La députée de la Corrèze, Frédérique Meunier, a déposé début mars une proposition de loi visant à donner “une deuxième chance” aux étudiants recalés du concours de médecine. En contrepartie, ces derniers devront s’engager à s’installer pendant dix ans comme médecins généralistes dans des territoires en tension. “Les universités sont une véritable institution en France mais il faut arriver, à un moment donné, à ouvrir leurs méthodes”, avance la parlementaire qui cherche à lutter contre les déserts médicaux. Elle explique son projet à Egora.

 

Egora : Pourquoi avez-vous déposé cette proposition de loi ? Que cherchez-vous à combattre ?

Frédérique Meunier : Ma première intention était d’apporter un plus pour que les déserts médicaux se rétrécissent. Je voulais qu’il y ait une possibilité et une offre différente pour que des jeunes puissent aller sur les milieux ruraux en tension. Et puis, en échangeant avec certains jeunes, ils m’ont dit que, parfois, ils restaient sur le carreau pour presque rien. Alors qu’on peut avoir la compétence médicale sans pour autant réussir une matière de physique ou de chimie – plus ou moins par rapport à ceux qui l’ont mieux réussie –, et qui n’est parfois pas en lien direct avec la profession [de médecin, NDLR].

Avec cette proposition, l’idée était de me dire : ces jeunes-là, au lieu de les voir partir à l’étranger, pourquoi ne pas leur donner une deuxième chance ?

 

En préambule de cette proposition de loi, vous indiquez justement qu’il faut “balayer devant la porte de nos universités”. Que voulez-vous dire par là ?

Les universités sont une véritable institution chez nous en France mais il faut arriver, à un moment donné, à ouvrir leurs méthodes. [En médecine], on est dans le cadre d’un concours : ne faudrait-il pas l’adapter en fonction des demandes d’un territoire ? Peut-être qu’il faut trouver d’autres critères pour pouvoir donner la possibilité à ces jeunes de réaliser parfois une passion [pour la médecine], qui malheureusement s’arrête très vite.

 

Concrètement, que proposez-vous ?

Aujourd’hui, on a fait le constat qu’en médecine générale les praticiens étaient de moins en moins présents dans les zones tendues. Ces zones peuvent très bien être urbaines comme rurales, puisqu’on voit que pratiquement 80% à 85% des territoires sont touchés. C’est mon premier constat.

 

 

Le deuxième constat est de dire : est-ce que l’on ne pourrait pas ouvrir [les études de médecine] à un certain nombre d’étudiants en lien avec le manque des territoires ? Aujourd’hui, il manque peut-être 15, 20 ou 30 médecins sur un territoire… Ce quota-là, on peut se dire que ce sera le quota de la deuxième chance, [qui permettra] à des étudiants de continuer leurs études, parce que parfois ils ont échoué à 0,5 ou 0,6 centièmes de points au concours d’entrée. On leur donne cette chance de pouvoir aller vers la médecine, mais – car il y a un mais évidemment – ils devront être dans la case “médecin généraliste sur territoire en tension”.

 

Vous proposez que les étudiants repêchés à l’issue du concours d’entrée s’engagent à s’installer pendant dix ans comme généralistes dans ces territoires en tension. Pourquoi avoir fixé cette durée ?

J’ai choisi dix ans parce que je me suis basée sur l’école normale pour les enseignants [supprimée par la loi de 1989]. Lorsqu’ils passaient l’école normale, ils donnaient dix ans au domaine public. C’est aussi le nombre d’années d’études [en médecine générale], et c’est ce qui existait avant dans certains cursus. Mais peut-être que c’est beaucoup…

 

En effet, dix ans ça peut paraître long, surtout pour des jeunes au début de leurs études…

Cette proposition de loi a interpellé beaucoup de gens, que ce soient des médecins ou des associations. Et c’est vrai que dix ans c’est peut-être beaucoup. On pourrait peut-être réduire cette durée. Je le reconnais…

 

Le premier article de votre texte propose donc la mise en place d’une quotité de places “médecine générale en zone tendue” dans chaque académie. Combien cela pourrait-il concerner d’étudiants ? Pourriez-vous donner un ordre de grandeur ?

Il ne peut pas y avoir d’ordre de grandeur. C’est en lien avec le manque de médecins sur le territoire spécifique. Cela permettra de dire : dans ces zones tendues, on sait que demain elles le seront moins, parce qu’il y aura une quotité de médecins qui arrivera. Alors peut-être que ça ne sera pas suffisant, peut-être que ce sera trop… Mais il faut être souple et savoir s’adapter.

 

Cette quotité de places serait donc variable d’une académie à une autre ?

Exactement. L’idée est de se dire : combien va-t-il manquer de médecins [sur un territoire] cette année ? Comme ça je suis sûre que sur les 100 médecins qui vont sortir [de leur formation], il y aura au moins le nombre nécessaire pour pouvoir pallier ce manque de médecins sur le territoire. Sur certains territoires, ça peut être 10médecins, sur d’autres ça peut être 20 ou 30en fonction de ceux qui partent à la retraite, de ceux qui s’arrêtent, etc. L’idée est de lier le nombre en fonction de l’absence ou du manque sur le territoire.

 

Le concours d’entrée en médecine est censé attester d’un niveau suffisant des étudiants. On peut craindre que votre proposition abaisse ce niveau. Qu’en pensez-vous ?

