Le Dr. Jean-Marie Le Guen, (député PS de Paris), dévoile les grands axes de la réforme du système de santé que la gauche mettrait en place en cas de victoire en 2012. Réforme fiscale, de l’organisation des soins en médecine de proximité et de l’hôpital, sont au programme.

 

– Quels remèdes préconisez-vous pour guérir l’assurance maladie de ses maux et de ses déficits récurrents ?

Dr. Jean-Marie Le Guen : Indépendamment des années où la crise frappe brutalement et fortement, par exemple en 2008 ou 2009, il n’y a aucune raison pour que notre assurance maladie ne soit pas à l’équilibre. Les déficits attendus pour les années qui viennent sont essentiellement liés à la problématique des recettes, les dépenses d’assurance maladie sont aujourd’hui sous contrôle, l’Ondam (Objectif nationale d’assurance maladie. Ndlr) est respecté et le sera vraisemblablement dans les années à venir. Ce sont donc bien les recettes qui sont structurellement insuffisantes. Cette situation n’est pas satisfaisante d’un point de vue des comptes publics car elle induit l’accumulation d’un déficit qui va se transformer en dette sociale. Et d’un point de vue politique, laisser cette situation se développer fait planer un doute sur l’avenir de l’assurance maladie. Ma première préconisation, c’est de rétablir les finances de l’assurance maladie, de la remettre à l’équilibre car on ne peut accepter qu’elle s’installe durablement dans le déficit. Il faudra ensuite imaginer des mécanismes de régulation qui permettront les années qui suivent, de compenser un trou d’air conjoncturel.  

– L’assurance maladie est-elle sous-financée ?

– Oui, absolument. Il y a un sous-financement structurel que l’on peut établir à 7 ou 8 milliards d’euros minimum. Il faut régler cette question et avoir ensuite une bonne gestion de l’économie et des dépenses d’assurance maladie.

– Comment ?

– Tout simplement en accroissant la part des financements de l’Etat à l’assurance maladie. Nous prévoyons une réforme fiscale globale, en prévoyant un rapprochement de la CSG et de l’impôt sur le revenu. Nous pourrons répondre à cette question grâce à ce rapprochement. Il faudra se pencher ensuite sur les fameuses niches fiscales qui sont autant d’exonérations abusives. Il est possible de trouver des financements divers pour rétablir les recettes. Nous avons indiscutablement besoin de ces 8 milliards d’euros en recettes annuelles récurrentes, pour rétablir durablement les finances de l’assurance maladie.

– Si la gauche arrive au pouvoir, ce sera l’une des premières réformes qu’elle mettra en place ?

– Oui, c’est une nécessité de faire cet assainissement financier, ce qui permettra ensuite  de construire un projet de santé plus global.

 

Plus de transfert vers la Cades

– Cela rendra-t-il définitivement impossible de nouveaux transferts de financement vers la Cades (Caisse d’amortissement de la dette sociale. Ndlr) ?

– Une fois les choses assainies, oui. Je suis partisan d’un système de financement quinquennal faisant en sorte qu’il n’y ait plus de transfert vers la Cades. On peut se retrouver dans une année exceptionnelle, comme en 2008 où il y a eu une chute brutale de la croissance, auquel cas le déficit annuel serait rattrapable sur les deux ou trois années suivantes, mais il faut trouver un système d’auto équilibrage durable des dépenses de santé. La fuite en avant de l’accroissement de la dette sociale n’est plus tolérable. Néanmoins, nous ne pourrons récupérer en 2012 les dettes de 2011.

– Vous estimez donc qu’il n’y a plus de problème de dépenses.

– Attention. Je pense que le système en soi, avec la pharmacie qui est en train de se génériquer, la démographie médicale qui se restreint, etc..,  induit  y compris pour des raisons non vertueuses, un ralentissement de la croissance des dépenses de santé qui peut expliquer la tenue de l’Ondam. Ensuite, nous prévoyons cette année une activité économique de 1,2 %, guère plus, et environ autant pour les autres années. Autant je suis partisan d’un Ondam qui tire la croissance, autant je pense que l’on ne peut concevoir un Ondam qui exploserait et serait sans rapport avec la politique économique de notre pays.

– L’accroissement constant du nombre de malades pris en charge à 100 % dans le cadre des ALD plombe les comptes de l’assurance maladie. Que préconisez-vous en la matière ?

