Les violences à l’encontre des professionnels de santé sont en augmentation. La profusion de commentaires qui a suivi, voici une dizaine de jours, l’annonce du dépôt de plainte d’une mère contre le médecin ayant giflé son enfant qui refusait de se faire vacciner, démontre à quel point le risque de dérapage dans la relation médecin-patient s’inscrit dans votre quotidien.

La vigueur de la réaction de ce confrère – qui peut être mise en parallèle de celle de la mère – peut aussi se décrypter à travers le prisme de ce climat lourd, contribuant au sentiment de dévalorisation d’une profession qui se « prolétarise » selon le mot de Jacques Attali. Et ce alors même que les médecins généralistes continuent à figurer dans le peloton de tête des professions les plus populaires de France. Sentiment de dévalorisation, en tout cas, qui pèse de tout son poids dans le « burn out » qui frappe la profession avec une grande violence, elle aussi.

S’il s’agit ici du cas d’un enfant turbulent, un enfant roi dont la mère a justifié les agissements au détriment du soignant qu’elle veut traduire en justice, qu’en est-il de toutes ces autres violences subies dans le cabinet du médecin, à l’hôpital ou exercées en salle d’attente ? Tant les statistiques de l’Observatoire national pour la sécurité des médecins, installé au Conseil national de l’Ordre, que celles de l‘Observatoire national des violences en milieu hospitalier (Onvh) témoignent du fait que la fonction soignante est descendue de son piédestal.

L’Ordre a ainsi noté dans le rapport 2010 de l’Observatoire national pour la sécurité des médecins, le très fort accroissement des signalements de manifestations de violences. Il y a eu 920 incidents en 2010 contre 512 en 2009 ou  535 en 2008.

Ils ont sans nul doute contribués à construire un climat de défiance. Parmi ces signalements, plus de 60 % concernaient, en 2010, des agressions verbales, près de 25 %, des vols ou tentatives et 16 % des agressions physiques. Les femmes médecins sont sensiblement plus visées que leurs confrères hommes, ce qui interroge une profession qui se féminise à toute vitesse. La moitié de ces agressions ont lieu en ville, près de 30 % en banlieue ou zones péri-urbaines. Les motifs le plus fréquemment invoqués sont, par ordre décroissant : un refus de prise en charge, une tentative de vol, un refus de prescription, un temps d’attente jugé excessif et enfin, aucun motif particulier, ce qui est peut être pire…

Passer directement des injures aux coups

A l’hôpital public, alors que tous les établissements ne déclarent pas avec la même rectitude les violences subies, (l’un des impondérables étant le ressenti et le seuil de tolérance individuelle aux agressions) qu’elles soient verbales, physiques ou à l’encontre des biens, il a été noté 5 090 faits au cours de l’année 2010 contre 2 090, quatre années auparavant. En 2010, les patients ont été à 71 %, à l’origine des violences, l’entourage, à 23 %,  5,4 % des actes de violences ayant été perpétrés par des personnels de santé.

Certes, il y a eu un accroissement du nombre d’établissements déclarants, mais cette donnée est à relativiser puisque la proportion d’établissements est restée stable en Ile de France. Les atteintes aux biens sont également comptabilisées, à partir d’une grille comportant quatre niveaux de gravité.  Constatation de Fabienne Guerrieri, Commissaire divisionnaire en charge de l’Observatoire national des violences en milieu hospitalier (Onvmh) : une tendance, depuis quatre ans, au passage direct des injures aux coups, « sans passer par les menaces préalables ». Or, ajoute-t-elle dans Macsf info, « près de la moitié des violences sont des coups. (…) Inutile de préciser que la violence est devenue une préoccupation majeure des établissements de santé, relayée notamment par la direction générale de l’offre de soins (Dgos).»

Pourtant, ajoute la commissaire, le niveau de plaintes reste bas, 13 % au niveau national suite à une agression, mais 38 % à l’AP-HP (Assistante publique-Hôpitaux de Paris), où une politique active d’accompagnement et de suivi de la victime a été mise en place.

Un protocole a notamment été signé par les ministères de l’Intérieur, de la Santé et de la Justice. Selon le résumé du Commissaire Guerrieri, il permet « une prise en rendez-vous rapide pour déposer plainte, organise une réunion au moins une fois par an entre le directeur d’établissement et le procureur de la République et assure un retour aux victimes notamment via le comité hygiène et sécurité et des conditions de travail (Chsct) ». Pour aller encore plus loin, la Fédération hospitalière de France (FHF) travaille actuellement, avec la police,  à la rédaction de fiches pratiques destinées aux victimes, aux cadres santé qui doivent les épauler et à la direction qui doit mettre un avocat à la disposition de la victime. But : faire augmenter le taux de plainte.

 "Les violences faites aux soignants sont un facteur majeur de désertification et de destruction du maillage des soins, aggravant une démographie de santé déjà préoccupante"

Cette mobilisation de l’hôpital public intéresse au plus haut point la médecine libérale. Prenant exemple sur ce protocole, les sept ordres professionnels « particulièrement préoccupés par l’augmentation des actes de violence contre les professions de santé » et l’Etat (les ministères de la Santé, Intérieur et Justice) ont renforcé en mai dernier, leur partenariat pour la sécurité des professionnels de santé. Le protocole national signé engage les services centraux et déconcentrés des trois Ministères, les Agences Régionales de Santé (ARS)  ainsi que les différentes instances territoriales des Ordres, sous l’égide et la coordination du préfet du département et du Procureur de la République.

Ce dispositif va permettre aux professionnels de santé et à leurs représentants de décliner de façon concertée et adaptée toutes les mesures propres à prévenir et gérer les violences faites aux soignants qui sont « un facteur majeur de désertification et de destruction du maillage des soins, aggravant une démographie de santé déjà préoccupante », explique l’Ordre des médecins.  

Dès à présent, les Ordres de Santé, seuls interlocuteurs « institutionnels » des services de Justice, de Police et de Gendarmerie, entendent s’impliquer fortement dans la mise en place de ce protocole. 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine Le Borgne