin. C’est cela l’avenir de la médecine générale. »

Reste désormais à convaincre les patients d’abandonner le cabinet médical pour se rendre à la « Place de la Santé ». « Elle est à eux », avait déclaré Didier Ménard lors de son discours d’inauguration le 5 novembre dernier. Une autre paire de manches pour le généraliste tant apprécié dans le quartier, à qui une patiente n’hésite pas à lancer sur son passage « c’est le médecin le plus gentil qui soit ».

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Concepcion Alvarez


* Selon l’INSEE, le bassin de vie est le plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès à la fois aux équipements et à l’emploi. Il s’agit d’un espace géographique des pratiques spatiales de la vie quotidienne où les populations vivent et se déplacent (hypermarchés, magasins, gendarmerie, bureau de poste, écoles, équipements sportifs…). Les Atlas régionaux analysent la situation démographique médicale de 2 215 bassins de vie.