– Il faut une nouvelle vision du système de santé, il faut l’adapter à la chronicisation des pathologies. On peut traiter de l’aspect assurance maladie avec les ALD, mais le problème est plus global. Cela présuppose des réformes de l’assurance maladie, des systèmes de prise en charge et de l’organisation des soins. Par exemple, il faut avancer de manière plus intensive sur l’organisation des soins autour de la personne en situation de perte d’autonomie. Il y a des gains, tant en matière de qualité des soins que de productivité, qui sont considérables. On pourrait ainsi décliner une réflexion stratégique de l’organisation des soins pathologie par pathologie. Le diabète – d’un certain point de vue on a commencé à le prendre en compte avec la problématique des Capi (Contrat d’amélioration des pratiques individuelles) et de Sophia, le suivi personnalisé des patients organisé par l’assurance maladie. C’est une piste que j’ai soutenue en son temps. Lorsqu’on observe le cas des insuffisants rénaux chroniques, on se rend compte qu’ils sont systématiquement pris en charge dans des centres de dialyse alors qu’ils pourraient être à domicile, où le coût et la qualité des soins sont infiniment supérieurs. Bref, il y a une gestion de la maladie qui doit gagner en qualité et efficacité des soins. Ensuite, nous pourrons avoir une réflexion sur la part ALD des dépenses d’assurance maladie. Autant je suis opposé à l’idée du bouclier sanitaire s’agissant des soins courants, autant je conçois qu’on imagine pour la partie supplémentaire des ALD, une gestion différenciée du reste à charge. Le coup de pouce du remboursement n’est pas forcément également légitime.

La contrainte ne sert à rien

– En conséquence, vous préconisez pour la ville des responsabilités élargies.

– Il faut une organisation différente autour des pathologies, et donc des systèmes tournant autour de ces pathologies, ce qui leur ferait gagner beaucoup d’efficience : un peu moins de nomadisme médical et une harmonisation des soins autour de la personne.

– Est-ce ce que vous désignez sous le terme de « troisième voie » pour la médecine de proximité ?

– C’est en partie cela. Je constate que la médecine libérale traditionnelle est en échec. Elle ne répond plus à la demande de soins et la désertification médicale gagne des territoires de plus en plus nombreux. Elle n’attire plus à elle les jeunes professionnels. Il s’agit d’une crise du mode d’exercice, d’organisation. A l’inverse, je ne suis pas pour une généralisation d’une médecine salariée, je pense que ce n’est pas une bonne chose. Il faut un système pluraliste où un entreprenariat médical aurait sa place, entre une forme de médecine traditionnelle et une forme d’exercice pouvant être prise, par exemple dans le secteur des cliniques privées.

– La difficulté d’accès aux soins se décline autant sur un plan géographique qu’ économique. Quelles sont vos solutions ?

– Une refonte de l’organisation des soins. Je ne crois ni aux incitations financières qui ont montré leurs limites et leurs coûts extravagants – l’an passé, une cinquantaine de personnes ont été aidées pour une somme de 17 millions d’euros – ni à la contrainte, qui est une mesure stupide qui n’aboutit à rien de ce que l’on veut faire. Cela ne signifie pas qu’il ne doit pas y avoir une limitation de l’installation de certains médecins à dépassements dans certaines zones. On ne peut financer n’importe quelle installation n’importe où. Mais à contrario, on ne peut rien imposer. Il faut donc être attirant et réformer l’exercice médical. Les jeunes médecins veulent un exercice plus collectif, plus dense au plan technique, plus coopératif entre professions de santé, plus organisé, plus complémentaire. Typiquement, une organisation de type maison ou pôle de santé devrait permettre qu’il y ait des médecins sur tout le territoire, j’en suis convaincu.

 

Revoir le volet hospitalier de la loi Hpst

– La convention médicale met en place une réforme de la rémunération sous la forme du paiement à la performance. Quel est votre avis sur cette innovation ?

– J’y suis favorable. Je suis pour une évolution au-delà du paiement à l’acte que je trouve frustrant et même dévalorisant pour la profession médicale. La rémunération a vocation à être profondément réformée. La convention spécifie que ce type de paiement représente 10 % environ de la rémunération du médecin, je pense qu’il faut aller bien plus loin. Je pense que la mutation que nous avons à faire est bien plus considérable que cela,  et que la rémunération n’en est qu’un des éléments. Le temps de la tarification à l’acte dominant ne satisfait plus personne.

– Le terme de « performance » semble vous choquer un peu ?

– On aurait pu choisir le mot de la qualité, c’eut été peut être plus conforme à l’éthique médicale.

– Vous contestez vigoureusement le contenu du volet hospitalier de la loi Hôpital, patients, santé et territoires. Pourquoi ?

– En effet, je conteste fondamentalement la philosophie de la politique du gouvernement qui consiste à marginaliser le corps médical dans la prise de décision hospitalière. Nulle part au monde, s’il n’y a pas une association des médecins à la politique économique, il n’y a ni médecine, ni économie. La caporalisation du corps médical est une erreur fondamentale et dénote d’un mépris insupportable. Deuxièmement, nous nous situons essentiellement dans une logique comptable, et non de restructuration positive. Je fais partie des gens qui considèrent qu’il faut bouger – je l’ai prouvé en tant que président du conseil d’administration de l’Assistance-publique à Paris. Mais pour que l’hôpital bouge, il faut le laisser respirer, alors qu’on l’étrangle. La logique en place fige les choses, tétanise le corps hospitalier au lieu de lui donner sa chance. 

Source :
http://www.egora.fr/
Auteurs : C. Le Borgne – Dr Alain Trebucq