Le Dr Nicolas Bonnemaison, désormais soupçonné d’un huitième cas d’euthanasie active au sein de l’hôpital de Bayonne, risque-t-il réellement une sanction ? A priori, pas vraiment.

Au regard de toutes les affaires qui ont marqué l’histoire et des 15 000 à 20 000 euthanasies clandestines pratiquées chaque année en France, très peu de médecins sont finalement condamnés à de lourdres peines.

Mis en liberté sous contrôle judiciaire depuis le 6 septembre dernier, l’urgentiste bayonnais avait été mis en examen pour «empoisonnement sur personnes particulièrement vulnérables», soupçonné d’avoir procédé à l’euthanasie d’au moins quatre victimes présumées entre avril et août 2011 dans l’hôpital de la côte basque. Un premier réquisitoire supplétif avait été pris par le parquet de Bayonne le 5 septembre pour trois autres cas. Et la semaine dernière, alors qu’on apprenait que la famille d’une victime présumée des agissements du Dr Bonnemaison s’était constituée partie civile pour avoir accès au dossier, un huitème cas d’« euthanasie active présumée » est venu s’ajouter au dossier déjà lourd de l’urgentiste, faisant l’objet d’un nouveau réquisitoire supplétif.

"La famille n’a rien à voir dans cette affaire ! C’est le patient qui doit décider de sa mort"

Le Dr Bonnemaison fait par ailleurs l’objet d’une enquête disciplinaire, diligentée par le Conseil national de l’ordre des médecins qui a porté plainte devant la chambre disciplinaire de 1ère instance. Ce qui est lui reproché ce n’est pas l’acte d’euthanasie, mais d’avoir décidé seul à chaque fois. Il a en effet toujours reconnu avoir procédé à des injections létales pour abréger les souffrances des patients avec l’accord implicite des familles, mais sans demander l’avis de ses confrères. « Dans le cadre de la fin de vie, on vit des choses fortes avec les familles. Souvent, ça se fait dans un regard, une poignée de mains », avait-il expliqué devant la chambre d’instruction de la cour d’appel de Pau en septembre.

Selon Philippe Lohéac, délégué général de l’association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), « il y a très peu de médecins qui sont condamnés au regard des 15 000 à 20 000 euthanasies clandestines* qui sont pratiquées chaque année en France, parce que les patients ou leurs familles sont réticents à porter plainte. Pourtant, il nous serait très utile de réussir à faire condamner ces médecins, pour faire évoluer la loi de 2005, qui est une mauvaise loi. Finalement, le Dr Bonnemaison n’est que la victime d’une loi qui est tellement mal foutue qu’on laisse quelqu’un prendre seul des responsabilités énormes. Alors il nous dit qu’il a agi avec l’accord implicite de la famille à travers une « poignée de mains » ou « un regard». Mais enfin, la famille n’a rien à voir dans cette affaire ! C’est le patient qui doit décider de sa mort. »

Docteur Laurence Tramois : condamnée à un an de prison avec sursis

C’est en tout cas ce que prévoit la loi Léonetti de 2005 qui a vu le jour après la très médiatique «affaire Vincent Humbert ». Ce jeune homme, devenu tétraplégique après un accident de la route, avait écrit au Président de la République de l’époque, Jacques Chirac, pour lui demander un « droit de mourir ». Finalement, c’est sa mère qui passe à l’acte le plongeant dans un profond coma avant son décès le 26 septembre 2003 à la suite d’une injection de chlorure de potassium effectué par le Dr Chaussoy. La mère de Vincent Humbert et le Dr Frédéric Chaussoy obtiendront un non-lieu en 2006, le juge estimant qu’ils ont agi « sous l’emprise d’une contrainte les exonérant de toute responsabilité pénale ».

