Le Dr Jean-Jacques Tanquerel, ancien médecin chef du département d’informations médicales (DIM) de l’hôpital de Saint-Malo a été mis au placard. Il n’est plus affecté à aucun poste. Il paye aujourd’hui le fait d’avoir dénoncé l’accès de la société privée Altao aux dossiers médicaux des patients (voir encadré). Une pratique illégale qui entrave le secret médical. Il publie aujourd’hui Le serment d’Hypocrite, secret médical : le grand naufrage (éditions Max Milo) dans lequel il retrace son affaire.
 

 

Egora.fr : Près d’un an après le début des événements, comment allez-vous ?

Dr Jean-Jacques Tanquerel : Je fais aller mais ça devient de plus en plus difficile. Ma situation se prolonge sans espoir d’amélioration. Actuellement je suis évincé de mon poste du DIM sans qu’officiellement aucune raison ne me soit reprochée. Le directeur avait d’abord invoqué des raisons de santé mais ça n’a pas bien marché. Ensuite il a mis en avant mon incompétence devant le comité médical mais sans argumenter. Là, je suis évincé de mon poste. Je suis dans un vrai placard. J’ai un bureau mais il ne se passe rien. Je n’ai pas de coups de fil, de mails ni de réunions. Je n’ai rien à faire.

 

Quel est officiellement votre poste ?

Je n’arrive pas à savoir. Officiellement, en juillet dernier le directeur m’avait positionné provisoirement, j’insiste sur ce terme, comme responsable de l’équipe d’hygiène, en remplacement d’un arrêt maladie de deux mois. J’avais accepté mais je m’étais un peu rebiffé expliquant que même si je bénéficie d’une formation diplômante en hygiène, je n’avais pas pratiqué depuis 2004 et je n’avais pas eu de remise à niveau. A la suite de son arrêt maladie, ma collègue a finalement quitté l’hôpital. Le directeur m’a demandé si j’étais intéressé par le poste. J’ai dit non car je souhaitais revenir au département d’informations médicales (DIM). Un nouveau responsable hygiéniste a été embauché.

Depuis, je ne sais pas où je suis. Sur ma fiche de paie, il est inscrit hygiène, mais c’est en théorie. En pratique, lorsque que le comité de lutte contre les infections nosocomiales se réunit, je n’y suis pas convié. Je ne suis destinataire d’aucun document relatif à l’hygiène, je ne suis au courant de rien. Concernant mon poste au DIM, j’ai désespérément demandé à mon directeur un papier stipulant que je suis définitivement évincé du service mais il refuse. Il m’a dit qu’il avait suivi les conseils de sa hiérarchie, à savoir l’ARS Bretagne, lui demandant de me positionner à un poste non pathogène et non générateur de tension. Je me suis tourné vers l’ARS qui m’a répondu que mon affectation était du ressort du directeur de l’hôpital. Bref c’est un dialogue de sourds.

 

Il s’agit là de harcèlement…

Tout à fait on est en plein dedans. J’ai déposé plainte pour harcèlement moral. La situation est pénible. J’espère que ça va se dénouer.

 

Pourquoi avez-vous décidé d’écrire ce livre ?

Parce qu’il y a un sentiment d’injustice vis-à-vis des patients et de moi. Il y a des règles de déontologie et d’éthique. Il y a la loi qui nous interdit de violer le secret médical. En pratique les directeurs d’établissement, avec la complicité de certains médecins, font ce qu’ils veulent.

Il faut savoir aussi que la commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a rendu une décision contre l’hôpital de St Malo. Plusieurs collègues DIM m’ont appelé pour me dire que malgré tout, les choses continuent, y compris avec la société privée Altao, contre laquelle je me suis battue. Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la CNIL me disait pourtant dans un courrier, avant de diligenter l’enquête, que si les faits étaient avérés, la société Altao risquait de perdre son autorisation. Les faits ont été prouvés et Altao ou d’autres sociétés ne sont pas inquiétés. Tout cela est injuste, d’autant que les malades ne sont pas au courant.

 

D’autres médecins du DIM dénoncent cette entrave au secret médical ?