Ça me fait un peu sourire, parce qu’on viendrait [seulement] abaisser le niveau à 0,5 ou 0,6 centièmes de points. Et, en plus, ce sont des étudiants qui ont neuf années d’études devant eux. Je ne suis pas sûre que cela abaisse beaucoup le niveau. Ça, c’est le premier point. Le deuxième point est qu’il faut être conscient que les étudiants recalés partent, pour certains, faire des études en Espagne, à l’étranger… Et reviennent avec le statut de médecins étrangers pour exercer en France. Ça ne choque pas l’Ordre des médecins.

Enfin, le troisième point est qu’en dehors de ces médecins-là, il y a [aussi] des praticiens qui ont fait leurs études à l’étranger et qui sont des médecins étrangers. On en voit qui parlent à peine le français, qui viennent exercer en France dans des hôpitaux ou des cabinets médicaux… Là non plus, ça ne choque pas beaucoup l’Ordre. Donc, je préfère que ce soit un jeune de chez nous qui puisse avoir cette possibilité de continuer ses études, de rester en France, plutôt que d’aller à l’étranger.

Après dix années d’études, je pense qu’on a quand même la capacité de faire de bons médecins. Et ça ne veut pas dire qu’un étudiant qui a [réussi] le concours sera meilleur qu’un étudiant recalé pour 0,5 ou 0,6 centièmes de points.

 

Cette proposition est en quelque sorte un début d’obligation à l’installation, a minima une très forte incitation. Les médecins sont pourtant très frileux à une telle coercition. Vous n’avez pas peur de vous les mettre à dos ?

Leur argumentation [celle du Conseil de l’Ordre des médecins, NDLR] ne tient pas la route en réalité. Aujourd’hui, je me rends bien compte qu’ils ne proposent rien et que tout ce que l’on peut proposer, ils disent “non” car ils cloisonnent tout. Déjà, cette proposition n’est pas une obligation à l’installation, puisque ce sera temporaire. Mais vous avez aussi des professions où ils ont des obligations à l’installation, les kinés, les pharmaciens… Ça existe ! Pourquoi ça n’existerait pas pour les médecins ?

Que l’on ne vienne pas me dire que ce sont des professions libérales et que, de ce fait, ils doivent avoir une liberté d’action. Ce sont des professions libérales, [mais] rémunérées par la Sécurité sociale. Là, je suis un peu dure et je pousse le bouchon un peu loin, parce que je me dis que ça fait des années que l’on explique qu’on a des zones en tension [et qu’il ne se passe rien].

 

 

Il y a trois jours, j’ai une maman qui m’a appelée pour me dire :“J’ai une petite de trois ans et il faut que je la fasse vacciner, mais mon médecin est parti à la retraite. Je vais où ? Je ne trouve personne.” J’ai écrit plusieurs fois au Conseil de l’Ordre pour leur dire : “Vous avez des gens [dont] le médecin part à la retraite qui ont des traitements et ne trouvent personne.” Mais on me répond : “Ma pauvre dame, on ne peut rien pour vous.” Ça m’agace tellement de voir qu’ils cloisonnent tout, qu’ils s’en foutent. Ils font un travail qui est méritant – ce n’est pas ce que je dis – mais ils ne se posent la question de “qu’est-ce ce que l’on fait de tous ces gens qui attendent et qui n’ont pas de médecins ?” 

 

“ Si la profession ne réagit pas, ce sont les parlementaires qui devront faire une loi ”

 

Cette “deuxième chance” ne vaut que pour les médecins qui s’engageraient en médecine générale. On manque pourtant aussi de spécialistes en milieu rural… Pourquoi se concentrer uniquement sur les généralistes ?

Il faut bien commencer par quelque chose. Comme je savais que certains aillaient me jeter la pierre, avec une argumentation qui ne tient pas la route, j’ai commencé par les généralistes. Je me dis que ça va peut-être les faire réagir, peut-être qu’à un moment donné ils vont se dire : “Mince, si on ne se prend pas en main, si on n’essaye pas nous aussi de participer et d’apporter nos idées alors ce sont les députés et les sénateurs qui vont le faire. Ils vont nous imposer des conditions qui ne nous satisferont pas.” A force de leur tendre la main et qu’ils nous tapent dessus : il faut bien y aller. C’est un petit peu pour les piquer et pour leur dire “aidez-nous” !

 

C’est donc une première étape ?

C’est un début, bien sûr.

 

Vous expliquez que vous proposition est complémentaires aux solutions qui peuvent être proposées par les collectivités aux étudiants en médecine. En effet, certaines communes rurales financent parfois des futurs médecins pour qu’ils s’installent sur leur territoire à la fin de leurs études. Au niveau national, le CESP* se développe aussi. Selon vous, ces dispositifs sont positifs mais ne vont pas assez loin…

Je crois qu’il faut encore plus accompagner. Dans le département [de la Corrèze], on accompagne sur des bourses que l’on fait aux étudiants sur les trois dernières années. Mais au bout, on va avoir quoi ? Peut-être un, deux ou trois médecins qui vont s’installer… Ça ne va pas suffire. Ma proposition est complémentaire. C’est aller plus loin, car j’en suis persuadée : si cette profession ne se prend pas en main, ne réagit pas, alors ce sont les parlementaires qui devront faire une loi. C’est malheureux, mais c’est comme ça. On a beau alerter l’ARS, on a beau alerter le Conseil de l’Ordre : il n’y a rien à faire. Ils sont verrouillés et se disent : “Si on touche à notre profession, demain on ne pourra plus l’exercer !” Ce qui est faux parce qu’on peut faire ça de façon intelligente en fonction des besoins des territoires.

 

* Contrat d’engagement de service public (CESP).

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Chloé Subileau

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