Après l’affaire du Mediator, les médecins sont de plus en plus frileux à prescrire hors AMM, et "vont l’être de plus en plus", estime le Dr André Desueur, président de la section "exercice professionnel" au Conseil de l’ordre des médecins. Egora.fr fait le point sur les risques liés à cette pratique.

Les prescriptions hors AMM représentent aujourd’hui entre 15 et 20% de la totalité des prescriptions, et plus de la moitié d’entre elles pour certaines maladies rares ou dans certains domaines comme la pédiatrie, la cancérologie ou la gériatrie, faute d’essais cliniques, notamment sur les enfants.

Cette pratique n’est pas interdite, elle doit simplement pouvoir être justifiée par le prescripteur s’il est inquiété au niveau disciplinaire ou judiciaire (civil ou pénal). Mais, selon le Dr André Desueur, du Conseil national de l’Ordre, la prescription hors AMM va devenir de plus en plus rare car elle devient « légalement trop dangereuse ».

Un médecin qui prescrit un produit hors AMM peut d’abord avoir à répondre au niveau des instances administratives quand il n’a pas indiqué sur son ordonnance la mention NR (non remboursable) en cas de prescription hors AMM. Un arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 18 septembre 2008 indique ainsi que le non signalement NR peut entraîner une poursuite devant l’ordre des médecins.

Par ailleurs, depuis la loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades, dite loi Kouchner,  il incombe au médecin d’informer son patient sur la prescription hors AMM du produit et  son non remboursement par les caisses. Si le praticien ne respecte pas ces dispositions, l’Ordre peut prononcer à son encontre des sanctions pouvant aller jusqu’à l’interdiction temporaire ou permanente « du droit de donner des soins aux assurés sociaux », ce qui revient à une interdiction d’exercer pendant plusieurs mois. Et cette sanction peut s’accompagner d’une pénalité financière : le remboursement indu à l’assurance-maladie.

80 à 85% des condamnations de prescriptions hors AMM concernent le Benfluorex

L’Ordre des médecins a ainsi déjà prononcé plus d’une centaine de condamnations pour une prescription hors AMM, 80 à 85% d’entre elles concernaient notamment la prescription de Benfluorex (molécule présente dans le Mediator) – selon le rapport de la mission parlementaire sur le Mediator, rendu public fin mai, environ 80 % des victimes auraient consommé du Mediator à titre de coupe-faim, c’est-à-dire prescrit en dehors de l’AMM.

Les sanctions prononcées sont en général de quelques mois d’interdiction d’exercice. Entre 250 et 300 dossiers sont encore en cours d’instruction. Dans la majorité des cas, l’institution a été alertée par l’assurance-maladie, moins souvent, par l’entourage du patient, et très rarement, par la victime elle-même.

Dans le projet de loi sur le renforcement de la sécurité sanitaire des médicaments et des produits de santé, adopté par l’Assemblée Nationale et examiné la semaine prochaine au Sénat, il est prévu que le médecin devra informer le patient que « la prescription de la spécialité pharmaceutique n’est pas conforme à son autorisation de mise sur le marché, de l’absence d’alternative médicamenteuse appropriée, des risques encourus et des contraintes et des bénéfices susceptibles d’être apportés par le médicament ». Il devra indiquer sur l’ordonnance la mention «Prescription hors autorisation de mise sur le marché» et la motiver dans le dossier médical du patient.

« L’affaire du Mediator a jeté un menhir dans la mare »

Par ailleurs, un médecin qui aurait prescrit un produit hors AMM peut être poursuivi devant un tribunal. Il devra alors démontrer que ses prescriptions sont fondées sur des données avérées de la science, qu’il a agi conformément à une pratique reconnue par un nombre important de professionnels et dont l’intérêt n’est pas discuté et qu’il était dans l’impossibilité d’utiliser un autre produit disposant de l’AMM pour cet usage, la jurisprudence ayant déjà admis des prescriptions hors AMM.

Dans le cas du Mediator, la responsabilité du médecin reste encore floue malgré les nombreuses annonces censées les rassurer. Ainsi, les laboratoires Servier indiquaient fin août n’avoir aucunement l’intention d’attaquer les prescripteurs. « Nous avons même spécifiquement précisé, au moment de la constitution du Fonds d’indemnisation, que nous prendrions également en compte les dossiers des patients qui ont consommé le médicament prescrit hors AMM » avait alors déclaré Lucy Vincent, la porte-parole de la firme.

« Les médecins ne seront pas les payeurs », avait affirmé de son côté Xavier Bertrand, le ministre de la Santé au moment de la constitution du fonds d’indemnisation des victimes. Restent les patients. Dominique-Michel Courtois, le président de l’association Avim (Association d’aide aux victimes du Mediator et de l’Isoméride) assurait au mois de mai dernier qu’« aucune victime ne voulait mettre en cause son médecin traitant ».

Cependant, si le patient, en déposant son dossier auprès du Fonds d’indemnisation des victimes, estime que la faute revient non pas au laboratoire mais au médecin, c’est ce-dernier, par le biais de son assurance en responsabilité professionnelle, qui sera tenu de l’indemniser. Mais il ne s’agit, pour l’instant, que d’une hypothèse d’école.

Quoiqu’il en soit, l’affaire du Mediator aura marqué les esprits. « Ce n’est pas un pavé dans la mare mais un menhir, résume ainsi André Desueur, spécialiste des conditions d’exercice au sein du Conseil national de l’ordre des médecins. Il y a désormais un grand chemin à faire avec les médecins qui ont perdu confiance et qui ont été les premiers trahis dans cette affaire. Ils se trouvent dans un climat de méfiance qui peut poser des problèmes. On le voit notamment avec le recul généralisé de la vaccination. »

Un sondage, publié au début du mois par L’Express-CompuGroup Medical, révélait que les patients ne sont pas les seuls à perdre confiance dans les traitements prescrits, les praticiens aussi. Ainsi, ils sont 28% à déclarer que « leur état d’esprit n’était pas très serein » ou « pas du tout serein » lorsqu’ils prescrivaient des médicaments.

Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Concepcion Alvarez