Oui mais cela reste timide. Les médecins ont peur. Cette pratique existe depuis tellement longtemps, sans doute depuis 2008, voire avant, est devenue habituelle. Beaucoup ne se posent plus de questions. C’est la loi du plus fort.

 

Vous définissez vous comme un lanceur d’alerte ?

Oui, c’est aussi le rôle du livre, de prévenir. Toutes les instances sont au courant, la CNIL, l’Ordre départemental, régional, national, le ministère. Il restait à prévenir les patients.

 

Comment l’hôpital réagit à la publication du livre ?

Ils savent que le livre va sortir. J’ai reçu la visite du directeur du site, qui est nouvellement arrivé et n’a donc pas participé à cette histoire. Il est venu me remettre un courrier signé de la main du directeur général (hôpitaux de St Malo, Dinan et Cancale) me demandant de lui remettre un exemplaire du livre ce que je n’ai pas fait.

 

Dans le livre, vous estimez, comme le Dr Pelloux, que l’informatisation des hôpitaux est le prochain scandale à venir du domaine de la santé…

C’est ce que disait Pelloux dans un petit article de Charlie Hebdo et je suis d’accord. Quand je vois St Malo, je me dis que si c’est partout pareil, c’est une véritable gabegie. Je raconte dans le livre que le projet d’informatisation du dossier patient, a été géré à St Malo par un un ingénieur agronome !

 

Quelle serait la solution pour concilier étique et rentabilité ?

La solution est très simple. On fait appel à des sociétés externes dont on nous fait croire qu’ils sont des experts pointus présents pour faire gagner de l’argent à l’hôpital. C’est totalement faux. Ils ne sont pas plus experts que les DIM qui sont déjà en poste. Si je prends comme exemple mon histoire de St Malo, la personne qui est venue fouiller dans les dossiers des patients n’est même pas médecin mais infirmière. Je n’ai rien contre elle, mais ce discours est faux. La seule valeur ajoutée de ces personnes est de faire un travail que nous avons du mal à assumer, faute de moyens. C’est un apport quantitatif plus que qualitatif. Il suffirait simplement de renforcer les équipes DIM et le problème serait réglé. D’autant qu’en terme de financement, ces sociétés repartent avec des sommes faramineuses. Pour six jours de travail, Altao a empoché un chèque de près de 100 000 euros.

 

Par qui êtes-vous soutenu ?

Localement, je suis soutenu par une partie du comité médical (hormis les chefs de pôle qui sont nommés par le directeur).

Hors de l’hôpital, j’ai le soutien total de l’intersyndicale Avenir Hospitalier et de sa commission DIM. Sinon je suis soutenu par l’Ordre national, le CISS, la CNIL…

 

Les médecins du DIM viennent de créer un syndicat, est-ce lié en partie à votre affaire ?

Non, le syndicat est tout récent. J’ai eu des échanges avec le président. C’est très bien, il faut que les DIM montent au créneau et se rassemblent pour lutter.

 

Quel bilan tirez-vous de cette affaire ?

Je pense qu’il est un peu tôt pour tirer un bilan puisque l’histoire est loin d’être finie. Le bilan est pour l’instant désastreux. Professionnellement, j’ai tout perdu dans l’histoire. J’attends de voir la suite.

 

Qu’attendez-vous ?

J’attends que des actions soient réellement mises en place par les instances pour régler la situation. J’attends que les DIM aient les moyens de faire leur travail en toute indépendance et dans le respect des patients.

 

L’affaire du Dr Tanquerel remonte en 2012. L’hôpital de Saint-Malo est en déficit chronique depuis plusieurs années. Dans un cadre de tarification à l’activité, le médecin du DIM subit des pressions pour valoriser l’activité hospitalière. Le directeur de l’hôpital décide de faire appel à Altao, une société privée de conseil, pour coder l’information médicale.

Le Dr Tanquerel refuse et clame une entrave au secret médical. Altao a en effet l’autorisation du directeur de l’hôpital de consulter les “résumés de séjour” des patients sans leur autorisation. Après un arrêt maladie pour cause de burn-out, le Dr Tanquerel apprend son éviction du DIM. Il est depuis mis au placard.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin