Alors que la loi sur la réforme des retraites a été adoptée cet après-midi à la majorité absolue à l’Assemblée nationale par 329 voix contre 233, dans une ambiance survoltée, la médecine du travail s’est invitée dans le débat à travers un amendement gouvernemental qui rattache la réforme de cette spécialité à la loi sur les retraites. En effet, explique le gouvernement, « la mise en œuvre des dispositions législatives relatives à la pénibilité fait jouer un rôle important, de fait, aux services de santé au travail » et il convient de clairement définir les missions de ces « services de santé au travail ».
 Le texte adopté par l’assemblée (http://www.assemblee-nationale.fr/13/amendements/2770/277000730.asp) prévoit que les médecins du travail exerceront « sous l’autorité de l’employeur » et que « les missions des services de santé au travail sont assurées par une équipe pluridisciplinaire de santé au travail composée au moins de médecins du travail, d’intervenants en prévention des risques professionnels, d’infirmiers et, le cas échéant, d’assistants des services de santé au travail ». L’indépendance des médecins du travail est ainsi clairement remise en cause. L’amendement stipule également que les clauses des accords collectifs comportant des obligations en matière d’examens médicaux réalisés par le médecin du travail différentes de celles prévues par le code du travail ou le code rural ( en termes notamment de périodicité des visites médicales) sont considérées caduques d’ici 18 mois. L’objectif étant de « rétablir une égalité de traitement entre les différents salariés, en uniformisant leur suivi médical sur le droit commun défini par décret ».
« C’est une avancée considérable pour la médecine du travail », a assuré le ministre du Travail, Eric Woerth.  La médecine du travail en sortira-t-elle renforcée alors que la crise démographique touche tout particulièrement cette spécialité qui compte 6 500 médecins dont 55 % ont  plus de 55 ans ? « la médecine du travail est en danger » s’alarmait en effet en avril dernier le rapport (http://www.travail-solidarite.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport-Dellacherie-Frimat-Leclercq-04-2010.pdf) présenté par Christian Dellacherie, Paul Frimat et Gilles Leclercq.  « D’ici 5 ans,  indiquent-ils, si rien n’est fait pour aider les professionnels de la santé au travail à anticiper les départs à la retraite des praticiens et des enseignants hospitalo-universitaires, ce dispositif unique au monde, qui concerne en France près de 16 millions de salariés, pourrait s’éteindre, faute d’expertise et de perspectives ».
Dans les rangs de l’assemblée, l’opposition – notamment Martine Billard (PG), Roland Muzeau (PCF) et Marisol Touraine (PS) – a dénoncé le fait qu’au détour d’un amendement, le gouvernement est en train de mettre à bas toute l’organisation du système de santé au travail (…) les services de santé au travail d’entreprise soient désormais placés sous l’autorité de l’employeur. Autrement dit, le principe même de l’indépendance de la médecine du travail, principe essentiel si l’on veut que les salariés soient effectivement protégés, est remis en cause au détour d’un simple amendement. »
« Sans faire de bruit, le gouvernement cherche à supprimer la médecine du travail », a fustigé pour sa part l’Union des familles laïques (l’Ufal), évoquant la reprise d’un projet du Medef. « Alors que nous assistons à la montée des troubles musculo-squelettiques, des suicides dus à la souffrance au travail, à un déni de justice sociale dans la sous-estimation des cancers professionnels, voilà un amendement qui vise à supprimer l’indépendance des médecins du travail dans les missions posées par la loi de 1946 » (la médecine du travail doit « éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail ») »
Du côté des médecins, la Confédération des syndicats médicaux français (Csmf) ne se prononce pas sur cet aspect mais dénonce plus globalement le sort réservé aux médecins libéraux dans le cadre de la réforme des retraites. « Si cette réforme allait jusqu’à son terme en l’état, les médecins libéraux seraient lourdement pénalisés, puisque le report de deux ans de l’âge de leur retraite les amènerait à un départ à la retraite à 67 ans, tandis que leurs confrères salariés pourraient partir au plus tard à 62 ans ». Le syndicat s’élève ainsi « contre la pénalisation d’une profession à qui la société et les pouvoirs publics demandent toujours plus ! »