« Ne cherchez pas l’endroit capable de collecter et vérifier toutes les déclarations de liens d’intérêt existant entre les médecins et l’industrie pharmaceutique, vous y êtes ! La loi « cadeau » est appliquée à l’Ordre depuis plus de 15 ans. Nous avons un site internet qui est ouvert à tous les médecins. Pourquoi vouloir créer une nouvelle agence ? »
Alors que le projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament, devait être adopté dans l’après-midi par l’Assemblée nationale, (ce qui fut fait), ces propos tenus par Michel Legmann, le président du Conseil national de l’Ordre, éclairent la tonalité du débat qui s’est tenu ce matin, à l’Ordre, sur le thème des conflits d’intérêts et de leur prévention.
La mise en place du « Sunshine act » à la française est en effet un des piliers fondateurs de ce projet de loi né au décours du drame du Mediator. Le texte soumis aux députés prévoit trois dispositions phare à ce sujet : les déclarations d’intérêt devront concernent les cinq années écoulées ; la loi fait une obligation de publier la liste des avantages consentis par les industriels aux professionnels de santé ; il n’y aura pas de création d’instance nouvelle pour le contrôle des déclarations, le gouvernement se refusant à trancher.
L’Ordre, qui au titre de la loi Sapin, de 1993 (dite loi cadeau), a vu passer entre ses mains, pour avis, 40 000 dossiers à l’échelon national et autant en région en 2010, se sent tout naturellement légitime pour passer à la vitesse supérieure dans le cadre de la future loi. L’instance a formulé à cet égard quatre propositions, qui nécessitent des adaptations réglementaires et législatives, destinées à permettre la mise en place d’un dispositif de transparence efficient entre les praticiens et les industries pharmaceutiques et biomédicales :
- Etablir un guichet unique pour recenser et examiner les conventions médecins/industries.
- Rendre public l’ensemble des liens d’intérêts entre les médecins et l’industrie.
- Donner au CNOM un pouvoir de sanction en cas de non-respect de son avis.Le CNOM a e effet pour mission de rendre un avis – favorable ou défavorable – sur les projets de convention entre médecin et industriel qui lui sont soumis, mais ne dispose d’aucun pouvoir d’interdiction. Seule la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, liée au ministère de l’Economie, peut au vu du non-respect de l’avis, engager des procédures et des sanctions. De même, l’Ordre demande la possibilité de signaler à la Dgccrf, l’industriel qui ne respecterait pas ces mêmes conditions.
- Mettre en place d’une contribution financière des industriels. Les frais de gestion des dossiers relatifs aux liens d’intérêts sont gérés par le service Relations Médecins Industries (RMI) du CNOM et couverts avec les cotisations des médecins. « Faire peser le poids de cette gestion très lourde sur les seules cotisations de l’ensemble des médecins n’apparait pas équitable », pour Michel Legmann. Il demande que les industriels contribuent au fonctionnement du système, définir la base juridique constituant le guichet unique et permettre son renseignement par les industriels et par voie électronique,
- donner à l’avis rendu par l’Ordre un caractère impératif et non seulement indicatif,
- obtenir la participation financière des industriels.
« Le lien d’intérêt n’est pas condamnable, à l’inverse des conflits d’intérêt. Nous devons changer de culture et accepter enfin la culture de la transparence. Nous avons encore beaucoup de mal à aborder ce débat à l’Assemblée national », est venu témoigner Yves Bur, député (UMP) du Bas Rhin. L’intransigeant député voit même plus loin, en envisageant d’inclure dans cette obligation, les associations de malades et les syndicats médicaux. « Il faut aller au bout » a-t-il exhorté. Président du Leem (Les entreprise du médicament), Christian Lajoux a approuvé ces propos. « Nous avons besoin de faire un pas supplémentaire, notre pays n’est pas au niveau des autres ».
Précisant que le Leem souscrivait totalement aux chapitres du projet de loi instaurant le Sunshine act, les déclarations et la publicité de tous les liens d’intérêt « depuis le premier euro », le président a même souhaité que cette déclaration leur soit opposable « car notre parole est perpétuellement mise en doute. Il faut que l’on sache comment les industriels travaillent ». Il penche pour un « guichet unique » dont le lieu resterait à trouver. A l’évidence, la candidature offensive de l’Ordre ne fait pas le consensus.
Dominique Maraninchi, le président de l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), prochainement renommée Agence pour la sécurité du médicament, explique qu’il ne faut plus qu’il y ait la « moindre suspicion pour faire revenir la confiance ». Il défend l’idée d’une déclaration sur un « format unique et transparent ».
Une seule agence « déresponsabiliserait les agences publiques, qui doivent prendre une décision », professe-t-il. Pionnier en cette matière, la Haute autorité de santé expérimente depuis plusieurs mois un formulaire type de déclaration, conservé dans une cellule ad hoc à la HAS. Selon son président, le Pr. Jean-Luc Harousseau, telle est la bonne voie. Quant à Yves Bur, toujours provocateur, il a soutenu que l’Ordre devait, avant tout « balayer devant sa porte », car si la confiance est au beau fixe avec le corps médical, il y a encore loin de la coupe aux lèvres, pour ce qui concerne les utilisateur du système de soins. « Le site de l’assurance maladie Ameli.fr renseigne les patients sur le montant des honoraires des médecins. Il pourrait également désigner le lieu où les malades peuvent se renseigner sur les liens d’intérêts de leurs soignants ».
Et Irène Frachon, la pneumologue brestoise qui a fait émerger l’affaire du Mediator de surenchérir en évoquant le « trop grand nombre de liens d’intérêts ou même d’amitié » liant les médecins et les industriels. Une déclaration qui a amené Christian Lajoux à rétorquer qu’il lui était assez pénible d’être ainsi « considéré comme un paria ». Il s’interroge d’ailleurs sur la légitimité de l’industrie pharmaceutique à collaborer avec les associations de patients. « Le ministre et le législateur nous ont dénié toute légitimité dans la production de formation continue. Alors pourquoi nous condamne-t-on à payer une taxe pour le même objet » s’est-il indigné….
Source :
http://www.egora.fr/
Auteur : Catherine le Borgne