A l’automne 2003, Jean Leonetti, médecin et député des Alpes-Maritimes, est donc chargé par le d’une mission parlementaire sur l’accompagnement de la fin de vie qui débouche le 22 avril 2005 sur la Loi relative aux droits des malades et à la fin de vie. Celle-ci reconnaît au malade le « droit de s’opposer à l’obstination déraisonnable » et elle encadre les bonnes pratiques médicales. Ainsi, si le patient est conscient et en fin de vie, il peut décider de limiter ou d’arrêter tout

traitement. S’il est conscient mais n’est pas en fin de vie, il peut refuser le traitement (y compris refus de l’alimentation et de l’hydratation artificielles). Enfin, si le patient est inconscient, en fin de vie ou non, l’arrêt du traitement doit satisfaire trois exigences : le respect de la volonté individuelle du malade, la concertation et la collégialité médicale. Mais dans la pratique, cette loi reste difficile à appliquer. Pour preuve, il suffit de revenir sur les affaires les plus médiatiques qui ont marqué ces six dernières années :  

. En mars 2007 : le docteur Laurence Tramois est condamnée à un an de prison avec sursis après avoir prescrit une injection mortelle de potassium à une patiente de 65 ans, atteinte d’un cancer du pancréas en phase terminale. L’infirmière, Chantal Chanel, qui avait injecté la dose mortelle a quant à elle été acquittée.

. En septembre 2007 : atteinte d’un cancer généralisé incurable, l’actrice Maïa Simon va en Suisse en pour « abréger ses souffrances » par un suicide médicalement assisté par l’association suisse Dignitas, en absorbant du pentobarbital.

. En mars 2008 : Chantal Sébire, défigurée par un esthésioneuroblastome, une tumeur très rare des sinus et de la cloison nasale. Elle demande au président de la république, Nicolas Sarkozy, le droit de mourir dans la dignité sans avoir à se rendre dans un pays étranger acceptant l’euthanasie. Elle est retrouvée morte suite à une ingestion massive de barbituriques à son domicile. Son décès avait relancé le débat sur l’euthanasie.

. En août 2008 : Rémy Salvat, atteint d’une maladie dégénérative s’est donné la mort par overdose de médicaments. Il avait lui aussi écrit au Président Nicolas Sarkozy pour demander le droit à l’euthanasie.

Le médecin bricole dans son coin en essayant de ne pas se faire prendre

« Finalement, explique encore Philippe Lohéac,ces quelques exemples montrent bien qu’on continue de mal mourir en France ». Selon le rapport Maho (Mort à l’hôpital) de 2008, les soignants estiment que 35% seulement des décès à l’hôpital se produisent dans des conditions "acceptables". « Cela veut dire que 65% ne le sont pas ! On ne peut pas se satisfaire de cela. C’est dramatique, il y a 530 000 morts chaque année en France, dont 250 000 personnes qui sont en affection de longue durée. A priori, ces 250 000 personnes sont condamnées à à avoir une mort qui sera difficile sauf s’ils tombent sur un médecin qui va bricoler dans son coin en essayant de ne pas se faire prendre. »

Selon lui, il faudrait que la loi soit mieux expliquée et notamment auprès des futurs médecins. « Or, aujourd’hui, la question de la fin de vie n’est pas abordée dans les formations », déplore le délégué général de l’ADMD. De même, il souhaite que les soignants écoutent davantage leurs patients. « Les personnes en fin de vie ne sont pas écoutées. Elles n’ont pas de pouvoir de décision sur leur mort. Si l’expression du patient était au centre de tout on n’aurait plus ce genre d’affaires. »

Par ailleurs, il reconnaît que le rôle du médecin n’est pas toujours évident. « Il a le droit de prescrire une dose de morphine si forte qu’elle va tuer le patient. Il peut le débrancher, ou le laisser mourir de faim et de soif. Ce sont des actes barbares et inhumains que le médecin n’a évidemment pas envie d’accomplir. » L’association ADMD ne plaide donc pas pour une application stricte de la loi 2005 mais pour l’adoption d’une nouvelle loi qui comporterait une « clause de conscience », telle qu’elle existe dans la loi sur l’avortement. A quelques mois des élections présidentielles, elle espère ouvrir le débat auprès des candidats. Dans un site, elle reprend par ailleurs toutes les prises de positions des élus et des candidats déclarés.

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Concepcion Alvarez