Alors que le neuropsychiatre, Boris Cyrulnik, vient de jeter un pavé dans la mare avec son rapport sur le suicide des enfants, une enquête du Conseil de l’Europe montre que ces-derniers ne se sentent pas suffisamment écoutés par les professionnels de santé. Selon Catherine Dolto, la fille de la célèbre psychanalyste, les médecins se trouvent dans un système de plus en plus déshumanisé où ils n’ont plus le temps de prendre le temps.

D’après l’enquête du Conseil de l’Europe*, réalisée par le Dr Ursula Kilkelly de l’University College Cork (Irlande), 80 % des enfants estiment avoir besoin de plus d’informations sur le traitement qu’ils recevront, 67 % sont d’avis que leur médecin devrait les écouter davantage et 60% veulent que les professionnels de santé s’adressent directement à eux. Selon le Dr Kilkelly, « les enfants ont le droit d’être entendus et aidés à prendre part aux décisions qui les concernent – les décisions relatives à leurs soins cliniques et médicaux, mais aussi aux questions plus générales portant sur les politiques et le système de santé ».

Pour Catherine Dolto, ex-pédiatre devenue haptothérapeute – elle accompagne les parents lors de la grossesse et les bébés pendant la première année de leur vie – la dimension affective n’est pas suffisamment prise en compte par les soignants. « J’ai des échos de rencontres avec des médecins qui ne sont pas du tout humains y compris dans des situations graves, ils ne répondent pas aux questions ou répondent à côté. C’est très violent pour les patients. » Elle déplore que la médecine actuelle prenne davantage en compte tout ce qui est mesurable et quantifiable, plutôt que de privilégier l’humain. « Quand les enfants sentent que la personne devant eux est capable de les entendre, ils vous disent exactement ce dont vous avez besoin pour comprendre leur souffrance. Mais pour cela, il faut un dispositif où l’enfant se sente bien accueilli, où il a le sentiment qu’on l’entend et qu’on l’écoute et où le médecin prend son temps. A ce moment-là, ils font tout le travail. »

Le problème, c’est que les médecins n’ont pas le temps de prendre leur temps, comme l’explique Catherine Dolto, qui a elle aussi été médecin généraliste pendant quelques année.


 

Dans son rapport, Boris Cyrulnik estime qu’entre 30 et 100 enfants de 5 à 12 ans se donnent la mort chaque année en France, mais leur nombre serait largement sous-estimé. « Les comportements à risque enfantins, tels que le jeu de se pencher par la fenêtre ou de se faire frôler par les voitures, cachent des tentations suicidaires. Les adultes préfèrent souvent y voir des accidents, parce que l’idée du suicide d’un enfant est insupportable.» Selon lui, les facteurs sont multiples, il suffit alors d’un petit détonateur – un mot dans un carnet scolaire, une dispute avec un proche – pour déclencher une réaction extrême, souvent très violente.

Et parmi ces facteurs, il y a notamment les carences affectives précoces. Le psychiatre recommande ainsi de porter une attention particulière aux mères durant les dernières semaines de grossesse, puis au cours des dix premiers mois de vie de leur nouveau-né. « La neuro-imagerie a permis de voir les dégâts cérébraux que provoquent les carences affectives précoces: atrophie de certaines zones cérébrales, modification des circuits profonds des émotions et de la mémoire», détaille-t-il.

Pour Catherine Dolto, beaucoup de symptômes chez les enfants sont liés à l’insécurité affective, d’où l’importance de prendre en charge les femmes pendant leur grossesse et leur accouchement, et les enfants dès leur naissance.


 

Catherine Dolto conseille ainsi de miser davantage sur les premières années de la vie qui permettent selon elle d’expliquer de nombreuses souffrances une fois arrivé à l’âge adulte. « Si on mettait plus d’argent sur les premières années de la vie, on ferait des économies fantastiques, ne serait-ce qu’en termes de santé sociale. Mais pour l’instant, tant que s’asseoir avec une femme pour discuter de son accouchement n’est pas coté comme un acte, on sera pathogène. Je pense qu’on est dans une folie d’un système déshumanisant qui va forcément aller à sa perte. Il faudra alors mener une réflexion sur ce que c’est que la prise en charge d’un humain.» Même si l’haptothérapeute estime être dans une période « totalement désespérante », elle garde espoir pour la suite.  

Source :
http://www.egora.fr/
Auteurs : Concepcion Alvarez