Nombreux sont les médecins qui dévoilent un peu de leur quotidien sur la toile. Anecdotes, états d’âme ou coups de gueule, Egora.fr a sélectionné pour vous quelques-uns des meilleurs billets de médecins blogueurs. Aujourd’hui, Fluorette* dévoile sa crainte de ne pas pouvoir boucler ses fins de mois.

 

Funambule

Lundi matin. Habituellement, quand j’arrive, à 7h30, le planning est plein. Alors j’ouvre les créneaux réservés pour la prise de rendez-vous le jour-même. Et je croise les doigts pour ne pas devoir ouvrir des créneaux supplémentaires, pour de prétendues urgences, ou de vraies urgences, enfin je croise surtout pour que ça ne soit pas le bordel en fait.

 

Aujourd’hui, l’angoisse monte

Oui habituellement c’est comme ça, mais pas ce matin. Ce matin, il reste plein de places. Et fourbement, l’angoisse s’insinue. Je la chasse en enchainant les automatismes : mettre l’eau dans la bouilloire, appuyer sur le bouton, aller ouvrir mon cabinet, lancer l’ordinateur, revenir verser l’eau sur le thé, retourner à mon bureau, allumer les lampes, cliquer sur Firefox, souffler sur le thé.

Le logiciel me dit qu’il faut renouveler l’ALD de Mme Bidule. C’est bizarre, je ne me rappelle plus Mme Bidule. Alors je vais sur le site de l’assurance maladie et je m’aperçois que non seulement Mme Bidule n’est effectivement plus suivie par moi mais que la liste des patients m’ayant déclaré comme médecin traitant est un peu moins longue que la dernière fois que je l’ai regardée. Vraiment juste un peu, mais quand même.

Certains jours où il y a moins de boulot, je parviens à me détendre et à rentrer plus tôt à la maison. Oui, d’autres jours, je m’en tamponnerais bien fort. Mais aujourd’hui, l’angoisse monte.

Je respire lentement. Je bois mon thé. Et je commence ma matinée. Ca se remplit doucement. Mais pas très vite, c’est étrange. Pour une fois, je mange à une heure décente. Et après j’ai le temps de lire les courriers.

Déjà, la fin de semaine dernière n’était pas particulièrement active, vingt patients par jour. J’avais mis ça sur le dos de la fin des épidémies. Mais si ça se poursuit…

Si ça se poursuit, je ne pourrai plus rembourser ce cabinet, je vois déjà les huissiers arriver et saisir le cabinet, notre maison, etc… Si ça se poursuit, c’est peut-être parce que je suis trop rigide, que je refuse trop de choses, que je ne cire pas assez les pompes des gens… J’imagine un article dans le canard local sur ce médecin pas assez sympathique, qui refusait tant de choses et qui a fait faillite. Et d’ailleurs le journal de 13h de TF1 viendrait faire un reportage dans notre montagne pour montrer que si les médecins se plantent c’est parce qu’ils ne travaillent pas assez etc…

Ca y est, le point dans la poitrine est là.

 

Comme il serait facile de basculer

Il y a des jours comme ça où quand je ferme les yeux, je me demande s’il ne serait pas plus simple de mettre mes principes dans un sac et de le jeter loin, de faire des consultations de 5 minutes dans le couloir, de reconvoquer à tour de bras, de m’excuser tout le temps parce que je suis en retard de 2 minutes avec un ton mielleux, d’acquiescer à tout ce qu’on me demande, de me plaindre auprès de la secrétaire de la somme faramineuse que je paie comme impôts pendant que je téléphonerai à l’agent immobilier qui s’occuperait de mon dernier achat d’appartement, je pourrais acheter cette voiture qui me plait tant. Je rentrerais plus tôt, je gagnerais bien mieux ma vie, et peut-être serais-je moins fatiguée…

Je délire là, j’ai besoin d’air, j’attrape ma malette, ça me change les idées de parcourir les routes. Chez Martine, j’appelle un spécialiste pour un avis sur son épaule. Avec Hortense, nous prenons le temps d’observer les oiseaux qui nidifient par la fenêtre du salon. Je vadrouille, chez Georges je fais un pansement, chez Fernand je compte des boites de médicaments restant dans un placard de salle de bains, etc. Puis, j’arrive chez Germaine. Et quand on a presque fini et que je vais partir, elle attrape ma main et me dit “j’aime bien comme vous faites, que vous preniez votre temps et j’aime bien que vous ne veniez pas sans que je vous le demande, pas comme certains”. Elle me regarde de ces yeux qui ne voient plus en souriant, et ajoute “mais si, vous voyez très bien de qui je parle, et vous n’êtes pas comme ça”. Je pars avec un peu moins de poids sur ma poitrine.

Comme il serait facile de basculer en fait, d’abandonner cette envie de bien faire, d’arrêter de lire Prescrire et Médecine, de faire du chiffre… si mes foutus principes ne se rappelaient pas à moi en permanence. Comme j’aime qu’ils m’empêchent d’avoir envie de defiscaliser à tout-va et de m’entrainer dans une spirale infernale. Comme j’ai de la chance d’avoir des Germaine qui me rappellent où se situe le bon chemin, celui qui me correspond en fait. (1)

Le soir, avant de fermer l’ordinateur, finalement je m’aperçois qu’aujourd’hui j’ai vu 30 patients. Trente en prenant mon temps, et en ayant l’impression de ne rien faire. C’est fou, pour une fois.

 

Je marche sur un fil fragile

Je me demande si un jour, j’arriverai à me séparer de cette ambivalence entre le désir de bien faire mon travail et le besoin de gagner ma croute, entre les charges qui montent et le C qui reste à 23. Entre l’envie de garder mes principes et la peur que les patients partent à cause de ça. Entre ce souhait d’en voir 20 à 25 par jour mais bien, en prenant son temps, et ce fait d’en voir 37, trop vite, parce que la secrétaire n’a pas réussi à les caser autrement. Entre cette impression de faire son maximum et les reproches de patients qui pensent que je ne suis pas assez disponible, pas assez présente. Entre ce souhait de satisfaire leurs demandes en bossant plus et mon besoin de me protéger et de passer du temps avec MrPoilu. Entre cette envie de prendre un collaborateur et cette peur qu’après avoir majoré l’activité du fait de sa présence, il me plante. Entre ce plaisir de faire ce métier et la déception face à un avenir plus qu’incertain à cause de politiques de santé dénigrant les médecins généralistes et les patients.

Pour le moment, je suis à l’équilibre mais je marche sur un fil fragile. Un fil duquel je pourrais facilement tomber. Un fil que d’autres liment, doucement, depuis leurs tours d’ivoire.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fluorette

 

(1) J’insiste là-dessus, c’est ce qui me correspond, à moi. D’autres travaillent différemment, plus vite, moins vite, chacun trouve sa façon de travailler. Il faut juste être en accord avec soi-même.

 

*Fluorette est une médecin généraliste trentenaire. Lors de son installation, en cabinet de groupe, dans l’est de la France, il y a quelques mois, elle n’imaginait pas à quel point cela serait difficile. Elle témoigne de sa vie quotidienne sur son blog http://fluorette.over-blog.com/.