Le centre de greffe de l’hôpital Haut-Lévêque à Bordeaux, fermé en août, a constitué en urgence une équipe chirurgicale solidaire pour opérer et sauver une jeune fille de 20 ans, atteinte de mucoviscidose. De garde ce soir là, le docteur Hadrien Roze, médecin en réanimation thoracique a orchestré ce mouvement de solidarité entre professionnels de santé. Témoignage.

 

“Je ne conçois pas ce qui s’est passé ce jour là comme exceptionnel. En tant que médecins, nous avons fait notre boulot. Pour autant, cette journée restera particulière à mes yeux.

La journée à commencée le lundi 12 août. Je reçois à l’hôpital cette jeune fille de 20 ans. Je la connaissais parce qu’elle était déjà venue au mois de mai lorsqu’elle avait fait sa première décompensation sévère. Elle était sur liste de transplantation depuis février. Elle est donc revenue ce lundi, dans un état grave. J’ai voulu voir si elle montrait des signes d’amélioration et si elle pouvait passer le cap. En effet, nous sommes une petite équipe très spécialisée et pendant cette période, à l’exception d’une équipe aux urgences, tout le monde est en vacances.

 

Programme de greffe fermé en août

Du coup au mois d’août, le programme de greffe est fermé et nous ne recevons pas d’appel d’Agence de la biomédecine pour nous proposer des greffons. Si jamais un patient n’est pas bien, nous l’envoyons à l’hôpital Foch à Paris, qui à les moyens de tourner toute l’année. Malheureusement, l’état de cette patiente s’est très rapidement dégradé entre le 14 et le 15 août et il était trop tard pour l’envoyer à Paris. Le transport me semblait vraiment trop risqué.

Nous avons donc essayé de réfléchir aux options possibles. Dans notre service nous n’avions qu’une seule équipe, or deux sont nécessaires pour pouvoir greffer. Du coup, nous avons pensé à mutualiser les moyens avec l’équipe de chirurgie cardiaque, qui se trouve dans un autre bâtiment. L’idée était de dire, voyons ce qu’il y a de disponible et nous allons reformer une équipe. Tout cela s’est fait très vite. Tout le monde a joué le jeu. Nous avons rappelé l’Agence de biomédecine pour lui dire que nous étions prêts à transplanter une greffée qui était sur la liste d’urgence nationale. Elle était la seule urgence nationale à ce moment là.

En parallèle j’ai appelé pas mal de personnel hospitalier chez eux pour leur expliquer la situation. J’ai eu un chirurgien cardiaque qui était ok. Le chirurgien pulmonaire était en vacances à Lacanau, pas très loin de Bordeaux. Il faisait du vélo au moment où je l’ai appelé ! Il est revenu.

 

Nous ne pouvions pas la laisser mourir sous prétexte que nous étions au mois d’août

La jeune fille avait 20 ans, nous ne pouvions pas la laisser mourir sous prétexte que nous étions au mois d’août. D’autant que nous avions les moyens et nous savions quoi faire pour la sauver. Je me suis donc contenté de faire le chef d’orchestre pour rassembler tout le personnel nécessaire à l’opération. A ce moment là, je n’avais absolument aucune certitude d’avoir un greffon. L’attente aurait pu durer une semaine et il aurait fallu recommencer à essayer de rassembler tout le monde. Par miracle, après avoir fait la demande à l’Agence de biomédecine, j’ai été rappelé trois heures après pour me signifier qu’ils avaient le bon greffon. J’ai donc rappelé tous ceux que j’avais eu le matin pour leur dire, c’est bon, c’est parti !

Lors de l’opération, chacun a joué sa partition, certains étaient en territoire inconnu, mais tout le monde s’est adapté. Les infirmières de chirurgie cardiaque n’avaient par exemple jamais fait de greffe pulmonaire mais elles étaient dirigées par les chirurgiens et tout s’est très bien passé. Nous avons commencé l’opération à 4h du matin, nous sommes sortis du bloc à 14h. Aujourd’hui, la jeune fille va très bien.

Cette expérience va probablement changer notre organisation de travail. L’année prochaine au mois d’août, on ne partira pas en se disant que si quelqu’un n’est pas bien, on l’envoie à Paris. Nous venons de constater que cela ne peut pas fonctionner. Nous ne ferons pas de transplantation programmée mais en cas d’urgence, nous referons la même chose.

 

C’est notre quotidien, il n’y a pas eu de prouesse technique

Cette histoire est parue dans Sud Ouest, quotidien de presse régionale. Nous avons eu un flot de critiques. Pour les médecins du privé, c’était l’hôpital public qui se fait mousser. Pour d’autres, il n’y a pas de gloire à tirer puisque nous sommes payés des fortunes pour faire notre travail. Evidement nous percevons un salaire, mais cela n’a rien à voir. On pourrait aussi voir les choses à l’envers et dire, c’est un scandale, l’hôpital public n’a pas les moyens de faire une greffe un 15 août. Tout le reste de l’année on a tout ce qu’il faut mais il faut bien que les gens partent en vacances. Il faut beaucoup de monde pour faire une greffe.

L’histoire se termine bien. Tout s’est vraiment bien passé. Mais au final c’est notre quotidien. Il n’y a pas eu de prouesse technique. C’est une belle histoire humaine, avec la patiente, mais aussi entre médecins. Nous étions tous sur la même longueur d’onde. ”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin